La Chronique Agora

Sur la route de l’Argentine

Argentine, récession, croissance, politique publique

Qu’est-ce qui pourrait bien attendre les économies occidentales, après tant d’interventions étatiques…

Il n’y a que deux façons de résoudre une crise de la dette : l’inflation ou la déflation. Soit la mauvaise dette (50 000 Mds$, selon nos estimations) est effacée, soit sa valeur est éliminée par l’inflation.

La semaine dernière, la Fed a indiqué la voie qu’elle a choisie de suivre. Mais de notre point de vue, cela n’a guère d’importance. La Fed a déjà commencé son « revirement camouflé ». Et même si Wall Street ne s’est toujours pas effondré…. et que l’économie n’est toujours pas officiellement entrée en récession… nos dirigeants sont au bord de la panique.

Pendant ce temps, au bout du monde…

Mais ici, en Argentine, nous sommes déjà plongés dans la crise… entourés d’incompétence… immergés dans la corruption. Cela nous donne un sentiment de déjà-vu… comme si l’avenir des Etats-Unis pouvait être lu dans les pages du Buenos Aires Herald au fil des 70 dernières années.

Plutôt que de spéculer sur ce que fera la Fed dans les mois à venir, nous allons plutôt regarder ce qu’il se passe autour de nous.

Rick Rule nous a invités à ouvrir les yeux sur la situation la semaine dernière. Rick est un vieil ami qui suivait des pumas en Patagonie, et qui a décidé de faire une halte pour nous rendre visite. Il nous a posé la même question que de nombreux lecteurs se posent :

« Vous pourriez vivre n’importe où, mais pourquoi vivez-vous ici ? Oui, cette région est magnifique, de par son côté sauvage. Mais c’est aussi le cas du Wyoming. Et l’inflation n’atteint pas 105 % à Laramie. »

Rick faisait référence au dernier chiffre de l’inflation qui a été publié. Au cours des 12 derniers mois, l’inflation en Argentine est passée de 100% à 105%.

« INDEC : les prix ont augmenté de 6,6% en février, et l’inflation s’élève à 105,8% par rapport à l’année dernière… »

Il s’agit du taux le plus élevé depuis 32 ans. On peut s’attendre à ce qu’arrive ensuite l’hyperinflation. La dernière fois que l’inflation a dépassé les 100%, elle a atteint 5 000%, et il fallait une brouette de pesos pour acheter une tasse de café.

Le peso se déprécie rapidement par rapport au dollar, d’ailleurs. Lorsque nous sommes arrivés il y a tout juste un mois, on nous proposait 370 pesos pour un dollar – sur le marché noir bien sûr. Aujourd’hui, le taux de change est de 392 pour un dollar.

Dysfonctionnement fonctionnel

« J’aimerais aussi savoir comment une économie peut fonctionner avec une inflation de 105 % », nous a interrogé Rick. « Cela semble impossible. Qui va travailler ? Qui vote pour un président qui permet une inflation aussi élevée de se poursuivre ? Comment les gens font-ils pour joindre les deux bouts ? Et pourtant, l’électricité fonctionne. Les aéroports sont ouverts et les avions volent. Les steaks sont épais et savoureux. Le vin est délicieux. On croirait presque que tout va bien. »

Voici ce que nous lui avons répondu :

« Il y a longtemps que les économistes ont distingué le Japon et l’Argentine comme étant des économies qui ne semblaient correspondre à aucun de leurs modèles. Mais il y a des choses qui sont toujours vraies, et partout…

… et, comme l’a dit Milton Friedman, ‘si vous voulez plus de quelque chose, subventionnez-le ; si vous voulez moins de quelque chose, taxez-le’.

Nous ne savons rien du Japon, mais nous venons en Argentine depuis près de 20 ans. C’est un pays riche en ressources. Et en savoir-faire. Mais pauvre en politiques publiques. Ici, on subventionne la pauvreté et on taxe les producteurs. Et ils ont fait de l’Argentine un pays pauvre.

