La Chronique Agora

Quand un fantôme voit rouge

Ombre d'un homme

Quand une génération pense être plus astucieuse que ses ancêtres et ignore l’expérience accumulée, le malheur n’est pas loin.

Notre génération est bien entendu la plus fabuleuse ayant jamais parcouru ce globe terraqué… avec un sens du bien et du mal plus affûté que toutes celles qui l’ont précédée… ou la suivront.

Nous nous soucions de nos frères humains… mais aussi du dendrobate doré dans la forêt amazonienne… et de la Terre elle-même.

Non seulement ça, mais notre génération a un point de vue incroyablement érudit sur la manière dont l’économie fonctionne. Nous pouvons éviter la phase de baisse du cycle économique quasi-indéfiniment… et accumuler des montagnes de dettes que les générations précédentes auraient considérées avec crainte et dégoût.

Comparés à nous, ceux qui nous ont précédé étaient des crétins… et ceux qui nous suivront seront des idiots. Cela ne fait aucun doute. Sinon, nous ne démolirions pas le travail du passé… tout en dépensant l’argent de l’avenir.

Nous savons ce que nous pensons d’eux – ces chiffes molles des générations passées aussi bien que les benêts irrécupérables encore à naître – mais nous nous sommes dit qu’il serait intéressant de demander aux fantômes ce qu’ils pensent de nous.

Aujourd’hui, nous laissons parler une ombre du passé. Demain, nous céderons la parole à un spectre du futur.

« Euh… merci, je crois. Bon sang, personne ne m’a jamais demandé ce que je pensais… m’exprimer d’outre-tombe et tout ça… Enfin bref, allons-y ».

Des différences substantielles pour un fantôme

« Je ne voudrais pas avoir l’air de critiquer, mais avant tout, je voudrais dire que je remarque de grosses différences entre ce que nous faisions et ce que vous faites en ce moment.

« Commençons par l’argent. Je suis mort en 1960. Le budget fédéral américain était à l’équilibre quand j’ai rendu l’âme. Nous savions ce qu’était la dette, bien entendu – nous en avions accumulé d’énormes durant la Deuxième Guerre mondiale.
« Mais à l’époque, nous menions une vraie guerre – une guerre que nous pouvions perdre. Pas une guerre bidon avec des gens qui n’ont ni pays, ni armée, ni marine, ni force aérienne. Des ‘terroristes’, vous dites – laissez-moi rire.

« Ensuite, une fois notre vraie guerre terminée, nous avons rapatrié les troupes, réduit le budget de la défense et commencé à rembourser la dette. Ce n’est pas ainsi qu’il faut faire ?

« Mais vous, vous n’aviez pas de guerre à mener… et quand votre unique adversaire – l’Union soviétique – a jeté l’éponge, au lieu de réduire les dépenses militaires, vous les avez augmentées. Pourquoi faire une chose pareille ?

« Dépenser plus d’argent pour la ‘défense’ alors même que vous n’avez pas d’ennemis contre lesquels vous défendre ? Je ne pige pas.

« Vous avez aussi augmenté les dépenses en interne – des allocations, soins de santé, retraite… Sans parler de toutes ces agences et départements insensés qui dépensent quelques milliards par-ci, quelques milliards par-là… et personne ne sait à quoi diable tout ça sert.

« Résultat, maintenant, vous voilà avec une dette de 22 000 Mds$ impossible à rembourser. On enseignait encore l’arithmétique quand j’étais à l’école. Je vois que vous dépensez 38% du PIB mais que vous n’en récoltez que 17% en recettes fiscales.

« Tout ça alors qu’on est en temps de paix et de prospérité. Qu’arrivera-t-il en cas de vraie guerre ? Ou si une dépression grave se produit ? Je vais vous dire, ces chiffres – aussi mauvais soient-ils – vont devenir bien pire… et vous aurez une crise réelle sur les bras.

« Quel genre de gestion financière est-ce là ? Et puis il y a la Fed, qui manipule les taux d’intérêt pour encourager les gens à emprunter plus. Là encore, je ne comprends pas.

« Vous vous croyez tellement malins… avec tous ces universitaires à la Fed. Eh bien, j’ai une question à vous poser : nous avions 5% de croissance tout au long des années 1950. Vous en êtes à tout juste 2% cette dernière décennie. Nous y sommes parvenus tout en remboursant la dette nationale. Vous, vous l’avez alourdie de 13 000 Mds$. Comment ça se fait ?

« Nos salaires augmentaient – pour les ouvriers aussi bien que les dirigeants et les cadres – année après année. Vos salaires (à part ceux des riches) stagnent depuis 40 ans. Pourquoi ? »

Des donneurs de leçons

« Passons à la politique, maintenant. Nous avions des débats politiques enflammés à notre époque aussi – mais dans l’ensemble, les gens restaient dignes et polis malgré tout. On ne parlait généralement pas de leur vie privée.

« Comparé aux candidats que vous élisez, les nôtres étaient des génies… et des saints. J’ai voté pour Eisenhower, le gars qui a mené la plus grosse invasion maritime réussie de tous les temps. Et vous, pour qui avez-vous voté ?

« Franchement, dans un pays comptant 330 millions d’habitants, vous n’avez pas pu trouver de meilleurs candidats qu’un fanfaron qui a tout fait pour échapper au service militaire… et une personne qui affirme être ‘socialiste’ ?

« Votre président, qui n’a jamais vécu une seule journée dans l’armée, semble croire qu’il est de son devoir de ternir la réputation d’un mort qui a passé cinq ans et demi dans un camp de prisonniers. Il dit qu’il aime ‘ceux qui ne se font pas capturer’.

« Durant la Deuxième Guerre mondiale, 120 000 Américains ont passé du temps dans des camps de prisonniers de guerre ennemis. Quatre sur dix de ceux pris par les Japonais sont morts dans ces conditions affreuses. Les autres sont revenus en héros. Si un politicien quel qu’il soit avait osé dire quoi que soit contre eux, c’en aurait été fini de sa carrière.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? »

Quand ni le commerce ni la dette ne pouvaient dérailler

« Puisqu’on parle de ‘guerre’… nous n’avions pas besoin de guerre commerciale, à mon époque. Nous avions l’économie la plus solide de la planète, avec une balance commerciale équilibrée. Evidemment, nous avions aussi une vraie devise, à l’époque – un dollar appuyé à l’or… de sorte que ni le commerce ni la dette ne pouvaient trop dérailler.

« Je ne dis pas que nous étions parfaits. Bien sûr que non. Mais nous n’étions pas pires que vous.

« Alors comment pouvez-vous être aussi certains que nous avions tort… que nous étions aussi affreux ?

« Pensez-vous que nous ne nous souciions pas du bien et du mal… que nous n’avons pas essayé de faire la différence entre les deux… à notre manière ? Pensez-vous être si intelligents… si purs… si certains d’avoir raison sur tout que quiconque ayant des idées différentes devait être soit mauvais soit idiot ?

« Que les milliers de générations qui vous ont précédé n’avaient rien appris… et rien à vous apprendre ? Que vous pouvez ignorer tout ce qu’elles vous ont dit ?

« C’est ce que vous pensez, alors ? Eh bien, moi je pense que vous êtes un imbécile. »

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