La Chronique Agora

Les répercussions de la saga GameStop

La saga GameStop a au moins permis une chose : mettre en évidence le fait que certains mouvements en faveur de « l’équité » sont plus égaux que d’autres…

La théorie des parties prenantes, une version corporatiste de la justice sociale, tente d’imposer le concept irrémédiablement amorphe d‘« équité » au monde des affaires.

L’équité, contrairement à l’égalité, implique un traitement différencié des individus et une redistribution des ressources en fonction des leurs besoins, de critères identitaires et des injustices historiques.

Mais à présent, la notion d’équité a évolué au-delà d’une simple mode politique et trouve un soutien croissant au travers des appels à un capitalisme participatif. Les conseils d’administration des grandes entreprises ont de nos jours un besoin impulsif d’afficher leur soutien à la notion de responsabilité sociale.

D’après cette théorie, les entreprises privées devraient se donner toutes sortes d’objectifs non économiques. Les actionnaires ne peuvent plus se préoccuper uniquement des résultats comptables de leur entreprise, ils devraient prendre en considération l’ensemble des implications sociétales de ses activités.

Tout cela est-il bien sincère ?

Que les dirigeants d’entreprise se préoccupent réellement de la justice sociale ou qu’ils cherchent simplement à se protéger d’une réaction négative de l’opinion publique reste une question ouverte, mais les événements auxquels nous avons assisté en 2020 ont clairement eu des répercussions sur la nature des discussions qui ont lieu au sein des salles de réunion de conseils d’administration.

Quatre catégories d’acteurs

D’après la conception traditionnelle, les entreprises dépendent de quatre catégories d’acteurs : les actionnaires, les dirigeants, les employés (ou sous-traitants) et les clients. Ces quatre catégories « risquent leur peau », c’est-à-dire que leur propre argent ou leurs propres revenus sont en jeu.

La théorie des parties prenantes inverse ce paradigme et cherche au contraire à accorder un certain degré de pouvoir sur les entreprises privées à d’autres intervenants qui ne prennent pourtant aucun risque et ne fournissent aucune valeur ajoutée.

En sapant l’idée soudainement démodée selon laquelle la recherche du profit et l’aversion à la perte constituent le principe directeur du monde des affaires, la théorie des parties prenantes remet en question l’existence même de millions d’entreprises, grandes comme petites – en fait, elles sont accusées de n’avoir qu’un seul objectif impur et mesquin : gagner de l’argent.

Suggérer que le grand public ou la société dans son ensemble devrait être partenaire de facto de toute entreprise, en raison du fait que l’économie est par nature un système interconnecté, revient à défendre une attaque globale et généralisée contre le concept de propriété privée.

C’est une idée clairement contraire au droit de propriété qui repose sur des concepts collectivistes. Elle affirme que toute la société devrait être partie prenante et même, pour certains, avoir son mot à dire dans la gestion des entreprises privées – non seulement en ce qui concerne l’utilisation des bénéfices qu’elles réalisent, mais aussi leurs pratiques commerciales et leurs objectifs.

La théorie des parties prenantes aboutit même à donner un rôle de premier plan à la planète elle-même, en tant que ressource non renouvelable ultime qui serait systématiquement mise en péril par les entreprises.

Immunisés

La propriété collective des entreprises peut prendre traditionnellement trois formes principales : le socialisme, le communisme et le fascisme. Mais en 2021, ces termes ne nous choquent plus ni ne nous alarment comme ils le faisaient autrefois.

L’utilisation constante d’un vocabulaire euphémique nous immunise quasiment contre des mots plus forts qui devraient être utilisés judicieusement. La novlangue autour de l’équité et des parties prenantes n’est rien d’autre qu’une nouvelle « troisième voie » brouillant la distinction entre la sphère privée et l’Etat, entre les moyens économiques et les moyens politiques.

Pour être honnête, les mouvements en faveur de l’équité et la théorie des parties prenantes ne représentent pas en tant que tel une forme de socialisme (ou de fascisme) à proprement parler, au sens misesien ou rothbardien.

Les marchés boursiers, les actionnaires privés et les notions de pertes et profits continuent d’exister. La révolution pour l’équité prend forme à l’intérieur même du système, il s’agit d’une évolution plutôt que d’une déviation.

Cupidité ou rancune ?

C’est là qu’entre en jeu la société GameStop et ses alliés du groupe WallStreetBets sur le forum Reddit, déterminés à soutenir le cours de l’action de cette société de distribution en déclin qui subissait la pression de ventes à découvert massives de la part de grands fonds d’investissements riches et puissants.

Ce soulèvement, qu’il soit motivé par la cupidité, l’envie de défendre la culture du jeu vidéo, ou purement et simplement un sentiment de rancune à l’encontre des grands pontes de Wall Street, est tout autant imprégné par les notions d’équité et de justice sociale que tout autre mouvement de protestation.

Pourtant, les partisans de la théorie des parties prenantes, comme par exemple le Washington Post […] ont soudainement décidé de retourner leur veste au sujet de ceux qu’ils décrivaient habituellement comme des capitalistes vautours, affirmant que les fonds spéculatifs vendeurs à découvert étaient en fait les gentils dans cette histoire.

