L’échec de la politique des banques centrales commence à être reconnu de tous ; la relance ne se manifeste pas, et l’opinion s’en aperçoit peu à peu.
Il semble que peu à peu la prise de conscience que les banques centrales ont « tiré sur la corde » se généralise. Cela n’a pas atteint le stade de la connaissance reconnue par tous, la common knowledge, en anglais – mais on y vient.
Et si on y arrive, cela changera tout.
La connaissance se propage par cercles concentriques, un peu comme le mouvement à la surface de l’eau quand on jette une pierre. Quand on a atteint les bords, on peut dire que l’on est dans la common knowledge et la perception du réel bascule.
Les comportements également.
L’échec des politiques monétaires à relancer la croissance, c’est une chose que Keynes a découverte lors de la Grande dépression des années 1930.
Sa proposition de politique visant à obtenir le plein emploi et à mettre fin à la dépression au début des années 1930 était d’abord articulée autour d’une réduction conventionnelle des taux d’intérêt puis d’un QE (quantitative easing, assouplissement quantitatif) non-conventionnel. En 1936, lorsqu’il écrivit son grand ouvrage, la Théorie générale, il a reconnu l’échec de la politique monétaire.
C’est ce qu’il se passe cette fois encore.
Les économistes traditionnels, y compris des keynésiens comme Paul Krugman, ont d’abord préconisé des injections monétaires massives pour stimuler les économies.
Le gouvernement japonais a même invité Krugman et d’autres à Tokyo pour les conseiller sur le QE. Le gouvernement et la Banque du Japon (BoJ) ont adopté le QE avec une audace sans pareil, à tel point que la BoJ a acheté la quasi-totalité des obligations d’Etat disponibles sur le marché – en vain. La croissance reste faible, l’inflation est proche de zéro et les salaires stagnent.
Les banques centrales sont à court d’idées
Les investisseurs le pressentent : ils sont en transition dans leurs croyances. La situation des marchés est paradoxale parce que des courants de croyances différentes se combinent et se mélangent ; le résultat des différentes composantes est difficile à interpréter.
Il y a en a qui jouent encore la poursuite des lignes antérieures, d’autres qui jouent l’accélération… il y en a qui croient à la rupture… et tout cela se traduit par la confusion.
C’est pourquoi les rendements obligataires sont négatifs dans le reste du monde et qu’aux Etats-Unis, la courbe des rendements s’est inversée. C’est pourquoi les marchés actions ont cessé d’être unanimes. C’est pourquoi l’or est recherché, etc.
Les banques centrales ne peuvent rien faire d’autre que réduire les taux d’intérêt là où ils ne sont pas encore nuls, les rendre plus négatifs là où ils le sont déjà, et préparer encore plus de QE.
Certains économistes radicaux n’ont pas abandonné la politique monétaire ; ils préconisent le fameux helicopter money, « l’argent déversé par hélicoptères » de Milton Friedman.
Celui-ci conseillait de contourner le système bancaire, d’imprimer de l’argent et de le donner directement aux ménages, c’est-à-dire envoyer des hélicoptères dans le pays pour l’arroser de liquidités et de pouvoir d’achat. Cet « argent pour le peuple » est le dernier recours de la solution de politique monétaire.
Le vent tourne
Les économistes plus avisés reconnaissent désormais que l’assouplissement monétaire ne fonctionne pas. Le Financial Times et le Wall Street Journal sont allés dans cette direction, et ils critiquent cette politique de plus en plus clairement.
Les éditorialistes les plus honnêtes font valoir que la transmission ne s’effectue pas :
« La politique monétaire est inefficace. Nous ne savons même pas comment cela fonctionne. Bien sûr, la politique des taux peut aider aux moments critiques du cycle économique en réduisant les paiements d’intérêts lorsque les débiteurs sont en difficulté. Mais nous avons atteint les limites de ce que les banques centrales peuvent faire. »
Le ruissellement est une chimère, l’argent ne va pas dans les poches de ceux qui en ont besoin et qui le dépenseraient.
Quant aux entreprises, elles ne prennent pas leurs décisions en fonction des taux d’intérêt, c’est une évidence désormais prouvée.
L’investissement des entreprises n’est jamais vraiment reparti ; il réagit fortement aux profits antérieurs mais, contrairement aux affirmations habituelles des économistes classiques, les dépenses d’équipement n’ont pratiquement aucun lien avec les variations des taux d’intérêt, la volatilité des marchés ou les spreads sur les obligations de sociétés.
Une enquête de la Réserve fédérale américaine auprès des dirigeants d’entreprises en 2012 conclut ceci :
« La plupart des entreprises se disent assez insensibles aux baisses de taux d’intérêt et qu’elles ne sont que légèrement plus sensibles aux augmentations de taux d’intérêt. »
Ce qui est le moteur des économies capitalistes et de l’accumulation de capital – car l’investissement n’est rien d’autre que l’accumulation du capital – c’est l’évolution des profits et de la rentabilité du capital investi.
L’histoire récente nous le prouve : la surabondance du crédit, les taux nuls, la volatilité faible, les spreads au plus serré, tout cela ne produit que… des rachats d’actions, de l’ingénierie financière.
L’argent fictif, pourrait-on dire, ne produit… que du capital fictif !
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]