La Chronique Agora

Trump a-t-il trafiqué les chiffres de l’emploi américain pour manipuler Wall Street ?

Un petit coup de méthode Coué et tout va mieux – surtout sur l’emploi ! Dommage que la réalité économique rattrape les statisticiens d’Etat…

La publication de chiffres très optimistes sur l’emploi, la semaine dernière, aux Etats-Unis, en a surpris plus d’un. Selon le Bureau des statistiques de l’emploi (BLS), les Etats-Unis avaient créé 2,5 millions d’emplois en avril, là où le consensus des analystes tablait sur un effondrement de plusieurs millions.

Il n’en fallait évidemment pas plus pour que Donald Trump se réjouisse comme un enfant de ces chiffres miraculeux, et affirme que les marchés avaient raison depuis plusieurs semaines : le rebond d’activité sera rapide. Une belle reprise en « V » s’annonce.

Les enjeux politiques d’un retour à la confiance

On comprend bien la rationalité politique qui se cache derrière cet enthousiasme. En pleine période électorale, Donald Trump a besoin de bonnes nouvelles pour assurer sa réélection.

Entre le coronavirus et la contestation de la police et de l’ordre ambiant, l’exercice ne se présente pas sous les meilleurs auspices. Alors un petit coup de méthode Coué n’est pas de refus ! On sort des chiffres de l’emploi miraculeux, puis on répète en boucle que la reprise sera rapide.

Même si c’est faux, ça ne peut pas faire de mal à l’économie. Et après tout, le pire n’est jamais sûr.

Les marchés y ont cru

Sur le fond, Wall Street en rêvait, et a avalé tout crus ces chiffres prometteurs, même si les évidences plaidaient contre leur véracité. Le « choc de création d’emplois » aux Etats-Unis a fait bondir le CAC 40 de plus de 3%, et le Dow Jones de plus de 2,5%. On n’en demandait pas plus : un bon chiffre se traduit par une surréaction positive des marchés.

Dans ces moments-là, les investisseurs ont bien compris qu’il ne fallait pas bouder son plaisir en se posant trop de questions incongrues. Il faut prendre ! Et les marchés ont pris. Encore un jour de bonheur arraché au grand livre de la tristesse boursière qui s’annonce…

Les chiffres du chômage étaient truqués

Petit problème : les statistiques officielles américaines étaient fausses et ne reflétaient pas la réalité du chômage. Comme l’a indiqué BFM Business, des personnes étaient comptabilisées comme travailleurs alors qu’elles étaient sans emploi.

Le BLS a publiquement confessé son erreur quelques jours après la fausse annonce, écrivant :

« Une hypothèse pourrait être que ces 4,9 millions de travailleurs supplémentaires qui ont été inclus dans cette catégorie auraient dû être classés comme chômeur mis en disponibilité temporairement.

Si ces travailleurs étaient plutôt considérés comme des chômeurs temporairement mis en disponibilité, le nombre de chômeurs en mai en base non corrigée des variations saisonnières augmenterait de 4,9 millions, passant de 20,5 millions à 25,4 millions. »

Vous avez bien lu, le gouvernement américain a « oublié » de compter cinq millions de chômeurs en avril. Cela tombe bien, parce que cette légère a permis d’afficher un recul du taux de chômage là où il atteignait en réalité 16%.

Certes, 16%, c’est mieux que les 19% attendus par les analystes, mais c’est quand même 1,3 point de plus que le mois précédent. La différence est sensible et montre que les réactions des marchés reposent sur des éléments irrationnels.

Les marchés restent très turbulents…

On ne saurait donc trop mettre en garde contre les turbulences à venir des marchés, qui s’imposeront une fois que les différents éléments techniques auront épuisé leurs effets.

Ce n’est pas le propos ici d’expliquer en détail les raisons pour lesquelles les marchés s’emparent de n’importe quelle information bidon ou invraisemblable pour pousser des feux. Mais il est un fait que si les marchés surréagissent positivement, c’est par un intérêt temporaire qui aura une fin, soit en juillet, soit en octobre.

Tôt ou tard, quoi qu’en dise par calcul l’administration Trump, les fondamentaux de l’économie, qui sont mauvais, risquent de nuire profondément aux profits boursiers. Disons même que les ingrédients sont réunis pour une crise en « L », c’est-à-dire avec une stagnation longue, très loin des scénarios idylliques que la presse française aime à propager comme un charbonnier brûle des cierges dans une église.

Il faut ici avoir bien conscience que l’asymétrie d’information entre le petit porteur qui joue ses économies sur le CAC 40 et le fonds d’investissement qui a une vision quasi-transparente du marché est particulièrement importante. Les seuls bons indicateurs économiques qui peuvent justifier un retour en Bourse sont truqués.

La réalité est dure à entendre, mais elle est têtue : pour des raisons techniques, les cours finiront pas rejoindre asymptotiquement l’activité réelle en 2020, probablement à l’automne. Et gare à ceux qui auront aidé les fonds à se refaire une santé avant l’été. Ils seront alors perdus en rase campagne.

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