La Chronique Agora

Des tyrans et des foules

Military parade taking place on a city street with soldiers in uniform marching in formation holding american flags

Donald Trump a eu droit à sa parade. Pas d’émeute, pas de martyre, pas de tanks défiés par des citoyens héroïques. Juste une mise en scène un peu fade, alors que tout le reste de son programme s’enlise dans le désordre, le juridisme et les idées farfelues.

Les derniers jours ont été denses.

Israël a attaqué l’Iran. Les prix du pétrole se sont envolés. La Bourse américaine a sombré dans le rouge. L’armée a été déployée à Los Angeles. Un sénateur a été malmené en Californie. Et en Floride, les autorités ont promis une escalade dans la violence.

Le Latin Times rapporte :

« Wayne Ivey, shérif de Floride, qui a menacé de tuer des manifestants opposés à ICE – l’agence fédérale chargée de l’immigration et des douanes – traîne un lourd passé de corruption, de profilage racial et de clientélisme électoral.

La menace a été proférée lors d’une conférence de presse jeudi. Elle a suscité des vivats parmi les partisans de Trump, et une vive condamnation ailleurs. Cet épisode viral a ravivé le souvenir des accusations de corruption qui le poursuivent depuis 2018. »

Mais samedi, Donald Trump a enfin eu droit au défilé dont il rêvait.

The Washington Post :

« Samedi, le président Donald Trump a obtenu le défilé qu’il a toujours voulu : une grand-messe militaire et patriotique, déroulée sur le National Mall à l’occasion de son 79e anniversaire.

Le tout sur fond de ciel gris, en conclusion d’une des semaines les plus agitées de sa présidence : troupes dans les rues de Los Angeles, missiles tirés au Moyen-Orient, et, moins de 24 heures avant la parade, l’assassinat ciblé d’une députée locale et de son conjoint dans le Minnesota. »

Certains allaient jusqu’à attendre un « moment Tian’anmen » : un manifestant courant dans la rue pour se poster devant un char, le défiant de lui passer dessus. Mike Benz précise :

« Le manuel de la CIA sur les émeutes, datant de 1983, recommande aux agitateurs de ‘créer un martyr pour la cause’ en poussant les manifestants à une confrontation avec les autorités, afin de ‘provoquer des émeutes ou des tirs susceptibles d’entraîner la mort’ d’un manifestant – une mort ensuite utilisée pour attiser des troubles de plus grande ampleur. »

On imagine sans peine les caméras se tournant vers M. Trump. Il se lèverait alors, esquissant un signe de la main – pouce levé ou baissé. Quelle que soit la direction du geste, le drame retiendrait l’attention du monde entier, prouvant que les Etats-Unis étaient devenus aussi décadents que la Rome antique… ou, selon les points de vue, qu’ils n’allaient pas si mal, finalement.

Mais rien de tout cela ne s’est produit. Le défilé, en comparaison, semblait même un peu fade. La seule victime mentionnée dans la presse ne faisait partie ni du cortège ni de ceux qui s’y opposaient : c’était un simple passant, abattu par erreur, semble-t-il, par un « gardien de la paix » un peu trop nerveux.

Le fait que l’ensemble de l’agenda présidentiel – hormis le défilé – ait été jugé illégal, inefficace ou encore inexécuté n’a évidemment rien arrangé. Chaque semaine apporte son lot d’initiatives farfelues. Et, la semaine dernière encore, la justice américaine a statué que le président Trump avait une fois de plus outrepassé son autorité constitutionnelle en prenant le commandement de la garde nationale californienne.

Les adjectifs « unique » ou « sans précédent » reviennent souvent pour qualifier l’administration Trump. Nombreux sont ceux qui affirment que nous évoluons en « territoire inconn ». Mais il suffirait de ressortir les vieilles cartes : tous les récifs et hauts-fonds y sont déjà signalés. Et pourtant, nous les percutons quand même.

Aristote, pour sa part, favorisait les monarchies, les aristocraties et les républiques constitutionnelles. Mais lorsque ces régimes se dégradaient, disait-il, ils donnaient naissance à des tyrans, des oligarchies ou des démocraties dégénérées. Selon lui, les peuples se tournent vers des tyrans lorsque les élites les méprisent et que le gouvernement devient largement dysfonctionnel. Mais être un « tyran » n’est pas nécessairement une tare. Il y eut de mauvais tyrans – tel Dracon, à l’origine du mot « draconien » – et de bons, comme Solon.

Donald Trump correspond assez bien à cette figure du tyran : un chef populiste, rustique, un « grand homme » élu pour « rendre à l’Amérique sa grandeur » – ce qui signifiait tourner le dos au New York Times, à Harvard, à l’ONU et à d’autres bastions du pouvoir élitiste.

Les avis restent partagés. Trump est-il un bon tyran ? Un mauvais ? Un tyran tout court ? Les masses, elles, ont jubilé lorsqu’il a baissé son pantalon pour faire un geste obscène en direction de ses propres fesses. Ce numéro a fait frémir les victimes du « syndrome de dérangement Trump ». Mais les partisans de MAGA ont adoré. S’il s’en était tenu à ce genre de spectacles, son mandat aurait peut-être été un franc succès.

Mais au lieu de rester dans la mise en scène façon catch télévisé ou dans la réalité contrôlée de The Apprentice, M. Trump a voulu imposer son programme au monde réel : déficits accrus, volonté de saisir le Groenland, guerre tarifaire réciproque, budget militaire en hausse, déportations massives, crypto-mania autour du DOGE – un mélange d’échec et de farce, de tumulte et de posture dramatique.

Mais rien qui justifie la présence d’une fanfare.

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