Les déclarations de Jerome Powell cette semaine ont fait rapidement rebondir les actions. Mais ces annonces n’ont pas eu le même effet sur le segment obligataire et, surtout, auront un impact important sur l’immobilier.
Wall Street s’est enflammé mercredi à 20H39 précise, à l’instant même où Jerome Powell a déclaré dans une réponse aux journalistes que « le comité directeur [de la Fed, NDLR] n’envisage pas activement de relever les taux directeurs de 75 points de base lors des prochaines réunions de politique monétaire ».
Cette seule « petite phrase » aurait donc déclenché le plus puissant rally haussier des indices US depuis le 3 mars 2020 (et l’un des plus éphémères, avec une rechute dès le lendemain).
L’euphorie n’est pas générale
Mais, pendant que les vendeurs à découvert sur le Nasdaq se jetaient par la fenêtre, victimes d’un traquenard sur les dérivés de volatilité, le rendement des obligation d’Etat américains à 10 ans restait perché à plus de 2,96% tandis que le « 20 ans » inscrivait sa pire clôture depuis l’automne 2018.
Jerome Powell semble ne pas avoir failli à sa réputation de meilleur ami de Wall Street… mais qu’a-t-il annoncé qui justifie l’euphorie des détenteurs d’actions ? Et pourquoi cela ne dissipe-t-il pas l’état de stress des détenteurs d’instruments obligataires, les premiers concernés par une Fed moins hawkish ?
Il est impossible d’expliquer l’origine de réactions diamétralement opposées, d’où l’évocation d’un traquenard destiné à nettoyer les positions vendeuses qui avaient atteint leur zénith.
Car la Fed va bien entamer la réduction de la taille de son bilan (à partir de juin) : elle va commencer par 47,5 Mds$ durant quatre mois, puis va accélérer ses ventes d’actifs jusqu’à 95 Mds$ de moins par mois en septembre, et poursuivra ce processus jusqu’à réduire l’encours de 9 000 Mds$ à 6 800 Mds$, ce qui prendra environ 3 ans.
Oui, 3 ans d’assèchement graduel de la liquidité… mais la masse « M2 » est passée en 2 ans de 15 000 à 21 000 Mds$ : la Fed n’en épongerait ainsi que la moitié.
Mais le diplodocus dans la pièce – alors que Wall Street s’est focalisé récemment sur le petit papillon voletant des taux et du bilan –, c’est le « reverse repo » de la Fed depuis mai 2021, c’est-à-dire le fait que la Fed « emprunte » des liquidités au marché chaque soir (au lieu d’en injecter).
La Fed absorbait fin avril 2 000 Mds$ tous les soirs, record historique absolu en la matière !
L’immobilier sera durement affecté
C’est autant d’argent en moins dont les banques peuvent disposer pour financer la spéculation « overnight », mais également pour consentir des prêts immobiliers à long terme.
Mais c’est surtout l’impact mécanique de la hausse des taux qui va semer le chaos parmi les emprunteurs à taux variable, c’est-à-dire ceux qui ont pu acquérir un bien pour un coût inférieur à 3% durant 18 mois, et qui voient exploser le montant de leurs mensualités de crédit.
Petit rappel : dans ce genre de cas, au cours des trois premières années, l’emprunteur ne rembourse quasiment que des intérêts et une fraction marginale du « principal »… et voilà que ce poste explose de 225 points de base en quatre mois !
Tous les acquéreurs qui ont vu un peu trop grand, où qui ont « compté juste » en faisant le pari de taux modérés jusqu’en 2025 (narratif de l’inflation transitoire oblige), commencent à accumuler les retards de paiement… et les plus imprudents font déjà défaut.
Pour les saisies immobilières, à fin février, aux Etats-Unis, la hausse était de 140% sur un an, avec pas moins de 3 millions d’emprunteurs en retard, dont 2,1 millions de plus de trois mois (ça se finit majoritairement par une expulsion, en temps normal).
