Chaque empire a sa Bérézina – et celle des Etats-Unis ressemble fort à une planche à billets. Pour l’instant, tout va bien… mais jusqu’à quand ?
Chaque empire a sa Bérézina.
En tentant d’appliquer sa guerre commerciale contre les Anglais, Napoléon a traversé le fleuve Niémen et s’est attaqué à la Russie. Mais les Russes avaient un plan.
Ils ont laissé les Français avancer… jusqu’à Moscou. Ensuite, ils ont mis le feu à la ville. La Grande armée, mal ravitaillée alors que l’hiver s’installait, a réalisé que c’était un piège…
Tout est de la faute de la Fed
Nous reviendrons à ces sombres journées de 1812 dans une minute. En attendant, un récent gros titre du Financial Times a attiré notre attention :
« La Réserve fédérale est la cause de la ‘bulle de tout’. »
Les actions grimpent ? L’or ? Le sentiment des investisseurs ?
Vous pensez que c’est l’accord commercial avec la Chine ? L’économie ? Les ventes au détail ?
Eh non, c’est la Fed ! La Réserve fédérale gonfle le dollar, purement et simplement.
Cette semaine, nous concentrons notre artillerie lourde sur la Fed. Mais notre véritable objectif – bien plus insaisissable, bien plus difficile à cibler – est la mince frontière entre le bien et le mal… et entre le très intelligent et le spectaculairement idiot.
Une question type : sachant que la monnaie est fausse (elle vient de sortir de la planche à billets)… et sachant ce qui arrive lorsqu’un pays tente de payer ses dépenses avec de l’argent contrefait (Zimbabwe, Venezuela et al.)… quelle sorte de crétin malveillant ferait une chose pareille ?
Gardez cette question en tête…
Napoléon contre les Cosaques
Le 19 octobre 1812, la coalition de volontaires de Napoléon s’est lancée dans une retraite de 1 700 km, à pied… avec des températures sous les -37°C… alors que les Cosaques achevaient les traînards affamés.
Par un tel froid, dormir, c’était mourir, comme l’a décrit Armand de Caulaincourt, aide de camp de Napoléon. Malgré cela, les soldats étaient si épuisés qu’ils suppliaient qu’on les laisse se coucher dans la neige pour rejoindre leurs camarades morts.
Lorsqu’ils ont enfin atteint la Bérézina, dans l’actuelle Biélorussie, le piège s’est refermé. Devant les troupes survivantes de Napoléon se trouvait la rivière glacée. Le général Koutouzov et ses Cosaques étaient derrière eux.
La glace sur la rivière avait fondu. Sans moyen de traverser ou de trouver du ravitaillement, ce n’était qu’une question de temps avant que les Français soient réduits à néant.
Mais les Français et leurs alliés étaient les meilleurs soldats au monde. Loyaux. Disciplinés. Et prêts à se sacrifier.
Dans le froid glacial, des ingénieurs hollandais ont enlevé leurs lourds vêtements et se sont mis au travail pour construire un pont sur la rivière. Chaque homme durait une trentaine de minutes avant que ses membres ne gèlent, que l’hypothermie l’assomme et qu’il soit emporté par les eaux. Suite à quoi un autre prenait sa place.
Ce fut un remarquable exploit : le pont, frêle et branlant, fut achevé… et permit de sauver quelques restes de l’armée napoléonienne.
Malgré cela, les pertes de la campagne de Russie – quelque 380 000 hommes, de l’artillerie abandonnée, des chariots laissés sur place et des dizaines de milliers de chevaux – ne purent être remplacées. L’empire de Bonaparte, qui s’étendait de la péninsule ibérique aux portes de Moscou, ne s’est jamais remis.
Combinaison gagnante
Chose incroyable, le Troisième Reich (qui englobait alors lui aussi la majorité de l’Europe, depuis les Pyrénées jusqu’au milieu de la Pologne) n’a pas résisté à l’idée de jouer avec le même couteau tranchant – la Russie.
A Stalingrad, il a trouvé sa Bérézina… où 91 000 soldats allemands, affamés, gelés, encerclés sans espoir d’être secourus, ont été forcés de se rendre (seuls 6 000 d’entre eux ont survécu à la guerre).
Chaque empire trouve un moyen de s’autodétruire. Pour les Soviétiques, la planification centrale et l’Afghanistan ont bien servi. Usés, désespérés, ils ont renoncé à leur empire et se sont repliés sur la mère Russie en 1989.
Et les Etats-Unis ? Des guerres à l’étranger… et l’inflation à domicile ? Toujours une combinaison gagnante, n’est-ce pas ? Voyons cela de plus près…
Comment arnaquer le FMI
La plus grande vague d’impression monétaire par la Fed s’est produite entre 2008 et 2015 – avec 3 600 Mds$ d’ajout.
On a dit que c’était une « urgence » causée par la crise de 2008-2009. A contrecœur, paresseusement, la Fed a commencé sa « normalisation » en augmentant les taux d’intérêts et en réduisant la masse monétaire.
A la Chronique, nous avions prédit que la « normalisation » n’aurait jamais lieu. Cela n’a pas raté : le programme a pris fin en juillet 2019, lorsque la Fed a recommencé à réduire les taux.
Ensuite, le 17 septembre, sans un seul nuage obscurcissant les cieux, elle a fait tourner la planche à billets pour ajouter près de 100 Mds$ par mois sur les quatre mois suivants – simplement pour couvrir les déficits américains.
C’est de l’inflation – pure et simple. Le genre de choses que les gouvernements bananiers font pour financer leurs gabegies et arnaquer le Fonds monétaire international.
Rappelez-vous, « l’inflation » recouvre le fait d’augmenter la masse monétaire – pas uniquement la sorte d’inflation que les gens n’aiment pas, l’inflation des prix à la consommation.
D’abord vient l’impression monétaire. Ensuite vient l’augmentation des prix des actifs. L’envolée des prix à la consommation est généralement la dernière phase – et la plus spectaculaire – d’un désastre inflationniste.
Ensuite, c’est la Bérézina…
C’est toujours pareil
Dans l’Allemagne de Weimar (1919-1933), les prix grimpaient au taux annuel de 29 000%.
En Grèce, en 1944, les prix doublaient tous les quatre jours.
Au Venezuela, les prix ont grimpé de près de 53 millions de pourcents depuis 2016.
Personne ne sait avec certitude comment ou pourquoi, précisément, ces hyperinflations ont lieu. Mais tout le monde est à peu près certain que ça ne leur arrivera pas à eux.
Le plus intéressant de tout cela, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’être un crétin malveillant.
Les désastres hyperinflationnistes arrivent aussi bien aux bons qu’aux méchants. Aux gens intelligents qu’aux crétins. Et ils peuvent se produire aussi bien en Occident que dans des pays en voie de développement.
Les gouvernements ne font pas faillite. A un moment donné, dos au mur et à la Bérézina, ils impriment de l’argent.
Aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, les augmentations des prix à la consommation sont encore relativement rares… tandis que les augmentations des prix des actifs sont nombreuses. Tout le monde est content.
Mais on parle de la Fed. Elle a traversé le Niémen. A présent, nos officiers les plus doués… nos économistes les plus brillants… nos politiciens au génie très stable – vont faire tout ce qu’il faut… et cela mènera malgré tout au désastre.
Peu importe votre degré d’intelligence : une fois que vous avez traversé le fleuve, vous êtes en route pour l’enfer.
Nous verrons prochainement pourquoi.