Ces 10 Mds € de différence qui font toute la différence… mais promis-juré, on ne vous en parlera pas !
Après des semaines d’omerta, et parce que c’est devenu trop voyant pour le dissimuler en y consacrant 12 secondes en fin de JT à la rubrique « faits divers », la révolte des agriculteurs est devenue un vrai sujet, et même un de ceux qui méritent de faire la « une » du 20h.
Ne soyons pas naïfs : si les directeurs de l’information sont autorisés à y consacrer plus de 5 minutes en « prime time« , c’est que l’Elysée a donné son feu vert, après avoir obtenu que le service public et les chaîne des milliardaires passent allègrement sous silence les manifestations monstres en Allemagne depuis le 7 janvier (tout comme le blocage des Pays-Bas en juillet 2022, puis en mai 2023… en aviez-vous eu vent, rien qu’un tout petit peu ?).
Mais si l’Elysée autorise une couverture médiatique, c’est à condition de ne pas donner une tribune à ceux qui incriminent le rôle de Bruxelles, les 10 Mds€ versés en surplus par la France au titre de la PAC (politique agricole commune), les accords de libre-échange négociés derrière des portes capitonnées et votées par des « commissions » dont la nomination des membres relève des mystères du sphinx.
Des accords qui sonnent comme l’arrêt de mort de filières entières : avicoles, ovines, bovines, mais aussi maraichères ou fruitières, avec une mise en concurrence totalement déloyale avec le lait, le mouton et les pommes de Nouvelle-Zélande, le poulet et le soja brésilien, le blé ukrainien, la pulpe et le jus de tomate chinois et désormais les productions agricoles chiliennes.
Eh oui, en pleine révolte contre les importations en provenance de pays à coût de production très bas (aucun maquis de normes environnementales draconiennes à respecter, usage intensif de pesticides et d’OGM, salariés à 2 € de l’heure), deux « commissions compétentes » viennent d’approuver, ce 24 janvier, un traité de libre-échange entre l’UE et le Chili (le texte qui couvre pas loin de 200 produits – dont une majorité de denrées agricoles – doit être ensuite être approuvé en séance plénière).
Avouez qu’il fallait oser favoriser encore plus d’importations à conditions préférentielles vers l’UE (normes minimales, taxes ultra réduites)… Eh bien, ils osent.
Ils osent tout en fait, car ils mettent en avant la « réciprocité » : parce que la Nouvelle Zélande va naturellement nous acheter des agneaux et des artichauts, le Chili du tournesol et du maïs (qui sont trois fois moins cher importé du Brésil voisin) ?
Question : combien ces gens monnayent-ils la trahison de nos agriculteurs ?
Qu’ils se dépêchent avant qu’ils ne viennent leur demander des comptes avec des fourches… et notamment que deviennent les 10 Mds€ que le contribuable français paye en trop chaque année puisqu’ils ne se voient allouer que 11 Mds € de « subventions » (mais qui a envie de vivre de subventions ?) sur les 21 Mds€ que verse notre pays au titre de la PAC ?
Car le voilà le scandale : année après année, le contribuable français verse en réalité 10 Mds € de « subventions » au concurrent de nos propres agriculteurs qui n’obtiennent quelques subsides qu’en l’échange du respect d’une interminable liste de normes qui enterre tout espoir de rentabilité, d’où des dizaines de productions vendues en dessous du prix de revient (au moindre caprice de la météo qui viendrait réduire le rendement à l’hectare, ou renchérir le coût de l’alimentation animale) et qui mène des milliers d’exploitants à la ruine.
La prolifération des normes met sur la paille la quasi-totalité des exploitants de taille petite et moyenne à travers l’Europe, même en leur redistribuant – un comble – les 10 Mds € du généreux contribuable français.
Mais il restait les « gros », et les fonctionnaires bruxellois ont décidé de leur faire rendre gorge : ce sont les plus grands pollueurs, les plus gros consommateurs d’eau, les plus gros émetteurs de méthane (pour le coup, un vrai gaz à « effet de serre »).
Et les « gros » sont à leur tour en colère : cela se voit et s’entend (tandis que les autres mouraient en silence) avec de spectaculaires opérations blocage d’autoroutes… et la police semble avoir reçu l’ordre de ne pas se mettre en face et d’éviter l’affrontement.
Les « gros » pourraient très bien s’entendre pour venir paralyser Bruxelles (comme ils ont paralysé Berlin) et défoncer les grilles des luxueux sièges du « commerce international » avec leurs tracteurs de 500Cv et 12 litres de cylindrée (un 300Cv et 6,7 litres de cylindrée à 250 000 € prix catalogue, c’est du modèle « tout venant » pour nos céréaliers des grandes plaines en perte de rentabilité face au blé ukrainien).
Ah oui, justement, les engins agricoles, parlons-en, c’est que c’est très polluant, ces bêtes-là : ça émet des kilotonnes de CO2 et ce n’est pas bon pour le réchauffement de la planète.
Allez ensuite expliquer aux armadas de pseudo experts en dérèglement climatique et en chasse aux pollueurs – qui ânonnent le mantra sur la décarbonation – que l’on injecte du CO2 dans les serres afin d’augmenter de 20% la production de fruits et légumes, sans ajouter un kilo d’engrais azoté… parce que le CO2, c’est un composant vital pour le développement de pratiquement toutes les espèces végétales, sous toutes les latitudes.
