La Chronique Agora

Que savent-ils que nous ne savons pas ?

La Fed n’agit plus au niveau purement américain : désormais, les banques centrales raisonnent au niveau mondial. Mais ont-elles vraiment les moyens de gérer le système actuel ?

Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, commence à ressembler un peu au banquier central mondial. Il pense global.

Certes, la préoccupation mondiale ne date pas de cette semaine, mais elle a souvent été dissimulée : en général, le patron de la Fed cherche à la cacher par crainte des réactions du Congrès US.

En fait, chacun sait que le patron de la Fed raisonne en fonction de la situation mondiale. Le meilleur exemple en a été fourni par Yellen quand elle a coordonné la reflation de 2016 pour éviter l’éclatement de la bulle chinoise — mais il est de bon ton de ne pas le formuler.

Ben Bernanke également avait retardé la normalisation des taux en raison de la dislocation qui avait touché les émergents, l’Inde en particulier. Il avait lui aussi invoqué le risque de contagion de la périphérie vers le centre.

Lors de son témoignage devant le Congrès la semaine dernière, Powell a invoqué à maintes reprises le ralentissement de l’expansion économique mondiale en plaidant pour une politique monétaire plus facile aux Etats-Unis.

« Il se passe quelque chose avec la croissance dans le monde, en particulier dans les secteurs de la fabrication, des investissements et du commerce », a-t-il déclaré à la Commission des services financiers de la Chambre — tout en promettant de réduire les taux d’intérêt à la fin du mois.

Le président Powell a montré qu’il était décidé, sa décision est prise.

Une réduction fin du mois ? Difficile…

Sans annoncer directement une réduction imminente, il s’est essentiellement engagé à réduire les taux lors de la réunion du 31 juillet.

Le niveau record des prix des actions ne compte pas. Le crédit aux entreprises en plein boom n’est pas un problème. La forte augmentation de la masse salariale en juin et un taux de chômage de 3,7% ne font pas partie des éléments de la prise de décision.

Vendredi après-midi, Bloomberg titrait : « Le marché boursier meurt d’envie de savoir ce que Powell sait sur l’économie. »

On le sait maintenant : Powell est inquiet.

Nous avons toujours dit que les banquiers centraux se trompaient et nous trompaient quand ils prétendaient pourvoir resserrer quand ils le voulaient. Nous avons fait valoir qu’il ne manquerait pas de circonstances où le resserrement allait être impossible même s’il était nécessaire.

Nous sommes dans un de ces cas.

Les paramètres normaux disent qu’en fait il faut plutôt resserrer que desserrer… mais d’autres paramètres qui sont au rouge disent que l’on ne peut absolument pas prendre ce risque : il faut que l’ogre ait sa nourriture, sa ration.

La soi-disant assurance que prennent les responsables de la conduite des affaires concerne l’environnement mondial. L’attention traditionnelle que porte la politique monétaire aux conditions domestiques est reléguée à l’arrière-plan.

La réduction des taux et les futures largesses sont justifiées par des « courants croisés », par des « incertitudes » et accessoirement – mais c’est cosmétique – par une inflation inférieure à l’objectif. L’argument de l’inflation ne trompe plus personne.

Une fragilité financière exacerbée

L’économie mondiale est-elle vraiment en si mauvaise posture que des mesures de relance monétaire préventives sont nécessaires en période d’euphorie spéculative des marchés ?

Que sait Powell, que savent les banquiers centraux mondiaux ?

Le PIB de la Chine devrait croître entre 6,0% et 6,5% cette année. Tout en ralentissant, la croissance dans l’ensemble des pays émergents devrait se situer entre 3,0% et 4,0%. Rien à dire.

De son côté, le PIB de la Zone euro devrait dépasser 1,0% cette année. Le Japon pourrait connaître une croissance du PIB de 3,0% en 2019. Merrill Lynch n’a abaissé ses prévisions de croissance du PIB mondial pour 2019 que de 3,6% à 3,3%.

Alors ? Est-ce que cette situation justifie des taux encore plus bas et encore plus de QE ? Bien sûr que non !

Il y a autre chose, d’autres raisons non énoncées. Il faut qu’il y ait autre chose qui justifie que l’on prenne des risques et que l’on choisisse de tenter le diable de la spéculation.

La principale crainte des banques centrales mondiales ne peut être d‘origine économique. Selon moi, elle ne peut être que financière. Powell, Draghi, Carney, Kuroda et autres confirment ma thèse récurrente de la fragilité financière exacerbée dans le monde.

Loin d’être solide, le système est fragile, les fondamentaux sont pourris. La pyramide ne peut supporter aucun choc. Le système souffre d’une crise d’aversion au risque ; il s’asphyxie d’illiquidité et d’une tendance inquiétante à la contraction du crédit.

C’est pour tenter de s’opposer à ces redoutables tendances que les banquiers centraux s’arcboutent.

Le système ne peut plus supporter le risk-off, le retour de la prudence. Il a besoin, même en marche normale, de son bol de punch.

Le système est condamné à des comportements de Gribouille : ce système financier mondial, qui déborde déjà d’une surabondance de liquidités qui ne vont pas là ou elles sont désirées et génère des records boursiers, est une bombe à retardement. Il recèle trop de risques, sa croissance future sera encore plus fragile avec une stimulation accrue.

Les choses deviennent « folles » – et ici, le rappel de 2007 vient immédiatement à l’esprit. Le monde est dans la phase finale d’une extraordinaire expérience monétaire à la John Law, et les actions actuelles sont clairement des actions désespérées pour la prolonger.

« O temps, suspend ton vol » voisine avec « les chants désespérés sont les chants les plus beaux ».

La bulle de crédit, la bulle des marchés, actions, obligations, fonds d’Etat… cette bulle n’est que le symptôme, la manifestation du mal fondamental, le mal monétaire.

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