La Chronique Agora

Trois pièges que les banques centrales tendent aux investisseurs

Comme nous l’avons vu hier, les banques centrales et l’ensemble de la communauté financière favorisent outrancièrement le présent et sont plus que jamais les adeptes du fameux adage de Keynes selon lequel "à long terme nous serons tous morts".

La préférence pour le présent est malheureusement le mode de fonctionnement par excellence de l’économie moderne (agents économiques privés, Etats) en général et des marchés financiers en particulier. En effet, ces derniers sont constitués d’investisseurs et de gérants d’actifs avec un horizon finalement court-termiste et, comme les politiques, on ne se préoccupe pas trop de l’héritage que l’on va laisser à son entreprise, son institution, ses successeurs…

Cette préférence pour le présent, à nos yeux destructrice pour la croissance économique future, est aggravée par les banques centrales comme nous pouvons le constater par ces trois exemples.

1/ Les banques centrales normalisent de mauvaises habitudes : ne pas rembourser, valoriser sans marché
Une banque centrale a le privilège de ne pas rembourser la dette qu’elle émet. En créant de la monnaie, la banque centrale émet une dette sur elle-même non exigible — en tout cas tant que la monnaie émise est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve. On imagine mal qu’il en soit autrement dans une économie moderne.

Aujourd’hui, beaucoup d’Etats se conduisent comme s’ils ne rembourseront jamais leurs émissions de dettes publiques

Eh bien, aujourd’hui, beaucoup d’Etats se conduisent comme s’ils ne rembourseront jamais leurs émissions de dettes publiques (en se disant qu’elles finiront bien par être restructurées ou bien purement et simplement monétisées, donc transformées en monnaie émise par la banque centrale)

Une banque centrale ne note pas en valeur de marché (mark-to-market) les actifs qu’elle possède car elle n’est pas liée par les règles comptables qui s’imposent aux banques. Ce qui signifie qu’elle n’est pas sensible aux moins-values latentes ou réalisées sur certains actifs qu’elle détient.

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Les marchés et investisseurs rentrent également de plus en plus dans cette logique d’"indifférence" vis-à-vis du prix auquel sont rentrés en portefeuille les actifs et vis-à-vis de leur variation de valorisation. Ils ont été et sont protégés par ce que l’on a appelé le put Greenspan puis le put Bernanke et aujourd’hui le put Draghi. Il s’agit d’une assurance implicite mais inconditionnelle que la banque centrale interviendra s’il le faut. Certes, de temps à autre, des bulles d’actifs financiers éclatent mais ces anciennes bulles finissent souvent par se reformer.

2/ Les banques centrales donnent aux marchés l’illusion de l’immortalité
Il suffit de regarder comment certaines émissions sur des durées extrêmement longues sont sursouscrites par les investisseurs. Les taux longs des emprunts d’Etat jugés les plus sûrs étant très bas, la quête de rendement absolu a conduit nombre d’investisseurs à rentrer dans leurs bilans des titres de moins en moins bien notés (obligations d’entreprise bien notées, puis en difficulté, obligations de pays émergents), sur des maturités qui dépassent l’espérance de vie, y compris celle des plus jeunes d’entre nous.

Citons quelques exemples d’émissions :

– Emission en avril du Mexique pour un milliard de livres à 100 ans au taux facial de 5,75% 
– Emission en août de l’Espagne à 50 ans avec une forte demande des investisseurs qui ont vie oublié la sévère crise de solvabilité de juillet 2012. La promesse des OMT de la BCE aurait-elle subitement résolu les problèmes d’endettement ?
– Emissions à 100 ans de grandes entreprises comme GDF Suez ou EDF
– Emissions à 7, 10 et 30 ans d’Apple en avril ; objectif initial 10 milliards de dollars avec un taux de sursouscription hors norme de près de 4, soit près de 40 milliards de dollars de demande de la part des investisseurs.

Il est légitime de se poser la question du bien-fondé pour un investisseur d’investir sur ces durées

Il est légitime de se poser la question du bien-fondé pour un investisseur d’investir sur ces durées.

3/ Les banques centrales développent un sentiment d’impunité chez les investisseurs.
Les marchés vivent depuis plus de 10 ans avec de confortables rentes de situation et subventions étatiques ou para-étatiques. Les acteurs des marchés financiers sont donc considérés à tort comme les meilleurs représentants du libéralisme.

C’est un peu comme si un investisseur achetait des produits financiers structurés avec le rendement assuré et bonifié sur une période de court terme, avec en plus une assurance tous risques payée par la collectivité (qui reprendrait les actifs en cas de scénario catastrophe).

Combien de fois n’a-t-on entendu que si les choses se compliquaient sérieusement sur les marchés, il y aurait toujours un acheteur ou prêteur en dernier ressort ?

Comment ne pas favoriser populismes et extrémismes si les autorités prennent des décisions stupides et dangereuses et ne subissent jamais les conséquences de leurs erreurs ? La punition de l’erreur (disons toute erreur systématiquement répétée) et la récompense de l’effort ne sont-elles pas les meilleures garantes de la justice et de l’efficacité d’un système économique ?

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