Toute ceci est rigoureusement ignoré des équipes de journalistes parisiens envoyés « en terre inconnue » interroger ces quasi extra-terrestres dont ils découvrent qu’ils vivent avec 700 € par mois en moyenne dans le sud-ouest de la France (ce sont pourtant des nantis… l’Europe ne leur verse-t-elle pas 11 Mds€ de subventions ?), soit la moitié du SMIC.
Comme quoi, on peut s’en sortir avec très peu en province, avec quelques poules et un potager… à l’exception toutefois de ceux – accablés par leur endettement – qui se suicident, à une cadence de deux par jour depuis un an.
Des journalistes sont donc autorisés à recueillir leurs revendications… et après des décennies de gabegie, elles sont tellement nombreuses que l’on s’y perd rapidement.
Et lorsqu’un céréalier commence à essayer d’expliquer la véritable usine à gaz des mécanismes de compensation intra-européens (PAC) qui nous coûtent en réalité 10 à 11 Mds € par an (alors que c’est open bar pour le blé ukrainien), on perd très vite pied et seul un énarque – ou un super haut fonctionnaire de Bruxelles – semble doté d’un cortex suffisamment complexe pour trouver le cheminement des subventions dans le labyrinthe technocratique de la PAC, et nous expliquer pourquoi il ne retombe dans la poche de nos propres agriculteurs que sous la forme d’une aumône, faisant de la majorité d’entre eux, la corporation la plus pauvre de notre pays.
Des super-technocrates qui ont réussi à faire passer la France de première puissance agricole européenne et grande exportatrice à un statut d’importatrice nette en 2023.
Et en 20 ans de PAC et de « subventions », la France est passée du deuxième rang au cinquième rang des exportateurs mondiaux de produits agricoles. Cette cinquième place est menacée par les Pays-Bas (si ce n’est déjà chose faite).
La France importe désormais près de 63 Mds€ de denrées alimentaires, soit 2,2 fois plus qu’en 2000 :
- 50% des poulets que nous consommons sont désormais importés ;
- 56% de la viande de mouton ;
- 28% de la consommation de légumes, mais surtout 71% de la consommation de fruits car presque plus aucun verger français n’est rentable pour cause d’interdiction des pesticides (ce dont se moquent leurs concurrents espagnols et marocains).
Mais il n’est pas suffisant d’accuser l’Europe de tous les maux, car certains chiffres laissent pantois : lorsqu’un maraîcher vend des choux-fleurs de 1,5 kg à 1,4 € prix de gros, vous le retrouvez le lendemain à 4,40 € sur l’étal d’une grande surface à la Défense (j’ai vérifié, c’est bien le prix affiché). A qui profite cette différence de 3 € qui représente plus de deux fois le prix imposé au producteur ?
Le premier journaliste qui mentionne un géant de la grande distribution fait perdre immédiatement les centaines de milliers de budget annonceur de l’enseigne qu’il aurait l’imprudence de citer. De toute façon, leur défense est toute trouvée : il y a le grossiste (courtier à Rungis ou sur les marchés de gros régionaux) et le transporteur (le gasoil coûte 2 € le litre, moins la ristourne qui risque de disparaître)… et ces intermédiaires ne sont pas cotés en Bourse.
Autant taper dessus au « 20h », cela ne va pas faire s’effondrer leur cours où amener le grand public à les boycotter : le consommateur ne les connaît pas et tout le mal qu’il peut en penser ne fera pas varier leur chiffre d’affaire de 0,1%… ils sont en situation de quasi-monopole.
Mais là où vous allez rire jaune, c’est que les agriculteurs victimes de la rapacité des leaders de la grande distribution et de l’agro-business sont défendus – s’agissant de la FNSEA – par de purs représentants de… l’industrie qui ont pour principal clients… les adhérents du syndicat : Arnaud Rousseau est le DG de Biogaz, administrateur des huiles industrielles Saipol… et le meilleur pour la fin, il est président de la multinationale Avril (Isio4, Lesieur, Matines, Puget, etc.). C’est un européiste/globaliste convaincu, une conviction intégralement aux antipodes des intérêts des agriculteurs en colère.
Et c’est lui qui a été reçu à Matignon ce 24 janvier : à sa sortie, il a déroulé un long couplet sur les avantages de l’Europe (11 Mds€ de subventions, c’est Byzance) et du marché mondial (où plus aucun de nos produits n’est concurrentiel), admettant que la profusion de normes devrait être un peu revues à la baisse et qu’il fallait un peu moins de « complexité ».
Et pas un mot bien sûr au sujet des 10 à 11 Mds € que la France verse à perte au profit de la PAC.
Avec un tel interlocuteur, sorti de l’European Business school, il aurait été dommage de se priver de médiatiser le « mouvement paysan »… puisqu’on a la chance de pouvoir discuter à Paris entre gens du même monde (politique, médiatique, pro-technocratie bruxelloise) et que l’on est bien d’accord pour ne pas mettre en avant devant les caméras les sujets qui fâchent, en ne mettant l’accent que sur le subalterne.
L’opposition – quand le couvercle de la cocotte-minute menace de sauter – n’est jamais aussi utile que lorsqu’elle est bien contrôlée !
Pour ne pas dire… complice !