Donald Trump déclare la guerre aux films venus de l’étranger, accusés de menacer à la fois l’industrie américaine et la sécurité nationale. Mais derrière cette croisade protectionniste, ne s’agirait-il pas surtout d’empêcher les esprits de trop réfléchir ?
Notre voyant moteur vient de s’allumer ! Voici les dernières nouvelles, tirées de USA Today :
« Dans un message publié sur les réseaux sociaux le 4 mai, le président Donald Trump a annoncé qu’il avait autorisé son administration à imposer des droits de douane de 100% sur les films produits en dehors des Etats-Unis, car, selon lui, ‘l’industrie cinématographique américaine est en train de mourir d’une mort très rapide’. Il a qualifié de ‘menace pour la sécurité nationale’ et de ‘propagande’ les mesures incitatives utilisées pour attirer des cinéastes et des productions de studio dans d’autres pays, concluant son message par : ‘NOUS VOULONS DES FILMS FAITS ICI AUX ETATS-UNIS !’ »
Oui, cher lecteur, les films réalisés en dehors des Etats-Unis constituent désormais une menace pour la sécurité nationale !
Et il a peut-être raison… il y a beaucoup de films étrangers qui font réfléchir. Et quel dirigeant voudrait vraiment cela ?
Il suffit de regarder le film allemand A l’Ouest, rien de nouveau. Vous n’en sortirez probablement pas avec un enthousiasme débridé pour les va-t-en-guerre du moment, ni un soutien inconditionnel à des figures comme Pete Hegseth, ancien militaire américain connu pour ses frasques. Le film montre l’absurdité des guerres sans cause et l’aveuglement meurtrier des généraux.
Dans le même esprit, les deux grands films sur Stalingrad – l’un du point de vue allemand, l’autre du point de vue soviétique – offrent des récits sombres, brutaux, qui mettent en lumière la folie des chefs de guerre et l’obéissance aveugle des soldats.
Bien sûr, il y a aussi Guerre et Paix, cette épopée soviétique de 1967 qui dure sept heures. Nous ne l’avons jamais regardée en entier, mais elle nous a laissé trois enseignements : il est dangereux de suivre aveuglément les Grands Chefs, les empires s’effondrent aussi sûrement qu’ils se construisent, et enfin, envahir la Russie n’est jamais une bonne idée…
Et puis il y a tous ces films, sûrement destinés à saper les jefes américains, qui remettent en question la compétence et l’autorité morale du gouvernement. Le film franco-algérien Z, porté par Jean-Louis Trintignant, sape sans complexe la confiance dans les gouvernements autoritaires. V for Vendetta, grand classique britannique, vous pousse à douter de la bienveillance de l’Etat et de ses tentatives pour imposer des comportements uniformisés.
Et que dire de Bitter Harvest, un film ukrainien sur la grande famine provoquée par Staline et mise en oeuvre par des fonctionnaires dans les années 1930 ? L’Holodomor a fait jusqu’à cinq millions de morts.
Il y a aussi le film allemand de 1927, Metropolis, réalisé par Fritz Lang. En 2008, une bobine oubliée a été découverte dans un musée en Argentine. Elle a été utilisée pour reconstituer le film dans son intégralité. Si nombreux passages du film peuvent paraître futiles et naïfs, son message principal – à savoir qu’il ne faut pas faire confiance aux autorités fédérales – n’est pas celui que le Grand Chef de la Maison-Blanche voudrait que vous interprétiez.
Les Allemands savent mieux que quiconque ce qui se passe quand les autorités fédérales se trompent. Le film La Vie des autres en est une illustration magistrale : il montre comment la police secrète de l’Allemagne de l’Est s’efforçait d’étouffer toute pensée « occidentale ». C’est un film superbe, qui met en lumière le courage discret d’un seul espion capable, à lui seul, d’ébranler tout un Etat policier.
L’industrie du cinéma est sans doute l’une des plus « internationalisées » au monde. Prenez Viva la Muerte (1971), un autre film qui dénonce frontalement l’autorité des gouvernements. Tourné en Algérie, en France, en Espagne, en Italie, au Portugal, au Brésil, aux Philippines, au Maroc et en Tunisie, sous la direction de Fernando Arrabal, ce film est à la fois résolument subversif… et mondialisé.
Mais comment taxer une telle oeuvre ? Un réalisateur italien qui tourne en Afrique sur un scénario écrit par un Allemand pour un studio américain, détenu par un fonds spéculatif basé à Londres. Et Trump voudrait appliquer un droit de douane de 100% sur tout ce qui n’est pas « américain » ?
Quel rêve délirant… Un marécage profond et sombre où lobbyistes, avocats, fiscalistes et arrangeurs pourront prospérer.
Réaliser un film, c’est traverser au moins une douzaine d’étapes majeures. Et aujourd’hui, chacune d’elles fait appel à des talents et des ressources du monde entier – les producteurs cherchant toujours la meilleure qualité, la compétence la plus adaptée, et le prix le plus bas.
Qui aurait cru qu’une telle organisation pourrait finir par être classée comme menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis ?
Si Trump obtient gain de cause, il faudra bientôt une armée d’informaticiens pour traquer l’origine de chaque plan, chaque note de musique, chaque effet visuel… Sapant ainsi la liberté de choix de ceux qui ont « une vraie peau dans le jeu », et menaçant de détruire ce qui reste de l’industrie cinématographique américaine.
Au moins, cela nous promettrait un spectacle inattendu. Nous pourrions voir émerger tout un nouveau genre de remakes.
Un Américain à Paris… au Texas, par exemple. Ou encore Vacances à Baltimore, avec les futurs Gregory Peck et Audrey Hepburn – peut-être arborant cette fois tatouages et piercings.
Et bien sûr, les célèbres westerns spaghetti, autrefois tournés en Espagne et en Italie avec Clint Eastwood, pourraient être fièrement refaits sur le sol américain. Pourquoi pas rebaptisés Westerns-Poulet-Frit, filmés directement sur les plaines de Zanesville, dans l’Ohio ?
Des films qui connaîtront certainement des succès au box-office !