La Chronique Agora

Le sacrifice de l’empereur

Tous les risques monétaires, économiques et financiers sont désormais rassemblés, canalisés, redirigés… vers le dollar US.

Comme je l’expliquais hier, les politiques financières et monétaires actuelles vont toutes dans la même direction – parce que les risques du monde entier remontent peu à peu au niveau de la pierre angulaire du système actuel : le dollar américain.

C’est la contrepartie systémique de l’impérialisme : l’empereur doit se sacrifier pour assurer la sécurité. Il ne peut plus se désengager.

Le système se clôt sur lui-même, le maître est aussi vulnérable que l’esclave. Certes, il exploite, il draine les ressources – mais comme tout son système domestique s’imbrique peu à peu dans le mondial, il perd son autonomie, ses capacités d’adaptation internes et il doit s’adapter à ce qui se passe à l’extérieur.

D’une certaine façon, Jerome Powell a dû ouvrir les robinets pour éviter l’asphyxie de la Chine et la mise en danger de son système bancaire, financier et monétaire. Eh oui !

L’interconnexion est telle, l’architecture du système est telle, les besoins en « dollars » hors USA sont tels que tout est en dernière analyse assumé par la banque centrale américaine… sans que ce soit perçu ou dit.

Si le monde extérieur se met en risk off, si le système bancaire mondial fait la grève de la production de « dollars » virtuels, la Fed est obligée de céder et de rouvrir les robinets.

Un géant aux pieds d’argile

Le dollar n’est pas la monnaie la plus solide, non : c’est – et ce sera – la monnaie la plus exposée. Voilà la vérité que les marchés n’ont pas encore perçue. C’est la Fed et les contribuables américains qui supportent et prennent en charge le risque mondial ; ce sont eux qui sont les assureurs du monde. A l’abri de ce parapluie, on peut danser comme si le risque n’existait pas… alors qu’il est suprême.

C’est là qu’on mesure l’imbécilité de Trump, qui n’a pas compris le monde dans lequel nous vivons : il augmente les risques du monde sans savoir que c’est lui qui, si le risque se réalise, va payer.

La Fed n’a aucun choix ; elle en a même de moins en moins – c’est marche ou crève.

La bulle gonflera, elle va continuer de se multiplier, de se diversifier, et le risque va continuer à gonfler davantage. La dynamique des bulles est de plus en plus puissante. Irrésistible.

Fiasco et renonciation

Du point de vue des bulles, 2019 a été un fiasco absolu pour les banques centrales. Alarmés par les bulles vacillantes – chute de 20% des Bourses en quelques jours fin 2018 – les banquiers centraux ont paniqué. Ils ont dû se résoudre à prolonger la « phase terminale de l’excès de bulles » par l’administration imprudente/criminelle de mesures de relance supplémentaires.

La BCE a redémarré le QE. La Fed a commencé 2019 en abandonnant brusquement la « normalisation », puis a terminé avec 400 milliards de dollars de non-QE, le fameux Q4.

Les banques centrales ont réduit les coûts de financement et offert aux marchés financiers spéculatifs des centaines de milliards de liquidités supplémentaires.

Plus important encore, les banquiers centraux mondiaux ont accordé le type de garantie dont les marchés n’avaient fait jusqu’à présent que rêver. Ils ont promis, ils ont préempté les politiques futures : la politique monétaire sera utilisée de manière précoce et agressive pour soutenir les marchés, elle sera dissymétrique. Aucun excès ne provoquera un quelconque degré de restriction monétaire.

Panique haussière

Les marchés d’actifs ont réagi par la folie. Les marchés obligataires mondiaux ont connu un mouvement historique, les rendements s’effondrant au cours de l’été. Les actions mondiales ont terminé l’année sur une crise de panique haussière. Les baissiers sur l’obligataire et les actions ont été « écrasés à mort ».

L’explosion euphorique spéculative de l’année 2019 garantit un recours à l’effet de levier spéculatif excessif. Pourquoi se priver si, comme on dit vulgairement, « il n’y a qu’à mettre ».

La dynamique haussière des prix devient irrésistible. Un problème de liquidité futur est inévitable. La probabilité d’une crise mondiale en 2020 est la plus élevée depuis 2008.

Cela ne veut absolument pas dire que je prédis la crise ; ce n’est pas mon objectif. Je dis qu’une fenêtre de crise est ouverte et qu’elle est encore plus grande, plus large que les précédentes. Rien de plus.

La crise, quand elle montrera sa face hideuse, sera générale à la fois sectoriellement, géographiquement et véhiculairement.

En 2008, elle n’a touché que les financements hypothécaires. La prochaine touchera tout : monnaies, dettes souveraines, actions, obligations, crédit aux entreprises et produits dérivés, immobilier résidentiel et commercial.

Le risque étant partout, il va remonter en chaîne et tout corrompre – jusqu’à l’assureur final du système : les Etats-Unis.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile