La Chronique Agora

Un climat de guerre

Les marchés ont-ils fini d’escalader le « mur de la peur » ?

Le Dow Jones a fait le job, en inscrivant de nouveaux records dès les premiers échanges mercredi matin, pour le dernier « fixing » d’ouverture de la fin de mois calendaire. Il a pris le relais du S&P 500 et du NASDAQ, qui venaient d’aligner six records de clôture en sept séances… mais un record absolu fut malgré tout inscrit en intraday le 26 janvier, même si les indices IS ne parvinrent pas à finir au zénith de façon aussi flamboyante que ce lundi 29.

Il valait mieux prendre les devants : il n’était pas certain que la Fed ait envie de tenir un langage « colombe » après une série de statistiques particulièrement robustes (chômage au plus bas depuis fin 1968, confiance des ménages US au zénith, croissance du PIB à +3,2%, indices PMI en rebond), mais c’est cette même Fed qui, en coopérant avec le Trésor US – émetteur de près de 3 000 Mds$ de dette depuis juin 2023 – dope l’activité économique aux Etats-Unis, au risque de créer une « inflation de second tour » aussi incandescente que celle de 2021/2022.

L’avenir nous dira si les prix recommencent à flamber par le biais d’une reflation des « actifs tangibles », sous-évalués dans des proportions historiques par rapport aux actions et à l’immobilier, ou si la valeur du dollar se désagrège par le biais d’une monétisation massive de la dette (perte de pouvoir d’achat de la devise).

Ce qui apparaît inévitable, c’est que le billet vert subisse une crise de confiance, ne serait-ce que relative, ce qui lui sera fatal car il ne tient que grâce à celle que lui accordent – trop spontanément – ses créanciers depuis le début de l’ère des « quantitative easing » (ou des « politiques monétaires expérimentales »), c’est-à-dire le 10 mars 2009, ce qui fera 15 ans dans six semaines.

Mais un autre anniversaire se profile d’ici trois semaines : ce sera le 24e mois du terrible conflit qui dévaste l’est de l’Ukraine et a déjà fauché la vie d’un demi-million d’Ukrainiens (militaires et civils), mais également de plusieurs centaines de milliers de soldats russes qui n’ont d’autre choix que de défendre coûte que coûte les territoires qu’ils occupent depuis mars 2022, car Moscou ne peut se permettre de renoncer à l’annexion des « oblasts » russophones et de quelques enclaves adjacentes que Kiev semblait résolu à « dérussifier » fin 2021-début 2022.

Et Kiev, qui a échoué dans sa contre-offensive du printemps 2023 (avant de s’enliser durant l’été, malgré quelques coups de boutoir qui ont permis la reconquête d’une dizaine de kilomètres carrés, au prix de pertes effroyables), se retrouve privé de l’aide financière et militaire américaine, soit plus de 64 Mds$ (voulus par Joe Biden pour 2023 et 2024), qui se trouve bloquée par la majorité républicaine au Congrès.

C’est probablement l’explication de l’agitation qui s’empare des européens qui appellent soit à confisquer les 200 Mds$ de la banque centrale russe séquestrés par Euroclear (sur les 300 Mds$ qui ont été gelés) et à « vaincre la Russie », ce que la plupart des stratèges jugent militairement impossible, sauf à faire évoluer le périmètre ou la nature du conflit… au risque de le voir dégénérer en troisième guerre mondiale.

Le vocabulaire martial d’Emmanuel Macron ne cesse de remettre sur la table le « nous sommes en guerre », nous devons « réarmer », nous devons aider Kiev et « vaincre coûte que coûte ».

Cela inclut-il des vies, alors que des rumeurs de présence de combattants français en Ukraine (dont certains auraient été tués par une frappe russe à Kharkov) reviennent régulièrement sur le tapis ? Tout ceci ressemble à une mise en condition de l’opinion, à l’instauration d’un climat psychologique de pré-guerre, un peu comme en 1939, mais en faisant taire les pacifistes – qui arguent que ce serait une folie de provoquer l’escalade avec la Russie – par tous les moyens.

Et c’est là qu’Emmanuel Macron, fort de son statut de chef des armées et d’unique référent désormais en matière de diplomatie, se fend d’une déclaration où il réaffirme que « nous ne sommes pas en guerre avec la Russie », comme si un doute pouvait exister à ce sujet… mais dans l’esprit de qui ?

Mais qu’il s’agisse de l’Ukraine, de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie où la répression israélienne fait rage – avec le plein soutien des Etats-Unis –, du Yémen qui continue de tirer des missiles vers la Mer Rouge et se trouve bombardé en représailles, aucun conflit ne semble suffisamment anxiogène pour dissiper la conviction des marchés qu’il n’existe aucun « mur de la peur » que des baisses de taux ne permettent de surmonter en 2024.

C’est uniquement la prise de conscience d’un décalage dans le temps de six semaines pour une première baisse de taux – c’est le message que la Fed souhaitait faire passer mercredi soir – qui déclenche le premier mouvement de correction supérieur à 0,8% depuis le 2 janvier, aussi bien sur le S&P que sur le NASDAQ. Mais que se passera-t-il si les anticipations tablant sur six baisses de taux en 2024 sont revues à quatre… voire à trois, ou pire, si les prix rebondissaient en mars ?

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