La Chronique Agora

Wall Street euphorique, Trump en roue libre

Stafford / United Kingdom - November 18 2020: Palantir company logo on the screen of smartphone, finger touching it and the blurred Palantir logo on the background.

Sommes-nous en train de vivre les « dernières extravagances » ?

Ces dix derniers jours m’ont particulièrement réjoui, car je réalise que ce monde est toujours plus fou que ce que mes souvenirs boursiers et mes scénarios de l’improbable pouvaient me permettre d’échafauder, aussi bien sur le plan boursier que sur le plan géopolitique.

Grâce en soit rendu au climat psychologique qui règne à Wall Street, à DeepSeek et à l’hubris de Donald Trump, les deux se faisant la courte échelle pour repousser les limites du concevable.

Entre les +27% de Palantir le 4 février et le plan de reconfiguration de Gaza proposé par Donald Trump, qui se pense capable de résoudre 77 ans de conflit au Proche-Orient en marchant dans les pas de Benjamin Netanyahou, j’avoue que le concept d’une désintégration du monde (et de ses règles) tel que nous l’avons vu évoluer depuis la chute du mur de Berlin m’apparaît non plus possible, mais très probable.

Je passerai très vite sur l’épisode DeepSeek et le mini-krach des semi-conducteurs et énergéticiens du 27 janvier qui a déjà été évoqué, car la légende d’une IA top niveau conçue dans les sous-sols d’une PME chinoise avec une poignée de développeurs plutôt futés et du matériel Nvidia d’occasion a été débunkée.

Je retiendrai cependant que ce trou d’air a déclenché une véritable fièvre acheteuse dans la tech, illustrant un véritable surgissement du réflexe « buy the dips » chez les actionnaires individuels (« retail investors« ). Ils ont acheté plus de 8 Mds$ d’actions la semaine dernière et une quantité de dérivés astronomique (notamment sur Nvidia, qui avait plongé de 17% lundi) pensant profiter d’une opportunité d’achat à bon compte historique.

Et ils ont remis ça ce lundi 3 février avec le trou d’air des taxes douanières, injectant 3 Mds$ dans le marché, et nous n’avons pas encore de statistiques pour mardi avec l’envolée de +24% de Palantir (ni ce mercredi avec les -7,3% sur Alphabet).

Palantir fait exploser les limites du connu en termes de valorisation : certes, le chiffre d’affaires ressort en hausse de 36% sur un an, et le bénéfice grimpe de près de 40% (à 460 M$). Mais toujours sur un an, le cours est multiplié par plus de 7 (il est passé de 14,80 $ à 106,80 $) et les +50 Mds$ de capitalisation rajoutés en une seule séance le 4 février représentent 13 ans du chiffre d’affaire prévu en 2025 !

Le titre affiche un peu plus de 242 Mds$ de capitalisation et passe devant IBM avec 241 Mds$, mais avec 6 Mds$ de profit (13 fois plus).

Palantir se paye désormais 60 fois son chiffre d’affaires estimé pour 2025, 200 fois les bénéfices (estimés également, car pour les profits 2024, c’est plus de 400 fois).

Tous les « cadres » ont depuis longtemps volé en éclats et, au lieu de voir le titre se stabiliser sur le « fait accompli » de bons chiffres déjà surpayés, les analystes se livrent à une concurrence effrénée pour délivrer les objectifs de cours les plus stratosphériques.

Bank of America par exemple a relevé le sien de 90 $ à 125 $ (soit +38%), soit possiblement 285 Mds$ de « capi » d’ici fin 2025, donc plus de 75 fois son chiffre d’affaires annuel.

Jamais une telle valorisation n’avait été atteinte en l’an 2000 sur une entreprise de plus de 50 Mds$ de « capi » (certaines small caps ont en effet valu « n’importe quoi », mais pas les technos qui pouvaient rivaliser en taille avec le « top 100 » du S&P 500).

En revanche, nous retrouvons certaines caractéristiques psychologiques qui ont rendu criante la bulle des « dot.com », citons pêle-mêle :

Dans quel genre de marché de tels prétextes et un tel scénario de cours progressant 15 fois plus vite que les profits sont-ils possibles ?

Et pendant que Wall Street semble aspiré vers ses records absolus comme si la prospérité, l’harmonie et la prospérité régnaient sans partage sur la planète, Donald Trump se propose de disposer à sa convenance de la bande de Gaza au nom des Etats-Unis, comme s’il s’agissait d’un nouveau terrain à bâtir sur la côte de la Floride. Une sorte de Mar-a-Lago, mais en beaucoup plus étendu, avec la possibilité d’en faire un mix de la Côte d’Azur et d’Atlantic City (sans oublier d’exploiter un peu de gaz au large, dans des eaux devenues miraculeusement américaines).

En ce qui concerne les deux millions de Gazaouis qui n’ont plus de toit, plus d’eau courante, plus d’hôpitaux, pourquoi ne pas les « installer » (ne dites surtout pas « déporter », car Trump pense qu’il s’agit pour eux d’une opportunité historique de repartir sur de bonnes base) chez le voisin égyptien qui ne veut d’eux à aucun prix – tout comme la Jordanie ou la Syrie, un pays en plein chaos (il y peut-être une piste à creuser, il n’y a plus d’Etat digne de ce nom pour s’opposer à quoi que ce soit) ?

Mais surtout, sur le plan du droit international, comme les Etats-Unis pourraient-ils prétendre à la fois s’emparer de Gaza (et pourquoi pas du Panama ou du Groenland, certains s’y attendent) et exiger de la Russie qu’elle restitue la Crimée « annexée » (avec le consentement de 85% de sa population) ou les oblasts du Donbass à l’Ukraine ?

Et quel argument pourrait opposer Washington à la réintégration pleine et entière de Taïwan sous administration chinoise, Pékin exerçant une souveraineté que le droit international lui reconnaît, sauf les Etats-Unis, sans oublier les îlots de mer de Chine revendiqués par le Japon ?

Comment Donald Trump pourrait-il alors contester les ambitions territoriales turques sur le Kurdistan syrien, puis sur la haute vallée de l’Euphrate ? Ou celles du Pakistan, un allié de la Chine, sur le Kashmir ? Ou de n’importe quelle puissance « forte » sur sa voisine jugée « faible » (le minuscule Rwanda s’attaque actuellement à l’immense RDC) ?

A ce niveau d’inconséquence de la part de Donald Trump, il faudrait trouver une image bien plus ébouriffante que la boîte de Pandore.

Wall Street réalise-t-il la gravité de la situation, ou toute son attention n’est-elle mobilisée que par la trajectoire parabolique de Palantir ?

La réalité – et espérons que Wall Street ait raison – c’est que Trump balance des énormités digne d’un « pilier de bar » passablement éméché. A force, personne ne le prend au sérieux parce qu’il ne va jamais jusqu’à déclencher une bagarre générale dont il pourrait incidemment devenir la principale victime.

Mais s’agissant d’Israël, où Trump se pense chez lui (et non dans un saloon), allez savoir s’il ne va pas dégainer son « 6 coups » ?

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