Plutôt que de parler de ce qui se passe en Ukraine et qui pourrait ne plus être d’actualité dans une heure, cherchons dans nos livres d’Histoire si une guerre similaire ne s’est pas déjà produite…
Ce qui se passe en Ukraine devrait probablement nous intéresser. En à peine un mois, ce pays a davantage attiré l’intérêt du monde entier qu’au cours des 2 000 dernières années.
Tous les gros titres nous implorent d’y prêter attention.
Pratiquement tous les chroniqueurs nous racontent pourquoi on doit faire la différence entre les démoniaques séparatistes russes du Bassin de Donetsk et les croyants et amoureux de la démocratie de la vallée du Dniepr.
A part ça, nous en savons peu… mais bien plus que nous ne le désirions.
Nous sommes contre !
A la Chronique, nous n’avons aucune opinion concernant la politique étrangère, sauf que nous sommes contre.
Nous ne la comprenons pas. Mais si nous devions nous y intéresser davantage, nous la comprendrions encore moins. La science, la logique et la poésie sont toutes d’accord : vous ne pouvez être une chose et la regarder en même temps.
En tant que strict observateur, nous remarquons qu’il vaut presque toujours mieux éviter les politiques publiques, en particulier les politiques étrangères. Que les autorités affirment combattre l’inflation… ou sanctionner les Russes… les résultats seront décevants.
« Stupéfiés par la guerre et l’ampleur de la catastrophe », écrit Jean-François Lecaillon, dans son petit ouvrage bien utile intitulé Les Français et la guerre de 1870, « les contemporains ont été si choqués qu’ils n’ont pu garder la tête assez froide pour en tirer des leçons ».
Ils y participaient. Ils en faisaient partie. Elle les horrifiait. Ils ont tout interprété de travers. Ils ont été victimes de leur propre politique étrangère.
Vous ne savez pas grand-chose, à propos de la guerre de 1870, entre la France et la Prusse ? Pour nous, sa pertinence s’inscrit dans notre mission consistant à relier les points. Or nous identifions dans cette guerre vieille de plus de 150 ans des points qui nous semblent familiers.
Une glorieuse stupidité
La guerre a commencé par un incident diplomatique qui n’était pas particulièrement important. Mais un camp s’est senti offensé. Et puis l’autre aussi. Et ensuite, la « crédibilité » était en jeu. Avant que les Français n’aient eu le temps de dire « ouf », ils partaient en guerre au son du clairon.
Tout cela était très glorieux. Et remarquablement stupide. Les Français de 1870 n’avaient pas plus de raisons d’attaquer l’Allemagne que les Américains de 2022 de se mêler des politiques concernant l’est de l’Ukraine.
D’abord, les Français moyens ont été perplexes. La presse également. Quoi ? Comment ça ? On ne se souvenait pas avoir eu une dent contre le kaiser Guillaume Ier.
Mais, au bout de quelques jours seulement, le moindre doute s’était envolé. Un patriotisme fervent avait pris le dessus. Les jeunes soldats avaient hâte de participer à la guerre avant qu’elle ne s’achève.
Ils ont ainsi marché vers le Rhin, presque heureux à l’idée des rutilantes médailles qui les attendaient. Après tout, ils avaient un Bonaparte à leur tête, un petit-neveu de Napoléon en personne. Et son grand-oncle ne leur avait-il pas donné une leçon, à tous ces Prussiens, Bavarois, Lombards, Espagnols, etc. ?
Mais voilà, l’armée française était terriblement mal préparée à la guerre, en 1870. Ses généraux avaient été formés aux stratégies de la guerre napoléonienne datant de plusieurs décennies. Ils pensaient que c’était « l’esprit combattant » qui déterminait l’issue des guerres… et non l’artillerie de précision.
Les Prussiens, en revanche, avaient envoyé des observateurs étudier de près la guerre de Sécession, quelques années plus tôt. Ils avaient des hommes à Antietam et Gettysburg. L’un d’eux s’était tellement lié à la cause des Confédérés qu’il a fait flotter le drapeau « Stars and Bars » (étoiles et barres) au-dessus de son château jusqu’à sa mort.
« Rappelez-vous le mur de pierre », affirmait Stonewall Jackson [NDLR : Thomas Jonathan Jackson, général des Etats confédérés, lui-même surnommé « mur de pierre »], en rappelant que les progrès des carabines et de l’artillerie avaient fait pencher la balance en la défaveur de l’attaquant : il était désormais celui qui avait le plus de chances de mourir. Le « mur de pierre » protégeait les défenseurs.
Un menu zoologique
Une fois la guerre entre la France et la Prusse terminée… et les souvenir effacés… cette performance a été commémorée dans l’art et la littérature. Une nation a besoin de ses mythes. Les vieux soldats racontaient leurs histoires. Les officiers d’état-major se sont défendus face aux accusations d’incompétence. Le fantassin ordinaire s’est souvenu qu’il avait fait son devoir.
Les batailles ont été brossées sur de gigantesques toiles, montrant les Français parés de leurs superbes uniformes charger les redoutables Huns. Nous avons vu ces tableaux, exposés au Musée d’Orsay, ou dans la galerie des Batailles, à Versailles. Leurs baïonnettes étincelant au soleil, les Français semblent presque invincibles.
Mais cela ne s’est pas passé comme ça.
Il n’y a eu pratiquement aucune charge napoléonienne à la baïonnette. Les Prussiens avaient de meilleures tactiques, de meilleures armes, une meilleure formation et une meilleure organisation. En quelques semaines, ils ont capturé des centaines de milliers de soldats français, y compris l’empereur Napoléon III en personne. L’armée du Rhin a été cernée et s’est rendue peu de temps après.
Ensuite, les Prussiens ont marché sur Paris et l’ont assiégé. Le ministre de l’Intérieur de la nouvelle république, Léon Gambetta, a dû fuir la capitale en montgolfière. Il a rapidement organisé une nouvelle armée pour briser le siège. Entre les soldats français qui se trouvaient à l’intérieur de la ville et ceux qui s’approchaient par le sud, les Prussiens étaient largement surpassés en nombre.
Mais on ne peut constituer une armée moderne en quelques jours. « L’armée de la Loire » n’avait pratiquement aucune formation. La « colonne de secours » a donc été rapidement repoussée et Paris a commencé à être affamé. Les rats sont devenus un mets de choix. Les restaurants huppés servaient des animaux du zoo, en « consommé d’éléphant » ou « civet de kangourou ».
Jour après jour, de nouveaux espoirs naissaient, une nouvelle « rumeur de sortie » montait ! Et jour après jour, c’était la déception : la sortie avait échoué… ou n’avait jamais été tentée.
Finalement, le gouvernement français a capitulé et la guerre s’est achevée.
Mais les mythes ont persisté. La guerre n’avait pas été perdue à cause d’une défaillance de l’armée. Non, se sont dit les gens : c’était une trahison… et non de l’incompétence. A en croire les discours révisionnistes, l’armée aurait été victorieuse si elle n’avait pas été « poignardée dans le dos » par les traitres (mais aucune véritable preuve de trahison n’a jamais été produite).
Et cette incapacité à prendre du recul et à tirer des leçons s’est révélée encore plus désastreuse quelques décennies plus tard, lors de la Première Guerre mondiale.