La Chronique Agora

Banques, énergie : gare aux Etats-voyous

EDF

La multiplication des mesures punitives à l’encontre des banques et des énergéticiens, si contre-productives qu’elles soient en termes économiques, ne doit pas être ignorée.

A la demande de la France, la mention de la « concurrence libre et non faussée » a disparu des objectifs de l’Union européenne retenus dans le Traité de Lisbonne en 2007.

Notre pays voyait d’un mauvais oeil toute entrave potentielle à ses habitudes colbertistes. Crise des subprimes, crise de la dette, COVID, crise énergétique de 2022 : durant les quinze ans qui ont suivi la ratification du traité, les occasions n’ont pas manqué pour l’Etat de s’immiscer dans les rouages de notre économie.

La main lourde de l’Etat n’est pas que coûteuse pour les contribuables à qui l’addition est toujours présentée, ou pour les citoyens qui subissent, mesure d’urgence après mesure d’urgence, la perte d’efficacité du tissu économique. Parfois, les mesures sont ciblées vers des entreprises privées, et ce sont alors les actionnaires qui sont contraints de financer la générosité publique.

Alors que l’interventionnisme était jusqu’ici l’apanage de l’Europe du Sud, toujours méfiante envers le secteur privé, voici que l’Europe du Nord, de tradition libérale, cède aux sirènes de la captation étatique. Après la France, championne toute catégorie en nationalisations plus ou moins assumées, et la « supertaxe » italienne imaginée par Giorgia Meloni au mois d’août, voilà que les Pays-Bas ajoutent une nouvelle couche à la fiscalité d’entreprise – quitte à faire fuir leurs fleurons.

Les marchés ne s’y trompent pas, et réagissent brutalement lorsque les Etats décident de jeter leur dévolu sur un secteur jugé trop rentable. Ils savent, en effet, que ces mesures dites d’urgence obèrent dans le meilleur des cas la rentabilité des entreprises, et peuvent dans le pire des cas les pousser à la faillite.

Aujourd’hui, nous nous penchons sur les deux secteurs les plus menacés par nos gouvernements aux abois.

Energie, attention à la « générosité » étatique

Chacun se souvient du fiasco boursier d’EDF. Lors de son introduction en Bourse, notre énergéticien national était censé capitaliser sur un parc nucléaire construit et amorti pour fournir à la France et à l’Europe une énergie à coût de production marginal quasi-nul.

Las, l’Etat-actionnaire a tué la vache à lait. La mauvaise gestion de l’outil industriel et des ressources humaines a rendu le parc vétuste et a fait exploser les coûts de production. La tarification de l’électricité a été utilisée comme un instrument politique pour financer certains gros consommateurs ; faire naître artificiellement un écosystème de courtiers en énergie ; et augmenter le pouvoir d’achat des ménages en bloquant le prix de l’électricité. Pris entre des coûts de production en hausse et un prix de vente artificiellement bas, le groupe a été poussé à la faillite et a dû être nationalisé en urgence.

Les petits porteurs ont perdu la moitié de leur mise depuis l’IPO, et même nationalisé, EDF reste un outil de politique fiscale comme le prouve la convocation de son P-DG, Luc Rémont, à Matignon fin septembre.

Ce mélange des genres délétères n’est pas limité à la fourniture d’électricité.

A la rentrée, le gouvernement s’est encore essayé à l’ingérence dans les politiques tarifaires des énergéticiens en annonçant la légalisation de la vente à perte sur les carburants. Pour éviter de reproduire le fiasco de la subvention à la pompe, Matignon a voulu permettre aux distributeurs de commercialiser essence sans plomb et gazole en dessous de leur prix d’achat. La mesure, qui aurait pu avoir des conséquences terribles pour les stations indépendantes et qui n’a même pas recueilli l’aval des grands réseaux, n’a finalement jamais vu le jour. Avant même sa présentation en Conseil des ministres, elle a été retirée et qualifiée de simple « menace ».

Reste que la mesure s’inscrit dans un tir de barrage de plus en plus nourri envers les énergéticiens, TotalEnergies en tête. Cet été déjà, le gouvernement sommait le groupe de baisser les prix de ses produits. La vente à perte enterrée, Matignon a demandé à la filière « de faire un prix coûtant ». En parallèle, il annonce scruter avec attention les marges des raffineurs pour dégainer si besoin une taxe sur les « superprofits pétroliers ».

Autant d’éléments de langage qui peuvent devenir, pour TotalEnergies et Esso, des chapes de plomb sur les comptes 2023. Rappelons qu’en 2022, TotalEnergies avait déjà été l’un des énergéticiens à connaître l’une des plus faibles hausses de ses profits par rapport à ses concurrents étrangers.

De leur côté, les producteurs d’énergie renouvelable ont subi un changement de règles du jeu déplafonnant le montant des restitutions à l’Etat en cas de hausse des prix de l’énergie. Résultat des courses, ce secteur encore fragile devient contributeur net et devrait être taxé à hauteur de 13,7 Md€ cette année encore.

Banques : la tentation de la taxe

L’Italie de Giorgia Meloni a pris cet été des mesures particulièrement dures contre ses propres banques. En plein mois d’août, le gouvernement a annoncé souhaiter prélever une taxe de 40% sur les surprofits des banques commerciales, avec des recettes pour l’Etat se chiffrant en milliards d’euros selon les estimations du vice-premier ministre, Matteo Salvini.

Immédiatement, les plus grands établissements bancaires du pays ont vu leurs titres baisser. UniCredit a abandonné 5,92%, Intesa Sanpaolo s’est effondré de 8,57%, tandis que Banco BPM a lâché 9%. Il faut dire que la mesure tombe au plus mal pour un secteur bancaire italien que l’on disait au bord du gouffre l’an passé, du fait de son exposition à la dette d’Etat italienne et au risque de défauts des entreprises privées en cas de contraction de l’économie.

Le gouvernement a pourtant fait la sourde oreille et a décidé que le bol d’air offert par la hausse des taux d’intérêt était un surprofit inacceptable.

Si les marchés pouvaient attendre du gouvernement Meloni des mesures plus populistes qu’économiquement efficaces (ses priorités étant clairement affichées), rien ne laissait croire que les Pays-Bas emboîteraient le pas à l’Italie dans sa croisade anti-banques.

Se convertissant à l’illibéralisme, le gouvernement néerlandais a annoncé fin septembre une hausse de 70% de la taxe bancaire. Echaudés, les marchés se sont débarrassés des titres des établissements nationaux : ING a perdu de plus de 6,2% à la Bourse d’Amsterdam, tandis qu’ABN Amro a cédé 4,5%. Ironie du sort, la mesure populiste a immédiatement fait perdre à l’Etat-actionnaire plus de 250 millions d’euros en participations dans les banques… alors que la Chambre des représentants espérait gagner avec cette nouvelle taxe 350 M€ au mieux.

La multiplication des mesures punitives à l’encontre des banques et des énergéticiens, si contre-productives qu’elles soient en termes économiques, ne doit pas être ignorée. Dans un contexte de budgets tendus et de gouvernements privés de marges de manoeuvre, elles risquent fort de se multiplier dans les prochains mois.

Quelle que soit la qualité de ces entreprises, les investisseurs doivent désormais prendre en compte un risque politique fort et le pricer dans leurs estimations de valeur intrinsèque.

 

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