Après tout, d’après la théorie des parties prenantes, les fonds d’investissement et les grandes entreprises ont le droit – voire le devoir – de prendre des décisions non rentables. Les intérêts de la société dans son ensemble doivent être pris en compte, et non uniquement les résultats financiers et la création de valeur pour les actionnaires.

Ainsi, les fonds d’investissement et les entreprises investissant fréquemment dans des technologies qui sont supposées être écologiques, bien qu’elles soient inéluctablement moins efficaces, réalisent des dons à des causes politiques orientées à gauche et distribuent de l’argent à diverses associations caritatives.

De telles actions peuvent en réalité procurer à l’entreprise un retour sur investissement sur le long terme grâce à l’amélioration de son image de marque auprès du grand public, mais elles n’ont pas d’impact positif direct sur le cours des actions ou le niveau des dividendes.

Une idée qui séduit tous les partis

Les utilisateurs du forum Reddit possèdent le même droit. Qu’ils aient raison ou non, ils pensent qu’il est bénéfique socialement de faire perdre de l’argent aux fonds spéculatifs qui vendent à découvert des actions GameStop dans le but de profiter de la baisse du cours du titre et de la faillite éventuelle de cette société (qu’ils anticipent en raison du développement des jeux téléchargeables qui évitent aux consommateurs de se rendre dans un magasin physique).

Si le groupe Koch Industries peut être décrit comme un méchant pollueur dont les profits sont utilisés pour financer des cercles de réflexion de droite et antidémocratiques, alors pourquoi les utilisateurs de Reddit ne pourraient-ils pas de la même manière décrire les fonds spéculatifs comme étant des instruments diaboliques permettant aux 1% les plus riches de s’enrichir encore davantage sur le dos d’une chaîne de magasins en difficulté ?

L’idée selon laquelle des banques d’investissement richissimes implantées à Wall Street utiliseraient leur pouvoir financier démesuré pour se repaître de la carcasse d’un secteur d’activité déjà agonisant était auparavant soutenue avec enthousiasme par la gauche.

A présent, il semble que cette façon de voir les choses soit devenue une sorte de calomnie populiste provenant de la droite alternative, une calomnie maintenant utilisée par les membres de Reddit pour justifier leur complot diabolique visant à manipuler le prix de l’action GameStop.

En réalité, il n’y a pas de véritable victime dans cette histoire. […] Bien que tout cela semble n’être qu’une série d’événements orchestrés de toutes pièces, et peut-être même d’actions immorales, il ne faut pas oublier que personne n’a pointé d’arme à feu sur la tempe de qui que ce soit.

Le groupe WallStreetBets a collectivement choisi de mettre son propre argent en jeu, ayant pleinement conscience qu’ils étaient en train de faire monter artificiellement le cours de l’action et qu’il serait impossible de revendre tous ensemble au même moment l’action ou même d’en tirer un profit.

En choisissant de vendre à découvert le titre GameStop, Melvin Capital et d’autres fonds spéculatifs ont pris délibérément un risque important ; ils auraient certainement pu mettre en place un suivi régulier des conseils d’investissements qui étaient donnés sur Reddit. Comme l’a récemment fait remarquer l’économiste Peter Earle, si vous décidez de monter sur un ring, vous prenez le risque d’être frappé.

La règle du jeu

Le but des marchés financiers est de déterminer les prix des actifs. Ils aident les investisseurs et les entreprises à allouer leurs capitaux aussi efficacement que possible, même si ce processus reste parfois imparfait et désordonné.

Les investisseurs traditionnels, les vendeurs à découvert, ceux qui se livrent à de soi-disant délits d’initiés ou à des collusions, les traders spécialisés sur les contrats à terme ou les produits dérivés, les spéculateurs, les parieurs et même ceux qui pratiquent la vente à découvert « à nu » ont tous leur utilité dans ce processus imparfait.

L’ensemble de ces individus et mécanismes financiers réagissent et s’adaptent perpétuellement aux conditions changeantes, apportant ainsi une plus grande clarté sur la performance (et le juste prix des actions) des entreprises cotées en Bourse. Toute entreprise qui ne souhaiterait pas se soumettre aux aléas des marchés financiers peut tout simplement choisir de rester en dehors de la Bourse et se financer directement auprès des investisseurs par le biais d’opérations de placement privé.

Ce processus est imparfait tout simplement parce que nous sommes tous imparfaits en tant qu’êtres humains. Il peut parfois être erratique et profondément irrationnel, voire maniaque. Mais la seule alternative n’est rien de moins qu’une forme de socialisme rampant sous un autre nom, qu’il s’agisse de capitalisme coopératif ou autre.

Lorsque la théorie atavique et défaillante dont vous êtes à l’origine se retourne contre vous, mieux vaut aller chercher un miroir pour trouver le responsable plutôt que de demander un plan de sauvetage au Congrès. On ne peut pas tout avoir.


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile