La Chronique Agora

Arrestation de Pavel Durov, une manoeuvre à risque pour la France

Les « maîtres du monde » peuvent décider quand bon leur semble de « mettre hors-jeu » quiconque devient une gêne au lieu de constituer un avantage.

Ursula von der Leyen a récemment placé son second mandat à la tête de la commission européenne sous le signe de la décarbonation et de la lutte contre les réseaux sociaux qui « désinforment » et qui « facilitent les activités délictueuses ».

Elle vient apparemment de remporter une victoire par procuration, via son mentor et soutien de la première heure, Emmanuel Macron (entre young leaders du WEF, on se serre les coudes !), qui vient de valider la procédure d’arrestation du milliardaire franco-russe et fondateur de l’application Telegram (plus de 900 millions d’utilisateurs), Pavel Durov, alors qu’il venait de se poser à l’aéroport du Bourget.

S’agissant d’une arrestation aux conséquences géopolitiques incalculables à ce stade de l’affaire, elle n’a pu avoir lieu qu’avec le feu vert présidentiel et la coopération de tous nos « services » de renseignement, ainsi que de l’appui du Quai d’Orsay (Pavel Durov dispose également d’un passeport russe, ainsi que du micro-Etat caribéen St Kitts & Nevis).

Un passeport français fut délivré à Pavel Durov en 2021 à l’issue d’une « procédure rare » – sur laquelle le Quai d’Orsay est resté discret – qui permet au gouvernement français d’accorder un passeport à un « étranger émérite » qui contribue « au rayonnement international de la France ». Il serait intéressant d’établir si le « timing » et le « motif » du privilège offert à Pavel Durov coïncident avec le déroulement de la guerre en Ukraine.

Une guerre qui a en réalité débuté fin 2013 avec les préparatifs du coup d’Etat du Maïdan orchestré par la CIA (lequel sera conclu avec succès mi-février 2014, par l’éviction du président pro-russe Viktor Ianoukovitch et la formation d’un gouvernement composé de membres adoubés – sinon imposés – par Washington).

Telegram, une messagerie cryptée fondé en août 2013, est rapidement soupçonnée par les autorités russes de servir de canal de transmission entre les divers acteurs du Maïdan. Le FSB (l’équivalent russe de la CIA) fera pression sur le frère de Pavel Durov, Nikolaï VKontakte, pour qu’il lui fournisse les informations personnelles des organisateurs du mouvement « Maïdan ».

Mais Pavel Durov tient tête à poutine (le FSB est évidemment à ses ordres depuis l’an 2000) et s’impose alors en Russie, comme aux yeux de l’Occident, comme le défenseur inflexible des libertés individuelles et le garant d’un espace de d’expression inviolable au sein de régimes autoritaires.

Dix ans plus tard, c’est toujours grâce à un canal Telegram que circulent les informations de terrain les plus pertinentes en provenance d’Ukraine.

Ont-elles été jugées suffisamment pertinentes par le camp occidental et l’Elysée, pour que le fondateur de Telegram ait contribué « au rayonnement international de la France », ce qui mérite des égards particuliers ? Trois ans plus tard, l’Elysée considère-t-il que Pavel Durov ne se montre plus assez coopératif (plus assez « émérite ») ?

La « défense inflexible des libertés individuelles », c’est bien quand cela nuit à Poutine, beaucoup moins bien lorsque cela nuit potentiellement aux projets guerriers de l’OTAN. Tous les « à-côtés » sur lesquels l’Occident fermait les yeux depuis onze ans deviendraient-ils alors soudain « illégaux » ?

Rien de plus facile que d’incriminer un réseau pour manque de « modération », surtout quand c’est le principe même de fonctionnement de cette messagerie cryptée qui revendique comme postulat le refus de la censure et la confidentialité.

L’expression « qui veut tuer son chien prétend qu’il a la rage » semble coller parfaitement avec le cas de Telegram.

Notre justice (tellement indépendante, nous pouvons en être fiers) vient donc d’interpeller le citoyen français Pavel Durov pour « utilisations délictuelles de sa messagerie et complicité d’infractions », allant de l’escroquerie au trafic de stupéfiants, au cyberharcèlement, à la criminalité organisée, en passant par l’apologie du terrorisme et la fraude… sans oublier, bien sûr, le partage de contenus pédocriminels. (Au fait, on en est où de l’enquête sur les réseaux d’Epstein ? Ah oui, au point mort depuis cinq ans !)

C’est ainsi que Ursula Von der Leyen (vous savez, la même qui a refusé de rendre publics ses SMS avec l’autre membre du WEF, Pierre Bourla, patron de Pfizer) justifie sa croisade contre les réseaux qui préservent la confidentialité des utilisateurs (Ursula semble pourtant très attachée à la sienne) et sur lesquels circulent des vérités « non-officielles » (donc du « complotisme » et de la « désinformation »).

Edward Snowden s’est dit « surpris et profondément attristé » par l’arrestation ce samedi 24 août du patron de la messagerie cryptée Telegram et s’en prend directement à Emmanuel Macron. Il s’agit, d’après lui, d’une arrestation « qui rabaisse non seulement la France, mais aussi le monde entier ».

Mais ce n’est peut-être que l’écume des choses…

Pourquoi Pavel Durov, qui savait qu’un mandat d’arrêt l’attendait sur le sol français, s’est-il laissé cueillir aussi « naïvement » ? Que pourrait-il révéler, si d’aventure, il acceptait d’accéder aux demandes de « transparence » et de révélations de « vérités qui dérangent » ?

Quelle image la France – pays des droits de l’homme et de la liberté d’expression – offre-t-elle au monde, en incarcérant Pavel Durov pour des motifs sur laquelle elle a fermé les yeux durant onze ans et qui pourraient tout aussi bien conduire à l’arrestation de Mark Zuckerberg, à celle de Hunter Biden et de son entourage (sex & drug & corruption), ou de tous ceux qui fréquentaient très régulièrement « l’île aux plaisirs d’Epstein » (l’un des motifs invoqués par Melinda Gates pour divorcer de son milliardaire de mari) ?

Déjà, toute la presse mainstream se réjouit d’une victoire contre l’opacité, contre les « contenus illicites » (comprenez : ce qui contrevient à la vérité officielle), la fraude et le crime organisé.

L’affaire Durov semble démontrer que les « maîtres du monde » peuvent, au mépris de tous les principes qu’ils prétendent défendre, décider quand bon leur semble de « mettre hors-jeu » (ou en prison) quiconque devient une gêne au lieu de constituer un avantage.

L’arrestation de Durov ressemble un peu à un « déchirement de la matrice » ; elle a aussi valeur d’avertissement à Elon Musk… Mais, quoi qu’il en soit, ce n’est qu’une nouvelle poussée de pion dans une partie d’échecs. Et à ce jeu, les Russes – même dotés d’un passeport français – sont souvent les plus forts.

La partie vient-elle juste de commencer ?

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