La Chronique Agora

Pourquoi nous parions sur l'Inde

▪ Après Dubaï, le Daily Telegraph nous annonce que la Grande-Bretagne est sur une pente dangereuse :

"Morgan Stanley craint une crise de la dette souveraine britannique en 2010", titrait un article dans la section économique du journal.

"Dans un cas extrême, une crise budgétaire pourrait mener à une fuite des capitaux internes, une faiblesse grave de la livre et des ventes massives d’obligations d’Etat britanniques. La Bank of England pourrait se trouver forcée d’augmenter les taux pour étayer la confiance et stabiliser la devise, menaçant la reprise économique fragile", déclarait le rapport de Morgan Stanley.

La situation s’éclaircit. Est-ce une illusion ? Ou bien le brouillard se lève-t-il vraiment ?

Nous n’en savons rien. Ce que nous voyons, c’est ce que nous avons anticipé 10 années trop tôt — un long ralentissement à la japonaise, ponctué de crises, de faillites et de défauts de paiement. A la fin des années 90, on a dit que le Japon avait perdu une décennie. Aujourd’hui, dix ans plus tard, il semble que les Japonais sont devenus remarquablement étourdis ; ils ont perdu une décennie de plus !

Les Japonais ont passé les 20 dernières années à essayer de provoquer une reprise. Il y a eu plusieurs signes encourageants. Mais à chaque fois, l’économie est retombée en récession… plus profondément encore qu’auparavant. Ces efforts de relance ont été coûteux ; le Japon est passé du statut de pays ayant les meilleures finances au monde à celui de pays ayant les pires finances au monde. Le ratio dette/PIB est déjà à 200%. Il passera bientôt à 300% si le gouvernement continue de dépenser au taux actuel.

Et où en sont les Japonais, avec tous leurs efforts ? Les actions nippones ont un peu rebondi… avec le reste du monde. Mais les prix à la consommation chutent à nouveau. Et les Japonais vieillissent — plus rapidement que le reste du monde. C’est comme si tout le pays avait pris sa retraite et que l’économie avait été mise en pension.

Les Américains ont eux aussi perdu la dernière décennie. Pas de croissance de l’emploi. Pas de croissance des revenus. Pas de gains boursiers. On dirait en plus que les Etats-Unis sont en bonne voie pour perdre une nouvelle décennie — exactement comme le Japon.

▪ Ce qui était perdu pour les deux plus grandes économies de la planète a été trouvé dans d’autres zones. L’Inde, la Chine, la Russie et le Brésil se sont développés à vitesse grand V — avec des revenus, des actions, des PIB, des prix, de l’emploi… en hausse considérable.

Et nous apprenions hier que notre économie émergente préférée continue de se développer, plus rapidement qu’on le pensait.

"A 7,9%, le taux de croissance de l’Inde pulvérise les prédictions", affirme le Financial Times.

Ce sont de bonnes nouvelles pour ceux qui espèrent que les marchés émergents fourniront la "croissance" nécessaire pour tirer le monde hors de la dépression. L’idée est assez simple. Les consommateurs américains tirent au flanc. Les consommateurs britanniques n’ont plus d’argent. Les consommateurs européens sont naturellement radins. Et les consommateurs japonais sont dans le coma.

Alors qui va consommer ? D’où proviendra la croissance qui permettra aux usines chinoises de continuer à polluer l’atmosphère et aux centres d’appels indiens de continuer à plonger leurs interlocuteurs dans la confusion ? Eh bien, elle proviendra d’Inde et de Chine… du Brésil et de la Russie… et du reste du monde émergent.

▪ Et voilà une petite information intéressante. Nouriel Roubini affirmait récemment qu’il était impossible que les Chinois remplacent les consommateurs américains. La consommation US est dix fois supérieure à celle de la Chine. Mais il devait avoir des informations différentes de celles d’un gestionnaire de fonds français qui calcule que la consommation chinoise a plus que compensé la frugalité américaine. A leur sommet, en 2007, les Américains dépensaient 380 milliards de dollars par mois au niveau des consommateurs. A présent, ce chiffre est proche des 345 milliards — soit une réduction de 35 milliards par mois.

Pendant ce temps, les dépenses de consommation chinoises sont passées de 110 milliards par mois à 150 milliards — 40 milliards de plus ; plus qu’assez pour compenser la nouvelle sobriété des Américains.

A ce rythme, la Chine redirigera bientôt sa capacité de production — comme l’Inde l’a toujours fait — vers son propre marché interne. Elle cessera d’être un exportateur majeur et, si vous pouvez y croire, deviendra importateur net.

Si cela se passait comme prévu, une avenue s’ouvrirait pour les Etats-Unis et autres économies vieillissantes, leur permettant de s’échapper de leur Monde Perdu. Ils pourraient faire passer leurs économies de l’importation à l’exportation… de la consommation à la production… de l’absorption à la fabrication… et des déficits aux surplus commerciaux.

Cela semble assez simple. Mais attendez… ce n’est pas tout. Pour vendre des choses aux Chinois et aux Brésiliens, il faudrait pouvoir leur faire concurrence soit sur le prix, soit sur la qualité. Il est difficile de voir comment les Américains pourraient faire concurrence sur le prix — à moins que l’inflation ne réduise substantiellement les coûts de main d’oeuvre US. En termes de qualité, généralement, ce sont les Allemands, les Italiens et les Français qui ont la main. Les Allemands font les outils de précision. Les Italiens font les sacs à main. Les Français font les yoghourts. Qu’est-ce qu’il reste ?

Eh bien, il y a encore de la place. Mais il faudra du temps pour se préparer. Votre correspondant, par exemple, a planté son drapeau — non celui de l’Alerte au Krach, mais le drapeau de son entreprise — en Inde. Il aimerait également planter un drapeau au Brésil. Mais il ne compte pas sur des profits rapides de la part de ces aventures étrangères. Il faut entre cinq et dix ans avant qu’une petite entreprise prenne vraiment de la vitesse.

Et d’ici là, les booms, les krachs et les effondrements sont inévitables.

Ce qui est vrai pour notre entreprise l’est sûrement pour une économie. Il faut du temps… des essais… des erreurs… des corrections… de l’entraînement… des booms, des krachs et des effondrements avant que quelque chose ne fonctionne vraiment. Et une ou deux décennies perdues…

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