L’image de la grenouille que l’on fait bouillir à petit feu est une parfaite illustration de la situation actuelle – et l’histoire ne finit (évidemment) pas bien…
Je pense que vous avez remarqué : pour ceux qui sont en charge des affaires, les fondamentaux sont toujours bons, solides. Ce sont uniquement des facteurs temporaires ou exceptionnels qui font que rien ne tourne rond.
En tant qu’observateur, j’ai exactement la conviction opposée : les fondamentaux sont détestables, et seuls des remèdes plus ou moins cosmétiques permettent de faire croire que tout va bien.
Le fond est pourri et dessus on met une couche de cosmétiques. Le fameux « cochon au rouge à lèvres » des Américains…
L’enjeu de ces opinions opposées, c’est la crédibilité.
Les responsables veulent faire croire qu’ils ont la situation en main, qu’ils sont compétents, que leurs théories sont bonnes, que ce qu’ils font est bien et que ce qui ne va pas… c’est le peuple qui en doute. Ce peuple qui est primaire, ringard et conforme à son essence, c’est-à-dire… populiste.
Les récits employés par les autorités tournent toujours autour des mêmes choses :
- C’est temporaire, cela ira mieux après ;
- si cela ne marche pas c’est parce que l’on n’en a pas fait assez ;
- le jeu sur le temps, il faut laisser le temps au temps ;
- vous ne comprenez rien, nous allons mieux expliquer ;
- nous savons mieux que vous, il y a des choses que l’on ne peut vous dire ;
- etc.
Les crises ne s’arrêtent pas
Ce qui renforce ma crédibilité de critique, c’est le fait que les crises ne cessent de se répéter et de se rapprocher sous des formes variées. Chaque fois, il faut augmenter les remèdes cosmétiques et les conséquences non voulues, négatives, se multiplient.
La science sociale n’en est pas vraiment une, mais quand on pense juste on a de l’avance sur les autres. Je suis en avance depuis le début des années 2000 !
Au fil du temps la balance entre les avantages et les inconvénients des actions des responsables se déséquilibre. Les remèdes sont de moins en moins efficaces – comme le monétaire, par exemple, et il faut à chaque fois franchir de nouvelles lignes, violer de nouvelles frontières.
Au fil du temps, ce sont les principes de nos sociétés qui sont détruits, bafoués, sans que personne n’ait voté pour cela. La destruction, la perversion se font en continu selon le fameux conte imagé de la grenouille dans une casserole d’eau bouillante. Cette malheureuse grenouille victime du gradualisme… A force de glisser sur la pente, on en arrive à des situations où le bien-fondé des actions entreprises finit par disparaître sans que l’on s’en aperçoive.
En 2008 et 2009, les banquiers centraux ont agi pour sauver l’ordre social en utilisant des remèdes monétaires exceptionnels afin de déboucher les canalisations financières colmatées.
Par la suite, ils n’ont pas osé supprimer ces remèdes, pas osé sevrer le système, de peur de rechute. Ils ont continué pendant plus de 10 ans au point que maintenant, les inégalités s’étant creusées, nos ordres sociaux sont en danger comme en 2009 !
Politiques de Gribouille
Toutes les politiques suivies s’analysent comme des politiques de Gribouille, lequel se jetait à l’eau pour ne pas être mouillé par la pluie.
Ainsi, pour lutter contre la crise de surendettement spéculatif, on a produit de nouvelles dettes qui ont déchaîné la spéculation bullaire ; quand on est tombé dans le trou budgétaire, on a creusé encore plus profondément, et ainsi de suite.
C’est un modèle général que celui qui consiste, quand on est victime d’un déséquilibre, à déséquilibrer encore plus.
Le meilleur exemple étant le déséquilibre entre le capital et le travail : il y a un déficit de la demande, le pouvoir d’achat des salariés est insuffisant pour faire tourner la machine économique. Eh bien que fait-on ? On pratique l’austérité salariale et on impose les réformes qui font baisser le pouvoir d’achat.
Il y a trop de capital qui exige son profit et sa mise en valeur. Eh bien que fait-on ? On fait « buller » les bourses – lesquelles réclament toujours plus de profit, comme les ogres des contes pour enfants.
Il y a comme une malédiction qui est incluse dans l’action des responsables. J’y reviendrai un jour.
La géopolitique en illustration
Je pense que l’on devrait dans les analyses généraliser le concept d’engrenage, car c’est un concept très riche à fort pouvoir explicatif.
Nous sommes dans un terrible engrenage ; c’est la logique mécanique ou dialectique, mais fatale, de cet engrenage complexe qui maintenant nous conduit, nous broie. Ce n’est plus la volonté consciente des hommes qui nous dirige.
Le plus net – mais ce n’est qu’un exemple parmi 1 000 –, c’est ce qui se passe en géopolitique depuis la fin de la phase de montée de la globalisation : la coopération et le multi-latéralisme sont morts et, peu à peu, sur tous les fronts, la guerre se prépare, s’enracine, devient une fatalité. Compte tenu du fait que cela peut durer 10 ans, personne n’a conscience claire de ce qui, par l’engrenage, se prépare.
Les engrenages ont quelque chose d’inexorable, de kafkaïen. C’est là que la connaissance de l’Histoire ou la culture historique prennent toute leur importance ; elles permettent de dépasser les médiocres gouvernances à base d’économisme et de comptabilité.
Ainsi, le résultat est que peu à peu tout dysfonctionne ; l’absurde s’installe ; il faut tout surveiller, tout contrôler, tout réprimer. La force, la violence remplacent peu à peu les consensus et les cohésions. Le mensonge remplace la vérité.
Si cela allait aussi bien alors pourquoi tordre tous les principes, supprimer les libertés, mentir à longueur de journée, rogner sur tout et, pour couronner l’ensemble, rejeter hors du jeu démocratique ou républicain une masse sans cesse plus considérable de gens ?
Pourquoi réduire sans cesse la base de soutien de nos systèmes, pourquoi cette délégitimation en continu ?