A défaut d’avoir à sa tête un guide suprême pour diriger chaque aspect de notre société, l’Etats français oscille entre carotte, bâton et nudge pour orienter les comportements individuels et de groupe, avec cependant une préférence marquée pour le deuxième de ces trois moyens. C’est d’ailleurs le cas de la plupart de nos Etats occidentaux.
Certains Etats disposent cependant d’une artillerie législative bien plus lourde pour mener à bien leurs objectifs de constructivisme social.
Quelques nouvelles du modèle chinois pour une société harmonieuse
Dans la vision chinoise d’influence des comportements individuels et de groupe (dont je vous ai déjà parlé ici et là), les coups de bâton sont appliqués avec beaucoup plus d’aplomb.
Depuis le début des années 2010, la Chine prend en effet des allures de dystopie technologique à la Black Mirror, avec son scoring comportemental à la sauce communiste.
Après le test du debt shaming en accès libre pour « créer un environnement socialement fiable », vous serez ravis d’apprendre que l’Empire du Milieu continue son petit bonhomme de chemin pour renforcer l’harmonie au sein de sa population, donc le bonheur de cette dernière.
En 2018, l’Etat chinois a ainsi « empêché 17,5 millions de citoyens ‘discrédités’ d’acheter des billets d’avion et 5,5 millions d’acheter des billets de train », comme le rapportait Le Figaro au mois de mars. Par ailleurs, « la Commission nationale pour le développement et la réforme de la Chine a récemment dévoilé son intention d’interdire aux citoyens chinois ‘discrédités’ l’accès aux transports en commun, et ce pour une période d’un an », précisait le journal.
Plus récemment, le scoring comportemental chinois s’est étendu aux entreprises. Comme le rapportait Le Figaro le 25 septembre :
« Pékin espère […] construire une base unique de notation à l’échelle du pays à l’horizon 2021. Le système de crédit social a pour but d’influencer la prise de décision des entreprises afin qu’elles se conforment aux exigences du Parti. […] Les entreprises seront notées sur 1 000 points, ou de A à D. Cette note se basera, par exemple, sur des classements sur les obligations des entreprises en matière de douane, de fiscalité et de protection de l’environnement. […] Comme c’est le cas pour les individus, plus une entreprise aura une note faible, plus les restrictions sur ses activités seront importantes. »
Et Le Figaro de poursuivre :
« Lorsqu’une entreprise sera en conflit avec l’une des autorités, elle verra alors toute la machine d’Etat chinoise s’opposer à elle. […] Dans le cas d’un placement sur cette liste par les douanes, les contrevenants subissent un traitement bien particulier : ils sont contrôlés plus souvent et imposés plus sévèrement que les bons élèves. Mais ça ne s’arrête pas là, puisque le ministère de l’Intérieur peut interdire aux représentants de l’entreprise de sortir du pays. L’entreprise peut aussi se voir interdire l’accès aux prêts ou aux aides sociales, aux terres et forêts publiques, ou même aux ‘marchés publics’ […].
A l’inverse, les bons élèves bénéficient (non exhaustivement) de procédures administratives simplifiées, de moins de contrôles et de dédouanements prioritaires. »
Voilà de quoi engraisser une administration notoirement corrompue…
La France, bientôt sur la voie de la Chine ?
Pour le moment, le modèle français, qui repose avant tout sur de grands coups de genou dans les coui**es en matière de fiscalité comportementale, se situe à mi-chemin entre le modèle libéral du coup de pouce ou du coup de coude (nudge), et le modèle totalitaire chinois.
Cependant, nous avons vu que les hommes politiques désireux de nous imposer leurs « projets civilisationnels », ou tout bonnement « construire un peuple », ne manquent pas.
Nul doute que si de tels personnages devaient accéder à la fonction institutionnelle suprême, ils trouveraient sans mal une kyrielle d’intellectuels volontaires pour doter leurs ambitions d’un fondement pseudo-scientifique. A cet égard, ce qui se fait de « mieux » en France est sans doute Thomas Piketty, que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer.
Après Le Capital au XXème siècle (2013), cet économiste, qui a conseillé Ségolène Royal lors de la campagne présidentielle de 2007 avant de soutenir François Hollande en 2012 et Benoît Hamon en 2017, nous a livré au mois de septembre un nouvel ouvrage intitulé Capital et Idéologie.
Je ne vais pas commenter ici la méthode de travail de Thomas Piketty (Guillaume Nicoulaud s’en est déjà chargé à plusieurs reprises, par exemple ici), je voudrais simplement vous livrer quelques-unes des pépites qui m’ont sautées aux yeux dans la recension qu’en a fait Jean-Philippe Delsol, le président de l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF).
Je passe sur les velléités de taxation des revenus, des patrimoines et des transmissions « avec des taux atteignant jusqu’à 70%/90% au sommet ». Encore une proposition qui fait fi du principe selon lequel tout ce qui est excessif est insignifiant – trop d’impôt tuant l’impôt, comme chacun devrait le savoir depuis au moins Laffer, sans même parler de la fuite des capitaux qu’occasionnerait de telles annonces.
Je vais plutôt commenter les propositions d’inspiration soviétique vis-à-vis de la propriété privée. Ce qui fait véritablement de Thomas Piketty un idéologue digne d’inspirer les dictateurs chinois, c’est qu’« il veut un Etat qui contrôle tout, qui connaisse toutes les propriétés – s’il en reste ! – au travers d’un immense cadastre financier public et mondial. Il imagine aussi que la consommation carbone de chacun puisse être surveillée et taxée, à taux progressif bien sûr, au jour le jour au travers du suivi ‘des informations contenues dans les cartes de paiement individuelles’. Il aime Big Brother et il l’attend avec gourmandise », écrit Jean-Philippe Delsol.
Voilà sans doute de quoi poser les bases d’un « socialisme participatif et internationaliste » et égalitaire, pour le plus grand bonheur de tous.
Clôturons cette série qui nous aura occupée six samedis avec le bloggeur Hazukashi, qui a su résumer mieux que personne la tournure que prennent nos sociétés :
« On reproche à la politique d’être devenue une lutte cynique, une série de basses stratégies pour conquérir le pouvoir et le conserver. Mais il y a une autre conception, pire encore, qui se cache derrière. Sa dimension altruiste. Celle du jeune idéaliste pur et dur. Cette pulsion de l’homme-pieuvre qui veut votre bonheur, qui veut le bonheur de tout le monde, qui veut surtout que vous adoptiez sa conception du bonheur pour réaliser la paix sur Terre en vous englobant de tous ses tentacules comme dans un film pornographique japonais… »
Samedi prochain, nous verrons que l’immixtion du politique dans la sphère privée est malheureusement concomitante de la désertion de l’autorité de l’Etat là où il a pourtant une légitimité.