La Chronique Agora

Le système bancaire peut-il être sauvé ?

Comment gérer efficacement la survenance de risques extrêmes pour les banques ?

Dans notre précédent article, nous avons vu qu’il ne fallait pas surestimer le risque systémique bancaire en 2023. Nous avons également vu que des dispositifs de sauvetage des banques par leurs « propres moyens » avaient été mis en place durant la décennie 2010 (ce que l’on a appelé les bail-in, par opposition aux bail-out, qui furent des dispositifs de sauvetages publics et parapublics instaurés dans les contextes d’urgence et de survie de la crise financière entre 2009 et 2012).

Tout ceci est très bien, puisque le déposant est relativement protégé grâce à la hiérarchie du risque qui impute les pertes d’un établissement bancaire, d’abord aux actionnaires (détenteurs des fonds propres durs), puis, si nécessaire et en principe, aux détenteurs d’obligations subordonnées (fonds propres additionnels), puis, si encore nécessaire, aux détenteurs d’obligations dites séniors (dette classique de la banque au passif de son bilan). Le déposant est ainsi le « perdant en dernier ressort », d’autant qu’au-delà des contributeurs à l’absorption des pertes de la banque, il existe des pare-feux supplémentaires, avec le fonds de résolution unique européen et le fonds de garantie des dépôts national.

Oui, mais alors, il n’existe pas et ne pourra exister de dispositif permettant de gérer efficacement la survenance de risques extrêmes, et c’est ainsi sans fatalisme aucun. C’est ce que nous évoquions dans un article récent sur les stress tests bancaires, en citant Patrick Artus, patron des études économiques de Natixis :

« Même si les ratios prudentiels des banques sont devenus au cours du temps plus sévères, il faut accepter l’idée qu’ils peuvent protéger les épargnants, les déposants, contre des pertes ‘normales’ des banques, grâce à l’importance des réserves de fonds propres et de liquidités, mais qu’ils ne peuvent pas les protéger contre un ‘bank run’ (une course aux dépôts) qui frappe les banques particulièrement fragiles, et qui conduit les déposants à confier leur épargne à une autre banque.

 Si la confiance des déposants est entamée, ils transfèrent leurs dépôts de la banque à laquelle ils ne font plus confiance vers des banques plus solides, ce qui s’est produit pour la Silicon Valley Bank ou Credit Suisse. Le montant de la perte de dépôt est tel, si un bank run survient, qu’aucun ratio prudentiel ne peut éviter de graves difficultés, voire la faillite de la banque. »

En effet, l’argent des investisseurs actionnaires est limité (on va dire fini pour utiliser une représentation mathématique). De même, l’argent des fonds de garantie et de résolution est fini. Alors il reste bien l’argent dit public, qui devrait être fini mais qui est perçu comme infini (illimité) si les déficits publics sont systématiquement monétisés (financement par de la création de monnaie, comme aux plus beaux temps des QE). Etant entendu que cette création monétaire ex-nihilo est en théorie illimitée, car dans la vraie vie, il existe naturellement une limite, celle de l’hyperinflation et de la perte de confiance définitive dans les monnaies fiduciaires.

Si l’on regarde l’histoire récente des marchés financiers, les exemples les plus emblématiques de bail-outs, qui existeront de tout temps pour pallier les limites des bail-in dans des circonstances de stress extrêmes, sont la nationalisation pure et simple (recapitalisation par l’Etat) et/ou une monétisation quasi-perpétuelle (apport de liquidité à horizon très long par une banque centrale). Dans le premier cas, on résout artificiellement le problème de solvabilité de la banque (cas où l’origine du mal était liée à une insuffisance de fonds propres pour continuer à exister). Dans le second cas, on résout artificiellement le problème de liquidité de la banque (cas où l’origine du mal était liée à une insuffisance de passifs stables pour refinancer son activité).

L’exemple de la nationalisation

Revenons sur une situation en pleine crise financière qui n’a peut-être pas été médiatisée à sa juste importance à l’époque. Il s’agit de la banque néerlandaise SNS.

Nous sommes en janvier 2013, et les actionnaires de SNS Bank vont être expropriés par une nationalisation assez sauvage et surprenante dans un pays qui a quand même une tradition libérale bien ancrée. Par décret de loi, les autorités du pays reprennent autoritairement des titres à leur bénéfice au détriment des actionnaires et créanciers subordonnés, qui perdent tous leurs droits vis-à-vis des signatures SNS Real (le pôle immobilier) et SNS Bank (le pôle retail). Cette nationalisation, aussi sauvage fut-elle, s’inscrit dans le cadre de la loi de résolution des défaillances bancaires votée aux Pays-Bas le 12 juin 2012. Comme quoi, il existe toujours des lois sur mesure qui ne servent nullement l’intérêt collectif, quand bien même le législateur prétend le contraire.

Le coût de 4,7 Mds€ est particulièrement élevé dans un pays qui figure parmi les élèves vertueux en matière de discipline budgétaire.

La facture réelle est en réalité plus lourde, puisque l’Etat va assurer la prise en charge du renouvellement des prêts et des garanties pour 1,1 Md€.

La monétisation perpétuelle

A la même époque, toujours de manière surprenante dans un pays à forte tradition libérale, le gouvernement irlandais avait lancé une procédure de liquidation de l’Irish Bank Resolution Corporation (IBRC). Tous les actifs de l’IRBC devaient être cédés à la banque publique NAMA, laquelle devait émettre des titres pour payer les créanciers de l’IRBC.

Problème : le gouvernement irlandais devait rembourser chaque année sur 10 ans 3 Mds€ à l’IRBC, afin que cette dernière puisse ensuite rembourser les sommes levées à la BCE (reconnaissance de dette de 30 Mds€ signée par l’Etat irlandais à IRBC en 2010, seule façon pour cette dernière de pouvoir continuer à se refinancer auprès de la BCE).

Oui mais voilà : l’IRBC étant liquidée, la reconnaissance de dettes du gouvernement irlandais envers l’IRBC est remplacée par la souscription directe par la BCE d’une obligation d’Etat irlandaise de 40 ans de maturité et portant intérêt à 3%. Là, on est dans du quantitative easing perpétuel, puisque la banque centrale va détenir une obligation d’Etat à 40 ans. On se retrouve ici dans un cas de figure singulier : une dette bancaire est convertie en dette publique qui ne sera jamais remboursée, car elle se retrouve pour très longtemps dans le bilan de la banque centrale.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile