La Chronique Agora

Que faire si les taux ne baissent pas ?

Si les taux bas privilégient les emprunteurs, les taux hauts sont du pain bénit pour les épargnants.

En début d’année, les marchés financiers avaient la certitude que les taux directeurs baisseraient significativement en Europe comme aux Etats-Unis. Les analystes tablaient sur six à sept baisses de taux en 2024.

Les semaines passant, il a fallu se rendre à l’évidence : les taux n’allaient pas baisser durant les premiers mois de l’année. Les anticipations se sont alors ajustées et le consensus est aujourd’hui établi sur un assouplissement monétaire à partir du mois de juin.

Malgré des prévisions désormais bien moins optimistes que fin décembre, la perspective d’une baisse du prix de l’argent a conduit à une nouvelle « bulle de tout » qui a fait progresser le S&P 500 de 23% sur douze mois, l’or de 25% sur six mois, et le Nasdaq-100 de plus de 38% sur un an.

Traders, économistes et actionnaires attendent le mois de juin de pied ferme, et la baisse des taux directeurs est considérée comme acquise – même si moins importante que prévu.

Que se passera-t-il si la générosité des banquiers centraux n’est pas au rendez-vous ?

Quand les bonnes nouvelles sont déjà intégrées dans les cours, le risque est maximal. Si le scénario se passe comme prévu, le prix des actifs n’a aucune raison de varier. En revanche, en cas de mauvaise surprise, les opérateurs pris à contre-pied doivent revoir leur stratégie et liquider leurs positions. Et lorsque la réalité se frotte à un consensus, par définition partagé par la majorité des acteurs, les dégagements peuvent prendre des proportions colossales.

Or ces derniers jours ont vu les certitudes des opérateurs vaciller, une nouvelle fois. Même les trois à quatre baisses de taux qui semblaient acquises début avril sont aujourd’hui remises en question.

Et si les taux ne baissaient pas ?

Le premier coup de semonce a été la publication de l’indice des prix à la consommation aux USA, dont la variation s’est révélée plus élevée que prévu. A +3,5% en rythme annuel, l’IPC a inquiété jusqu’au président de la banque centrale américaine, qui s’est refusé à se prononcer sur le caractère éphémère ou non de ce regain d’inflation.

La prudence était d’autant plus de mise que la hausse des prix outre-Atlantique risque d’être alimentée par les créations d’emploi. Le département américain du Travail a indiqué, dans son dernier rapport, avoir comptabilisé 303 000 créations d’emplois non-agricoles contre 270 000 recensés en février – ce qui est bien supérieur au consensus des économistes qui tablaient sur 200 000 emplois. Dans le même temps, la hausse du salaire horaire moyen, qui a atteint les +4,1% en rythme annuel, va alimenter en carburant le moteur de l’inflation dans les mois à venir.

Suite à ces publications, les opérateurs se sont brutalement réveillés. Le consensus de la trajectoire des taux est passé à une prévision de deux à trois baisses seulement cette année, avant de tomber à une à deux baisses, mercredi dernier. Les taux du 10 ans américain se sont tendus de 15 points de base, s’établissant au-dessus de 4,5% par an pour la première fois depuis novembre 2023. En quelques heures, les marchés obligataires se sont retrouvés projetés six mois en arrière.

Il faut désormais se poser la question : et si les taux restaient hauts plus longtemps que prévu ?

En Europe aussi, l’argent risque de rester cher

Si l’inflation américaine est alimentée par la vigueur de l’économie, il n’est pas dit que la relative faiblesse de l’économie européenne nous protège d’un maintien des taux sur un plateau haut.

Preuve que les analystes savent que les destins monétaires de l’Europe et des USA sont liés : la hausse de 15 points de base des Treasuries s’est accompagnée d’une hausse simultanée d’une demi-douzaine de points des rendements des obligations allemandes et françaises.

Lors de sa dernière réunion de politique monétaire, la BCE a décidé de maintenir ses principaux taux inchangés. Le taux de dépôt reste fixé à 4%, celui de refinancement à 4,5%, et jusqu’à 4,75% pour la facilité de prêt marginal.

Dans le même temps, le discours de la banque centrale européenne n’a pas changé d’un iota. Elle rappelle qu’elle jugerait « opportun de réduire le caractère restrictif actuel de la politique monétaire » seulement si « l’évaluation […] des perspectives d’inflation, de la dynamique de l’inflation sous-jacente […] devait encore renforcer [la] confiance dans la convergence durable de l’inflation vers l’objectif ». 

Chaque mot compte : notez bien que l’institution de Francfort est loin de tenir un discours aussi optimiste que les journalistes qui ont commenté l’annonce. Elle envisagera de réduire sa politique restrictive assumée si l’inflation se dirige durablement vers les 2%.

Or nous sommes encore loin du compte.

La hausse de l’IPC européen, qui s’établissait à 2,8% en janvier, n’a reflué que jusqu’à 2,4% en mars. L’inflation sous-jacente, de son côté, est encore à 2,9%. Il semble bien improbable que la cible soit atteinte avant le deuxième semestre, et la BCE pourrait maintenir ses taux inchangés jusqu’à l’été sans avoir à renier ses engagements passés.

Ne soyez pas pris à contre-pied par des taux hauts

Contrairement à notre gouvernement qui semble jouer la montre en attendant un reflux des taux d’intérêt qui viendrait apporter un nouveau bol d’air au service de la dette, préparez-vous à un scénario dans lequel les taux resteraient élevés durant plusieurs mois encore.

Idéalement, assurez-vous même que vos stratégies d’investissement resteront rentables avec des taux hauts jusqu’à la fin de l’année. Outre-Atlantique, certains opérateurs parient que les taux de la Fed resteront entre 5,25% et 5,5% jusqu’en 2025 – un coût de l’argent qui resterait autour des 4% en Europe n’a rien d’impossible.

Ne prenez aucun pari directionnel qui dépende d’une baisse des taux dans les prochains mois pour être gagnant, surtout avec la tentation de l’effet de levier. Considérez que les actifs (actions, or, obligations, immobilier) pourraient tout à fait retrouver, d’ici l’automne, le prix qu’ils avaient fin 2023 lorsque les analystes pensaient être sur un plateau haut de taux d’intérêt.

La bonne nouvelle est que vous pouvez continuer d’appliquer les stratégies que nous avons mises en place ces derniers mois pour vous permettre de profiter du nouveau contexte monétaire : elles resteront rentables tant que le coût de l’argent corrigé de l’inflation restera positif.

N’oubliez pas que, si les taux bas privilégient les emprunteurs, les taux hauts sont du pain bénit pour les épargnants !

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