La Chronique Agora

Choc pétrolier : aussi dangereux à la baisse… qu’à la hausse

Le choc pétrolier actuel n’est pas le premier – ni le dernier : retour sur quelques cas passés et ce qu’ils peuvent nous enseigner.

Depuis 10 ans, la variabilité des prix du pétrole et surtout leur amplitude sont impressionnantes.

Le pétrole valait 40 $/baril au plus bas en 2009, 125 $ au plus haut en 2011, 48 $/baril début 2015, 28 $/baril au plus bas en 2016, puis 75 $/baril début 2018 et autour de 20 $ en pleine crise du coronavirus.

Dans un contexte explosif, bien sûr : surproduction et stocks considérables, parallèlement à un effondrement de la demande de tous les acteurs économiques ; ménages qui ne conduisent plus ; entreprises qui ont arrêté d’importer de l’énergie ; parmi les Etats, la Chine, un gros consommateur qui a « disparu ».

Cette forte variabilité avait été très bien analysée il y a déjà deux à trois ans par Patrick Artus, patron des études économiques de Natixis.

Une question de cycle

Première explication de Patrick Artus, le cycle de l’investissement en exploration-production de pétrole :

« Lorsque le prix du pétrole est élevé, l’investissement en exploration-production devient très élevé puisque les compagnies pétrolières (privées ou d’Etat) ont des profits très importants ; ceci génère un excès de capacité de production dès que la demande mondiale de pétrole recule.

Symétriquement, lorsque le prix du pétrole recule, la réaction des compagnies pétrolières est de couper leurs investissements afin de préserver leur situation financière ; ceci conduit à une insuffisance de capacité de production de pétrole dès que la demande mondiale de pétrole augmente à nouveau. »

Seconde explication, le comportement des producteurs :

« Lorsque la demande mondiale de pétrole est forte, les pays producteurs de pétrole sont incités à ne plus coopérer entre eux et à accroître leur production (ceci s’est produit dans la période récente en 2014-2015). Quand la demande mondiale de pétrole est faible, les pays producteurs sont incités à coopérer et à couper leur production, ce qui s’est observé en 2003, 2017. »

Le problème, c’est que l’économie mondiale et les marchés financiers souffrent de cette variabilité trop forte des prix du pétrole et donc tout autant d’un prix du pétrole trop bas que d’un prix du pétrole trop élevé.

Qui va l’emporter ?

Quand les prix du pétrole remontent trop fortement, les anticipations d’inflation redeviennent fortes. Les marchés craignent alors – à tort ou à raison – la fin des politiques monétaires accommodantes et donc la séquence « fin des rachats d’actifs/hausse des taux directeurs/baisse de la taille du bilan (quantitative tightening) ».

L’Histoire aura montré que ces peurs étaient totalement injustifiées. Mais dans le même temps, si le pétrole monte pour des raisons géopolitiques (craintes de guerre au Moyen-Orient), les investisseurs se réfugieront sur les actifs obligataires. Il a donc été toujours difficile de savoir qui l’emporterait, d’une hausse du baril (facteur haussier taux longs) ou de la « fuite vers la qualité » (facteur baissier taux longs).

En revanche, quand les prix du pétrole baissent fortement, ce n’est pas plus stabilisant puisque les marchés peuvent vite paniquer, comme au premier trimestre 2016, dans un contexte d’aggravation de la conjoncture chinoise.

Dans ce cas de figure, les anticipations qui se forment ne sont pas claires : excédents commerciaux chinois qui baissent, sorties de capitaux de plus en plus fortes et accélération de la baisse du yuan, donc baisse des réserves de change de la Banque de Chine et donc risques de flux nets vendeurs de titres d’Etat US et européens.

Les limites sont désormais dépassées

Aujourd’hui, nous avons dépassé les limites car le prix du pétrole est sorti à la baisse de son range de ces dernières années, avec des dégâts collatéraux à venir considérables : faillites en cascade des producteurs de schiste US ; risques d’instabilité politique et sociale dans des pays pétroliers économiquement fragiles (Algérie, Nigéria, Iran pour ne citer qu’eux) ; capacité de résiliences des économies russe et saoudienne ; risques de rapatriement de capitaux des fonds souverains pétroliers.

On surveillera le niveau symbolique et historique des 12 $. Ce niveau avait été atteint brutalement à la hausse lors du premier choc pétrolier en 1973, avec un prix du pétrole qui avait été multiplié par quatre (passant de 3 $ à 12 $).

Ce même niveau fut revu violemment à la baisse lors du contre-choc pétrolier de 1998, consécutif à la crise des émergents d’Asie en 1997 et au défaut russe d’août 1998.

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