La Chronique Agora

Quand Macron dépense l’épargne allemande avant de l’avoir touchée

Auto-congratulations et euphorie ont été de mise suite à l’annonce d’un plan d’aide européen de 500 milliards d’euros : c’est aller un peu vite en besogne, car l’argent n’est pas encore là…

L’épargne allemande est au coeur de toutes les convoitises en Europe depuis de nombreuses années, et singulièrement depuis quelques semaines. Les pays du sud comme la France, l’Italie ou l’Espagne sont en effet absolument convaincus que les idéaux européens consistent à transférer l’argent des « pingres » (l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark) vers les dépensiers, sans contrepartie.

Les cris de joie entendus en France à l’annonce d’un plan à 500 milliards en Europe, proposé par le couple franco-allemand, ont montré combien est grande leur impatience de voir se réaliser ce transfert. La presse française a fait résonner hautbois et trompettes à l’idée tout à fait fausse que l’argent allemand allait couler à flots dans les poches percées de l’Etat français.

La réalité est évidemment très différente, et les épargnants français devraient se méfier des réveils brutaux et douloureux qui pourraient survenir en France une fois dissipées les vapeurs d’alcool qui ont poussé Muriel Pénicaud à annoncer de nouvelles mesures dépensières comme le maintien du très coûteux chômage partiel. Car il faudra payer l’addition tôt ou tard, et il est faux de penser que l’Allemagne vient d’annoncer qu’elle le ferait à notre place.

Les illusions du plan franco-allemand

Tout entière ivre à l’idée que l’Europe soit relancée, ou qu’elle trouve un nouveau souffle grâce au pouvoir d’emprunter (et l’on pourrait disserter longuement sur cette conviction française que la « relance de l’Europe » se réduit à la décision de dépenser l’argent que certains de ses membres n’ont pas), la presse française s’est empressée de faire croire que l’Allemagne venait d’octroyer 500 milliards à ses partenaires européens sans compter.

La réalité est très différente. Le plan franco-allemand doit être approuvé par chacun des 27 parlements de l’Union pour entrer en vigueur. Compte tenu des délais parlementaires habituels, cette perspective laisse du temps au temps, même en admettant que tous les parlements dégagent une majorité pour approuver ce texte.

Ce dernier point est toutefois loin d’être acquis… Dès l’annonce du plan, Néerlandais et Autrichiens ont fomenté une réaction, de concert avec les Suédois et les Danois, pour bloquer l’une des dispositions essentielles qui prévoit le versement des 500 milliards sous forme de subvention. Les « frondeurs » préfèreraient que la somme (versée sur trois ans) le soit sous forme de prêts. On n’en sera pas étonné.

Dans la foulée de cette réaction, plusieurs voix ont commencé à s’exprimer en Allemagne pour dire que la levée des 500 milliards n’impliquerait pas forcément de passer par des « coronabonds », c’est-à-dire des emprunts européens. Cette ambiguïté était apparue dès l’annonce du plan, puisque l’Allemagne avait annoncé à cette occasion que sa contribution ne dépasserait pas les 27% des 500 milliards totaux. Merkel semblait donc avoir déjà en tête la possibilité d’un financement direct par Etat et non par emprunt.

Il est trop tôt pour connaître le fin mot de cette histoire. Mais tout indique que l’euphorie française doit être tempérée par une réalité beaucoup plus incertaine. Le plan franco-allemand n’entrera pas en vigueur avant plusieurs mois – s’il doit entrer en vigueur –, et il n’est pas acquis qu’il soit adopté sous la forme qu’Angela Merkel et Emmanuel Macron lui ont annoncée.

Un peu de prudence serait donc la bienvenue.

La France dépense déjà sans compter les 500 milliards qu’elle n’a pas

Les pays du nord n’avaient pas encore fini de multiplier les réserves sur l’utilisation de ces 500 milliards, que le gouvernement français annonçait que le chômage partiel serait probablement prolongé pour ne pas mettre nos entreprises en difficulté. La France n’a évidemment pas un fifrelin pour financer cette opération coûteuse, mais l’Allemagne paiera, croyons-nous.

On ne saurait trop insister sur les risques de cette précipitation. Ce plan a constitué un bel affichage politique pour Merkel, qui redore le blason de l’Allemagne après la fracassante décision de la Cour de Karlsruhe proscrivant la solidarité avec le sud par le biais des interventions de la BCE. Mais rien n’exclut qu’il ne devienne rapidement caduc.

La France se trouvera alors seule face à ses dettes et à ses politiques publiques dépensières qui explosent littéralement les plafonds de ce qui sera un jour remboursable. Si l’Allemagne nous retire le tapis sous les pieds dans quelques mois, il faudra donc assumer des politiques fiscales douloureuses pour rétablir la situation.

Dans la pratique, la note souveraine française est déjà dégradée par Fitch. C’est peut-être le début d’un cycle qui sera nourri par le rétropédalage allemand sur la question de la solidarité européenne. On peut penser que la cécité des élites françaises vis-à-vis des rigueurs de l’ordolibéralisme prussien les conduira à passer outre à tous les avertissements sur le sujet, et à dépenser sans compter jusqu’au moment où la corde cassera.

Et là, il faudra faire attention à ses liquidités, car elles seront sérieusement menacées.

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