La Chronique Agora

Qui va couper l’arbre aux fées ?

Pour quoi sommes-nous prêts à souffrir et mourir ? A quoi croyons-nous vraiment ? Partons pour un étrange état des lieux et des émotions…

Nous avons quitté la côte ouest d’Amérique centrale, chaleureuse et ensoleillée, vendredi. A présent, nous sommes sur la côte sud de l’Irlande. Tout aussi chaleureuse, mais moins nettement moins ensoleillée.

Nous sommes ici pour un petit état des lieux de notre nouveau foyer en Irlande. Il est en travaux. Le voilà :

La nouvelle maison de Bill en Irlande a encore besoin de quelques travaux…

Oh-oh… Nous sommes censé emménager en avril. On dirait bien que ce ne sera pas prêt. Nous rencontrons le chef de chantier plus tard dans la journée ; nous verrons bien ce qu’il a à dire.

Dans la mesure où nous avons beaucoup voyagé ces derniers temps, nous devrions probablement prendre un moment pour regarder les étoiles et faire le point.

Cependant, avant le coup de frein… il serait plus juste de vous prévenir, cher lecteur.

Normalement, nous ne vous demandons pas grand-chose — juste quelques minutes de votre attention. Mais les prochains jours seront peut-être plus exigeants — pour le lecteur comme pour votre correspondant.

Alors si vous voulez descendre ici, nous ne vous en tiendrons pas rancune.

D’abord parce que le chemin ne sera peut-être pas facile. Ensuite parce que vous n’aimerez peut-être pas beaucoup la direction que nous allons prendre. Enfin parce qu’une fois que vous serez arrivé à destination, vous ne pourrez peut-être jamais revenir. C’est un aller simple.

« Ah, les gens sont bizarres », a déclaré le chauffeur qui nous amenait de l’aéroport à l’hôtel. Le chemin était long, lui donnant amplement le temps de s’exprimer.

« Vous voyez cette route ? » Il montrait une sortie d’autoroute. « Elle menait à Limerick. Les ingénieurs avaient tout fait. Les plans étaient dessinés. Les contrats étaient signés. Les pelleteuses et les camions étaient alignés. Et puis un paysan du coin a demandé :

‘Et l’arbre aux fées ?’

Cherchons volontaire qui ne croit pas au monde des esprits

« Si vous posez la question à quelqu’un juste comme ça, il vous dira qu’il ne croit pas à toutes ces sottises… sur les fées et le monde des esprits. Mais au fond de nous, nous y croyons tous.

« Ils avaient donc déjà des millions et des millions d’euros de côté pour construire la route. Mais personne ne voulait couper l’arbre aux fées. Je vois la conversation d’ici.

« ‘Sean, vas-y, coupe-le’. ‘Non Paddy, toi coupe-le’… ‘Nooooon… Ronan, tu te débrouilles bien avec une tronçonneuse… vas-y et coupe ce satané arbre’. ‘Ecoute, si tu veux qu’il soit coupé… fais-le toi-même’.

« Personne ne voulait s’y coller. Parce que quiconque portait atteinte à l’arbre serait maudit. En fin de compte, ils ont dû changer d’itinéraire.

« Probablement qu’au fond, ils ne croient pas vraiment au monde des esprits. Mais personne ne voulait prendre le risque ».

« C’est comme ça pour beaucoup de choses. Ce que nous affirmons croire n’est pas toujours ce que nous croyons vraiment.

Ce truc du Brexit qui pourrait faire la différence

« Demandez aux Irlandais si ce truc du Brexit fait la moindre différence. Ils diront qu’ils s’en fichent. Mais attendez que la frontière soit remise en place.

« Au fond, nous les Irlandais, nous considérons l’Ulster [le comté le plus au nord, appartenant au Royaume-Uni] comme faisant partie de l’Irlande. Maintenant que nous pouvons aller et venir librement [il n’y a pas de contrôle douanier entre la République irlandaise et l’Irlande du Nord], il y a une trêve. Un armistice, en quelque sorte. Mais je ne voudrais pas être le premier douanier anglais à stopper un Irlandais voulant se rendre dans le nord. Parce qu’il va mourir ».

Des mots forts. Mais les gens ont des émotions fortes. Souvent, il est difficile de les réconcilier avec ce que nous considérons comme étant juste et raisonnable.

Une frontière « dure » — avec des barbelés et des gardes armés — serait malcommode pour les voyages et le commerce. A part cela, est-ce que cela ferait une vraie différence ? La qualité de la nourriture ou du logement déclinerait-elle ? Les baisers des amoureux seraient-ils moins doux — ou leurs ruptures moins amères ? Les routes seraient-elles plus cahoteuses et le rasage moins lisse ?

Les Américains peuvent observer la bataille du Brexit avec placidité et humour. Comme le match de foot crucial entre la Grande-Bretagne et l’Irlande samedi dernier, ils ne savent pas ce qui se passe… et s’en soucient à peine.

Chez les Irlandais qui occupaient le bar de l’hôtel ce soir-là, en revanche, on se serait cru à la crucifixion du Christ. Ils acclamaient chaque but de leur équipe comme s’ils l’avaient marqué eux-mêmes… et puis la fin venue, alors que les Anglais avaient pris la tête, on aurait dit que leur chien préféré s’était fait écraser… et que le bar était à court de Jameson.

Des jeunes hommes dans les tranchées

L’autre soir à la télévision était diffusé un documentaire sur la Première Guerre mondiale intitulé They Shall Not Grow Old. Le réalisateur a restauré d’anciennes séquences prises pendant la guerre, et les a ralenties et colorisées si bien qu’elles semblent modernes et réalistes.

L’émission était bouleversante. Tant de jeunes gens réduits en miettes… irrémédiablement brisés… ou parfois simplement noyés dans la boue. Un million d’entre eux — rien que du côté britannique (dont 37 000 Irlandais) — sont morts entre 1914 et 1919. Et pour quoi ?

Aucun d’entre eux ne le savait. Les jeunes hommes dans les tranchées n’en savaient rien. Et en tant que vieillards, interrogés des décennies plus tard, ils ne savaient toujours pas.

Mais c’était « eux » contre « nous ». Aucune autre explication n’était nécessaire.

Et là, cher lecteur, nous en venons à la partie difficile.

D’où viennent ces sentiments forts… ces désirs désespérés… ces attirances fatales ? D’un raisonnement prudent et de bonnes raisons ? Est-ce ainsi que nous décidons comment voter et qui tuer ?

Rendez-vous demain pour la réponse — et d’importantes réflexions.

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