La Chronique Agora

Taux négatifs : la fin de la complaisance

Photo du centre Edmond J Safra pour l'éthique de Harvard

Photo du centre Edmond J Safra pour l'éthique de Harvard

Petit à petit, des voix s’élèvent contre les taux négatifs – et elles viennent du sein même des institutions financières.

Des doutes sur les taux d’intérêt négatifs commencent à faire surface parmi les décideurs du continent européen – où lesdits taux négatifs sont apparus pour la première fois il y a cinq ans.

Un nombre croissant de responsables de la BCE à Francfort commencent à se demander s’ils font plus de mal que de bien ; la Riksbank suédoise semble quant à elle désespérément vouloir s’en débarrasser complètement.

Peu à peu, la presse – qui prend sous la dictée et recopie les dépêches – prend en compte la rébellion contre les taux négatifs.

Les commentateurs n’en sont pas encore arrivés au point de comprendre que c’est l’ensemble de la démarche de lutte contre la crise qui est idiote, contre-productive et inutile… mais on est sur la bonne voie.

Ils ne comprennent pas que l’on ne lutte pas contre la saturation de dette par encore plus de dettes ; que la politique monétaire ne créée que de la monnaie morte ; que ce ne sont pas les signes monétaires qui produisent le réel ; que ce ne sont pas les banques centrales qui font la monnaie vivante mais les échanges économiques.

Ils ne comprennent pas la vraie monnaie

Ils ne comprennent pas que la vraie monnaie mondiale leur est totalement inconnue. C’est-à-dire qu’ils ignorent que la vraie monnaie mondiale, c’est le « dollar » qui circule et se créée en dehors des Etats-Unis, souvent appelé eurodollar, mais qui peut aussi être asiatique… Ils ne savent pas non plus que c’est lui qui, en se raréfiant inexorablement, est déflationniste.

Bref ni les gourous ni les commentateurs n’ont compris que l’on est dans le culte du cargo, le culte magique.

Le culte du cargo, au passage, est un ensemble de rites qui apparaissent à la fin du XIXème siècle et dans la première moitié du XXème siècle chez les aborigènes, en réaction à la colonisation de la Mélanésie. Wikipédia

Déjà, fondamentalement, on peut et on doit douter de l’objectif des banques centrales : atteindre un taux d’inflation de 2%.

Si Paul Volcker s’en mêle…

Le grand Paul Volcker vient de s’exprimer sur ce sujet à l’occasion d’un livre à paraître ; il démontre à quel point cet objectif est discutable. L’ouvrage de Volcker s’intitule : Keeping at It: The Quest for Sound Money and Good Government [« Persévérer : la quête d’une monnaie saine et d’un bon gouvernement », NDLR].

Volcker critique la politique monétaire actuelle, tout comme l’objectif d’inflation de 2% qui est devenu l’objectif de la Réserve fédérale.

« Je ne comprends pas la raison de ce choix et de cet objectif », écrit-il. « Une cible ou une limite de 2% ne figurait pas dans mon manuel il y a des années. Je ne connais aucune justification théorique. »

Les taux négatifs n’ont pas aidé les banques centrales européennes à atteindre leurs objectifs en matière d’inflation. C’est maintenant une évidence que nul ne peut nier. C’était une évidence théorique – mais jusqu’à présent, elle était réservée uniquement à ceux qui pensaient juste.

Pourquoi continuer ce qui ne marche pas ?

Les banques commerciales ont longtemps crié contre les taux négatifs parce qu’ils réduisaient directement leurs bénéfices en imposant une charge sur leurs réserves de liquidités. Les cris se font de plus en plus pressants.

C’est toutefois le fait que l’inflation est restée obstinément basse qui constitue l’argument le plus efficace – et il laisse penser que la stratégie risque de s’essouffler.

Pourquoi continuer ce qui ne marche pas ?

Réponse : parce que l’on a peur de perdre la face.

Parce que, fondamentalement, les taux négatifs n’ont pas vocation à produire de l’inflation – ils sont déflationnistes puisqu’ils réduisent les revenus des ménages et les obligent à épargner plus pour leur retraite.

Et aussi parce qu’il faut rendre supportables les dettes des gouvernements afin qu’ils puissent s’endetter plus, « rouler » leurs dettes – et ainsi continuer de retarder l’inévitable.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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