La Chronique Agora

Politiques et marchés financiers : une incompréhension qui date (2/2)

Les politiques doivent créer des conditions propices à la croissance et au désendettement, plutôt que de se concentrer sur des mesures superficielles pour satisfaire à court terme des marchés imprévisibles.

Comme nous l’avons vu dans notre article précédent, les hommes politiques critiquent souvent les marchés financiers, en oubliant qu’ils ont eux-mêmes délégué leurs politiques économiques à ces marchés depuis les années 1980. Les solutions à court terme qu’ils proposent ne suffisent pas à résoudre les crises structurelles qui nécessitent des réformes profondes et durables.

Quand comprendra-t-on que les politiques doivent créer les conditions de la croissance et du désendettement ? Il ne sert à rien de prôner des mesurettes pour plaire aux marchés à court terme.

Entre ceux qui veulent « raser gratis » en ignorant les règles économiques élémentaires, et ceux qui cherchent systématiquement à satisfaire les marchés, nous ne voulons pas choisir. On peut ignorer les premiers, mais en ce qui concerne les seconds, posons la question suivante : à qui cherchent-ils vraiment à plaire ? Les marchés ne sont pas une entité abstraite ou omnisciente dépositaire de la répartition optimale des ressources. Ils sont composés d’une multitude d’acteurs aux contraintes, objectifs, horizons temporels et régulations variés : traders, arbitragistes, investisseurs institutionnels, trésoriers de banque, gestionnaires ALM, banques centrales, hedge funds, gérants d’actifs, structureurs, etc.

Les politiques doivent comprendre que les marchés sont avant tout hypocrites et, surtout, ne savent pas réellement ce qu’ils veulent. L’hétérogénéité des acteurs qui les composent en est la preuve. Il ne faut donc pas se laisser impressionner par leurs prétendus messages et exigences.

Ce dont les politiques ont besoin, c’est d’allier une politique sociale ambitieuse avec une rigueur budgétaire (qui signifie maîtriser les dépenses, et non pas simplement augmenter les impôts). Si les marchés sont convaincus que les responsables politiques sont capables de créer les conditions de la croissance économique et du développement social tout en maintenant l’équilibre financier et en gérant rigoureusement les deniers publics, alors toute tentative spéculative contre la monnaie ou la dette publique n’aura aucune crédibilité et sera vouée à l’échec.

Il faut dire aux responsables politiques et aux banquiers centraux : « Les marchés ne sachant pas réellement ce qu’ils veulent, il vous incombe de mettre en œuvre des politiques économiques créatrices de valeur pour tous les acteurs de l’économie (salariés, consommateurs, actionnaires, investisseurs, etc.) : une politique économique volontariste, cohérente et crédible, visant à accroître la croissance potentielle ; un partage intelligent de la valeur ajoutée ; une rigueur budgétaire pour les dépenses de fonctionnement, et un activisme budgétaire pour les dépenses d’investissement ; et des politiques monétaires et de change non dogmatiques. »

Beaucoup de responsables politiques, notamment en France, ont longtemps cru que l’euro les protégerait à jamais de toute erreur de politique économique. Je ne critique pas en soi la création de la monnaie unique européenne en 1999, et j’ai toujours considéré que revenir aux monnaies nationales aurait été contreproductif. Cependant, une critique légitime à l’égard de l’euro, qui n’a pas été mise en avant par ceux qui ont cherché à s’en affranchir, est la suivante : la disparition du risque de change avec la création de l’euro a conduit à un relâchement des disciplines budgétaire et fiscale, notamment dans les pays déjà en déficit extérieur. L’endettement extérieur de ces pays déficitaires s’est accru en raison de cette disparition du risque de change. Finalement, les marchés ont réalisé que certains de ces pays faisaient face non pas à une crise de liquidité, mais à une crise de solvabilité.

L’histoire se répète : la crise des dettes souveraines de la zone euro des années 2010 a succédé à la crise des changes du Système monétaire européen des années 1990. Aujourd’hui, au milieu des années 2020, la situation budgétaire de la France est sans doute pire que celle des pays d’Europe du Sud au début des années 2010, pour plusieurs raisons : l’incapacité à se réformer, le poids important de la dette publique détenue par des investisseurs et banques nationaux (impliquant un risque systémique potentiel), et des déficits jumeaux, à l’image des Etats-Unis, mais sans bénéficier de la protection d’une monnaie de réserve internationale telle que le dollar.

Focus sur les déficits jumeaux

On les qualifie de « jumeaux » lorsqu’ils coexistent. Certains pays, comme les Etats-Unis, connaissent un déficit de leur balance des paiements et doivent le financer en attirant des capitaux étrangers, avec le risque d’une crise de solvabilité externe en cas de perte de confiance des investisseurs. D’autres pays, comme la France, font face à un déficit budgétaire qu’ils doivent financer par l’impôt ou l’emprunt, avec le risque d’une crise de solvabilité interne (crise de la dette publique). Quand un pays connaît ces deux déficits en même temps, le risque systémique devient encore plus élevé.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile