Les politiques n’acceptent jamais la sanction des marchés.
Les hommes politiques, si prompts à critiquer les marchés financiers, oublient souvent que ce sont eux-mêmes, quelle que soit leur affiliation politique, qui ont délégué leurs politiques économiques à ces mêmes marchés. Ce phénomène a débuté au début des années 1980 dans le monde anglo-saxon, et au milieu des années 1980 en Europe continentale.
C’est alors que s’ouvre la fameuse période des « 3D » : dérégulation, désintermédiation et déréglementation. A cette époque, tout le monde loue les bienfaits des marchés. Ils facilitent le financement de l’économie en désintermédiant la relation entre le prêteur et l’emprunteur. Ils permettent surtout d’absorber sans grandes difficultés le financement des gaspillages publics (ou, en termes plus policés, l’animation et le financement de la dette publique, comme en France avec la participation des banques spécialistes des valeurs du Trésor lors des adjudications mensuelles de titres d’Etat).
La nécessité de continuer à financer les gaspillages et les excès d’endettement des Etats a souvent conduit à des bulles. Entre 2016 et 2020, de nombreux emprunts d’Etat présentaient des taux de rendement actuariels négatifs et les risques extrêmes étaient minimisés. Pourtant, on découvre aujourd’hui qu’un emprunt d’Etat, même émis par un pays de l’OCDE, peut être un actif risqué.
Il est donc facile de condamner la prétendue folie des marchés. Après tout, pourquoi ces derniers ne pourraient-ils que souscrire aux émissions de bons du Trésor des Etats, sans avoir le droit de les vendre lorsqu’ils estiment, à tort ou à raison, que les politiques budgétaires sont inefficaces et dispendieuses ?
Cette incohérence politique se reflète également dans le jugement porté sur les agences de notation : elles ont toujours tort lorsqu’elles dégradent une note, mais sont adulées lorsqu’elles la maintiennent ou l’améliorent. De nombreux exemples en France illustrent cette attitude, que ce soit avec Bruno Le Maire ou ses prédécesseurs, et probablement avec ses successeurs.
Cela dit, je ne suis pas un défenseur inconditionnel des agences de notation, et ce pour deux raisons.
Premièrement, elles ne sont pas toujours objectives et ont montré par le passé leur cupidité. En 2006-2007, lors de la crise des subprimes, elles ont fait preuve de complaisance en notant favorablement des émissions structurées complexes, car plus elles les notaient bien, plus elles étaient souscrites et plus les agences étaient commissionnées.
Deuxièmement, leur timing est souvent inapproprié. Les dégradations arrivent parfois trop tard, rendant alors les agences inutiles. A l’inverse, elles peuvent intervenir trop tôt, en pleine consolidation des finances d’un émetteur, ce qui aggrave la situation en augmentant ses taux d’intérêt sur le marché secondaire.
Mauvaises compréhensions et malentendus entre politiques et marchés financiers
Les hommes politiques ne comprennent pas toujours bien les marchés, comme le montre encore la situation actuelle. Ils pensent qu’une crise peut être résolue par des interventions ponctuelles et sélectives, qui ont certes leur utilité, mais qui ne s’attaquent pas aux causes profondes de la crise.
Ces interventions varient selon le type de crise.
En période de crise de change, une banque centrale peut être amenée à émettre sa propre monnaie pour la vendre sur le marché si elle la juge surévaluée, ou au contraire, à utiliser ses réserves de change pour défendre sa devise en la rachetant.
En cas de krach obligataire ou d’explosion des déficits publics, la banque centrale, sous la pression des gouvernements, peut monétiser directement ou indirectement la dette publique en achetant des titres d’Etat ou en mettant en place des conditions exceptionnelles pour encourager les banques à investir massivement dans ces titres.
Lors d’un krach boursier, il peut s’agir d’assouplissements monétaires traditionnels par des baisses des taux directeurs.
Enfin, en cas de dysfonctionnements du marché monétaire, la banque centrale peut allouer des liquidités via des appels d’offres extraordinaires pour remédier aux difficultés de refinancement à court terme des établissements financiers. Ces difficultés peuvent être dues à la réticence des banques à se prêter entre elles, ou au désintérêt croissant des investisseurs pour les émissions de dettes bancaires.
Cependant, ces mesures, bien qu’indispensables, ne suffisent pas à résoudre une crise.
Pour une résolution structurelle des crises, plusieurs conditions doivent être réunies : un retour de confiance durable des agents économiques et des investisseurs, des changements structurels dans leur comportement, des politiques économiques crédibles et intelligentes qui favorisent à la fois la croissance et la gestion rigoureuse des finances publiques et des réformes structurelles à long terme pour accroître la productivité de l’économie. Nous en sommes de plus en plus loin.
Nous verrons demain que les politiques doivent se concentrer sur la création des conditions favorables à la croissance et au désendettement, plutôt que de céder à des mesures superficielles pour plaire aux marchés à court terme.