Encore plus vite qu’en 2008
Et bien entendu, les CDS (credit default swaps) sur les créances hypothécaires explosent, et bien plus vite qu’en 2008 car, à l’époque, les banques et les agences de notations étaient dans le déni total et les gérants obligataires plongeaient la tête dans un sac pour ne pas voir tous les panneaux « à vendre » sur le trajet de retour vers leurs manoirs avec piscine des quartiers chics.
Et les affichettes « for sale » (à vendre) commencent à faire leur retour sur les pelouses des quartiers pavillonnaires : ce n’est pas anxiogène, et même plutôt bienvenu, car la règle est la pénurie sur le marché immobilier depuis 2 ans.
Enfin, l’offre redevient un peu plus abondante, et les acheteurs solvables ne manquent pas, comme BlackRock, Fidelity… ou des « family office » diversifiant le patrimoine de leurs riches clients.
Mais une bulle est une bulle et les défauts de paiement vont devoir être provisionnés par les banques, ce qui va amputer leurs profits ces prochains trimestres, avec un « effet de ciseaux » lié à la baisse des demandes de prêts de la classe moyenne qui n’a pas les moyens d’emprunter à 5%.
Aucune chance de voir s’effacer au cours des prochaines semaines les stigmates du krach obligataire qui se déroule depuis le 20 décembre 2021 et qui est d’une violence historique.
Une hausse de 225 points du coût du crédit hypothécaire – et peut-être de 250 points avant fin mai – va immanquablement enrayer la spirale de hausse du prix des logements. Depuis les années 1960, une hausse aussi forte et rapide a toujours fait éclater les bulles.
Et en Europe ?
Ce qui se déroule aux Etats-Unis sur le marché immobilier préfigure inexorablement ce qui se produira en Europe dans un délai de trois à six mois.
La BCE alimente l’anticipation d’un découplage temporel de six mois par rapport à la Fed, expliquant que les hausses de taux sont inefficaces contre l’inflation importée, ce qui est admis par la plupart des économistes.
Mais elles sont en revanche redoutablement efficaces pour dégonfler les bulles d’actifs, et cela fait une décennie que l’envolée de la « pierre » paupérise les classes moyennes (les plus pauvres bénéficient d’APL conséquents) et réduit l’effectif des primo-accédants. D’où une hyper-concentration des patrimoines immobilier depuis une décennie entre quelques très grosses mains… tout comme les actions : 85% sont détenues par les 5% les plus riches.
Les ultrariches supporteront la décrue des prix immobiliers et s’abstiendront de vendre un actif assez peu liquide, ils ont une vision dynastique (ou générationnelle) : la pierre se valorise toujours sur le long terme, les héritiers seront plus riches dans 20 ans, quel que soit les éventuelles corrections dans l’intervalle.
En revanche, l’emprunteur dans la résidence principale est le principal actif, et qui s’est surendetté – argent quasi gratuit oblige – pour faire un peu de locatif, va se retrouver pris à la gorge et contraint de vendre.
Pour l’heure, c’est au plus haut, donc bonne affaire : pas de « negative equity » (ou moins-value latente), mais d’ici quelques mois, les acheteurs durant la folle période de mai 2020 à décembre 2021 vont rapidement se retrouver « sous l’eau ».
Plus aucune plus-value à la revente mais des pertes qui pourraient très vite s’alourdir, comme en 2007/2008, et la banque créancière en cas de saisie pourrait ne pas revoir ses billes : les banquiers savent comment ça se passe quand ça se passe mal et cela va les conduire à durcir considérablement les conditions d’obtention d’un crédit, alimentant la spirale déflationniste dans l’immobilier.
BlackRock, Berkshire Hattaway et quelques gros fonds de retraite auraient les moyens de tout racheter aux Etats Unis, mais pourquoi se précipiter si tout peut être ramassé à prix cassés d’ici 2 ans ?
Le même raisonnement vaut pour l’obligataire et les créances hypothécaires: la patience est salutaire.