Avec la fin de la guerre froide, l’Allemagne a pu se concentrer sur ses exportations. Elle paie aujourd’hui le manque d’intérêt pour ses sources d’énergie, et le fera payer au reste de l’Europe.
Les députés écologistes allemands s’étaient copieusement moqués de Donald Trump lorsqu’il avait déclaré : « Je pense que l’Allemagne fait une énorme erreur en se rendant si dépendante du gazoduc Nordstream-II. »
C’était il y a 3 ans jour pour jour… un certain 30 juillet 2019, 3 mois et demi avant qu’il ne soit battu par Joe Biden, un candidat encore plus hostile à la Russie et à Nordstream-II que son adversaire républicain.
Une question d’autonomie
Trois ans après Donald Trump, c’est Reiner Dulger, l’équivalent d’un porte-parole du Medef allemand, qui dénonce « le manque d’autonomie énergétique du pays ».
Un doux euphémisme, puisque début 2022, l’Allemagne n’importait pas moins de 55% de son gaz depuis la Sibérie, c’est-à-dire auprès d’un fournisseur hégémonique nommé Gazprom.
Et comme pour rafraîchir la mémoire à l’ex-leader des « verts » devenu ministre de l’Economie, Reiner Dulger rappelle les mises en garde de l’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt dans les années 1970 : « Nous ne devons pas dépendre du gaz russe pour plus de 30%. »
Les écologistes rétorquent avec un certain bon sens qu’à l’époque, l’Europe de l’Est était soviétique, la guerre froide battait son plein, l’Allemagne n’était pas encore réunifiée… et Moscou considéré comme la menace ultime.
Peu d’économistes pariaient que le principal partenaire industriel et commercial de l’Allemagne au XXIème siècle serait la Chine, loin devant les Etats-Unis, la France et l’Italie.
Helmut Schmidt n’osait certainement pas rêver de voir les ex-satellites soviétique, comme la Pologne et la Slovaquie, puis les pays baltes, devenir les sous-traitants privilégiés de l’Allemagne réunifiée.
Ni de bénéficier d’un gaz et de matières premières importées de Russie moins cher que du temps des Soviets, grâce aux oligarques qui ont largement bradé les ressources de leur pays aux Occidentaux.
Ni de jouir du double privilège d’un euro sous-évalué de 20 à 25% à l’export, mais dont la valeur serait multipliée par trois face au rouble en 10 ans (de 30 à 90), avant une rechute sous 60.
Et la dépendance grandissante énergétique vis-à-vis de la Russie ?
Le commerce ou la guerre
Les Allemands se sont fiés à l’adage qui veut que deux pays qui renforcent leurs liens commerciaux ne guerroient pas. Les contre-exemples sont en effet peu nombreux, il ne m’en vient même pas un à l’esprit depuis le début de l’ère industrielle.
Un certain Frédéric Bastiat a écrit que, quand les « marchandises ne traversent plus les frontières, les soldats ne tardent pas à le faire ».
Grâce à la fin de la guerre froide, l’Allemagne a réussi à réduire des deux tiers ses dépenses militaires, jusqu’à ne plus représenter que 1,2% de son PIB.
Une fois la réunification digérée – en à peine une décennie –, l’Allemagne a pu se concentrer sur ce qu’elle sait faire le mieux : exporter.
Avec ce qui constituait pour elle un alignement idéal de planètes au cours des 20 dernières années, l’Allemagne n’a cessé d’engranger des excédents face à l’Italie (pour laquelle l’euro est symétriquement surévalué de 20 ou 25%).
Tant qu’elle affichait une balance commerciale positive, elle n’était pas tentée de se préoccuper de l’ardoise qui s’alourdissait du côté de l’Italie du fait du déséquilibre de la balance des paiements entre les deux pays : il n’y avait aucune urgence à traiter le problème.
La fin des excédents
Maintenant que la facture énergétique désintègre les excédents et que le commerce extérieur se solde par des déficits, les Allemands se trouvent brutalement tiré de leur « rêve bleu » : il est grand temps de faire rentrer de l’argent par d’autres canaux… et de solder certains passifs.
Car les contribuables allemands vont devoir mettre de leur poche pour finir de payer la nationalisation de Gazprom Bavaria (9 à 10 Mds€), puis le sauvetage du distributeur d’énergie Uniper, filiale du groupe finlandais Fortum (l’un des principaux acheteurs de gaz auprès de Gazprom).
Uniper n’est plus approvisionné qu’à 40% du débit pré-sanctions européennes par le géant russe et doit puiser dans ses réserves depuis des semaines, tout en se procurant du gaz au « prix marché » pour honorer ses engagements auprès des industriels germaniques (le coût est estimé à 30 M€ par jour).
Une faillite d’Uniper, pourrait « avoir un effet systémique » sur le marché de l’énergie allemande et « nous ne pouvons pas laisser cela se produire », avait indiqué le ministre de l’Économie et l’ex-leader écologiste, Robert Habeck, le 5 juillet dernier.
La grande question c’est : quand l’Allemagne va-t-elle commencer à remettre à plat les comptes face à l’Italie ?
Elle va probablement attendre le déroulement des législatives anticipées fin septembre et la formation d’un nouveau gouvernement de coalition (forcément) d’ici mi-octobre.
C’est là que les problèmes de déséquilibres de l’Italie vis-à-vis de l’Allemagne risquent de devenir le nouveau problème de l’Europe toute entière, tout comme le tarissement des flux gaziers (notons que, les uns après les autres, les pays européens refusent d’appliquer le plan de réduction de 15% de réduction de la consommation concocté par Bruxelles pour complaire à Berlin)…
L’Europe découvre déjà la conception très germanique de la « solidarité » : pas un euro pour la Grèce en 2012, pas un euro pour l’Italie en 2020… mais, quand il n’y a plus un atome de gaz russe, tous les « partenaires » de l’Allemagne (l’Italie et la Grèce retrouvent comme par magie ce statut flatteur) sont sommés de faire preuve de sobriété énergétique pour que les usines allemandes continuent de tourner.