Les gens d’ici sont pauvres. La plupart sont au chômage. Mais il est difficile de trouver des gens pour cueillir le raisin. Il faut presque les supplier de venir travailler. Cela n’a pas toujours été le cas. Même il y a 20 ans, quand nous sommes venus ici pour la première fois [nous étions venus en groupe… avec Rick], ce n’était pas comme ça.

Il suffit de voir Buenos Aires. Il y a des milliers de bâtiments qui sont des reliques de la Belle Époque… une époque où les Argentins moyens avaient l’argent et l’ambition de construire de beaux bâtiments.

Aujourd’hui, certains veulent encore de belles maisons de banlieue… mais la plupart vivent dans les vestiges délabrés de Buenos Aires… ou dans les logements inachevés et improvisés des quartiers périphériques.

Le PIB par habitant n’est que de 10 000 $ par personne. Même les bénéficiaires de la sécurité sociale reçoivent trois fois plus aux États-Unis. »

Quand la musique s’arrête

Nous avons invité Rick dans le salon, où se trouve un piano à queue offert par un ami.

« Ce piano appartenait à Robustiano Patron-Costas. Son histoire en dit long sur ce qui s’est passé ici. C’était un investisseur très dynamique qui est devenu l’un des hommes les plus riches du pays (à une époque où le pays comptait beaucoup d’hommes riches) en réalisant quelque chose de remarquable. Il a développé une vaste industrie sucrière au milieu de ce qui était presque une friche. Il a construit une raffinerie… des maisons pour le personnel… un hôpital… un chemin de fer.   

Il est devenu très riche. Une sorte de Calvin Coolidge gaucho qui représentait les électeurs ‘conservateurs’ qui croyaient qu’ils pouvaient améliorer leur vie en travaillant dur et en dépensant beaucoup d’argent. En d’autres termes, il approuvait ce que nous appelons dans notre dernier livre ‘l’accord gagnant-gagnant’, et désapprouvait tout ce qui s’y opposait.

Mais il y avait autre chose qui était en plein essor, dans la société argentine. A l’époque, les gens pensaient que la démocratie résoudrait tous leurs problèmes politiques… et les idéalistes étaient impatients d’étendre le droit de vote à tous les citoyens. Aujourd’hui, cela semble être la bonne chose à faire. Mais cela a soudainement changé les calculs politiques dans le pays. Les politiciens ont découvert qu’ils pouvaient gagner en faisant appel aux masses d’immigrants de la capitale, Buenos Aires. Et ils les ont séduits en leur offrant divers avantages ‘sociaux’, c’est-à-dire des choses gratuites. 

C’est essentiellement ce qu’ont fait les ‘péronistes’. Et ils ont gagné élection après élection, en promettant toujours plus d’aides, pendant les sept décennies suivantes. De plus en plus d’emplois improductifs. Toujours plus de programmes sociaux. 

Mais attendez… où trouver les financements ? En taxant les riches ! 

Robustiano était l’ennemi idéal. Immensément riche. Vieux jeu. Il représentait l’ordre ancien… les gens qui s’étaient enrichis avant que le gouvernement ne commence à gérer activement l’économie.   

Il a été accusé d’exploiter ses ouvriers (qui n’avaient auparavant ni emploi, ni éducation, ni revenus, ni soins de santé). Son club à Salta a été confisqué par le nouveau gouvernement de gauche. La situation politique est devenue si tendue qu’il a dû s’enfuir en Uruguay.

A partir de ce moment-là, les catastrophes se sont succédé.

Croissance, récession, croissance à nouveau… Inflation, krach, défaut de paiement, coup d’Etat, prise de pouvoir par l’armée, guerre, nouvelle monnaie, nouveau gouvernement, inflation à nouveau.

Quelle aventure !

Après sept décennies, les Argentins ont appris à survivre, mais pas à prospérer. »

Notre conseil : investissez dans les brouettes.

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