Après 40 ans de bulle financière, le jour du Jugement dernier est venu.
Eve :
« Nous mangeons du fruit des arbres du jardin. Cependant, en ce qui concerne le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: ‘Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.’»
Serpent :
« Vous ne mourrez absolument pas, mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme Dieu : vous connaîtrez le bien et le mal. »
~ Genèse 3.2-5
Bonner :
Ok, d’accord.
La situation actuelle offre plusieurs degrés de lecture. Le premier consiste à estimer que nous traversons une « correction » des marchés actions. Ceux qui poussent l’analyse un peu plus loin observent un basculement historique du marché obligataire.
Les deux marchés sont en train de reculer après avoir atteint des sommets historiques.
Mais comment ont-ils pu atteindre ces niveaux ? En se penchant de plus près sur cette question, on en découvre et on en apprend plus, au prix d’une grande confusion.
Dans une économie vertueuse, on crée de la richesse en fournissant de véritables marchandises et services aux autres. Plus une société produit de biens et de services, plus elle est riche. Les prix élevés n’ont jamais été un problème. Ils sont simplement une information, qui nous disent où investir pour accroître la production.
Extensible et visqueux
Mais c’est là qu’intervient le serpent. Il vous propose un marché tellement alléchant qu’il est impossible de le refuser. En 1971, les États-Unis ont changé leur système monétaire. Milton Friedman fut à l’origine de ce changement. Il a donné naissance au monétarisme, un système monétaire dans lequel le dollar ne serait plus arrimé à l’or.
Désormais, la masse monétaire augmenterait de manière régulière et prévisible (Friedman recommandait une augmentation de 3% par an, ce qui équivalait plus ou moins au taux de croissance du PIB à l’époque).
L’idée semblait bonne, puisque les Etats-Unis n’étaient ainsi plus obligés de racheter les dollars détenus par les investisseurs étrangers avec de l’or.
Mais il n’a pas fallu longtemps pour que les gens réalisent que cet argent nouveau était extensible… et visqueux. Ils pouvaient l’utiliser comme du ruban adhésif pour recouvrir des fissures, des trous ou des brèches au lieu de créer de la vraie richesse.
Inutile d’équilibrer les revenus et les dépenses. Pas la peine de mettre de l’argent de côté.
Vous souhaitiez faire monter le cours de Bourse de votre entreprise ? Il suffisait d’emprunter de l’argent et de racheter vos propres actions. Grâce aux taux ultra faibles de la Fed, il était souvent possible d’emprunter à un taux inférieur au taux d’inflation des prix à la consommation ou à un taux inférieur au taux de croissance des bénéfices de votre entreprise. Emprunter à un taux de 3% pour acheter une action qui rapporte 4%, lorsque l’inflation est à 5% ? Il n’y a même pas à réfléchir.
Ou bien, imaginez que vous souhaitiez acheter une nouvelle maison. Pas besoin de travailler et d’économiser pour pouvoir l’acheter. Il suffisait d’emprunter. Inutile de rembourser le prêt. Il suffisait de le refinancer, encore et encore…
Où se trouve l’argent
Emprunter, emprunter, emprunter… Le système offrait du crédit en quantité illimitée. Et le seul moyen de gagner de l’argent dans ce monde financiarisé était de se lancer dans la finance, pas dans l’industrie. Progressivement, les grandes demeures de Long Island et d’Aspen ont changé de propriétaires.
Les familles qui avaient fait fortune en fabriquant des matelas et des boîtes de céréales s’en sont allées, laissant la place à des gérants de fonds et autres vautours de l’univers du capital-investissement. Les mères, pas stupides, ont inculqué à leurs enfants qu’il ne servait à rien d’aller chercher un emploi chez General Motors à Detroit. Il était plus judicieux d’aller chercher un emploi à Manhattan chez Goldman Sachs, puisque c’est là que se trouvait l’argent.
Mais cet argent facile était également trop beau pour être vrai. Il est difficile de produire des biens et des services. L’argent, au contraire, est facile à produire. Rapidement, il y a eu bien plus d’argent qu’il n’y avait de biens et de services.
Oui, le système présentait une faille fatale. On s’est rendu compte que les gens qui le dirigeaient n’étaient pas des dieux, tout compte fait. C’étaient des abrutis.
Le PIB américain s’élevait à un peu plus de 1 100 Mds$ en 1971. Il s’élève désormais à 24 000 Mds$, ce qui représente une multiplication par 21. Mais la dette fédérale n’était que de 398 M$ en 1971. Elle s’élève désormais à 30 000 Mds$, soit une multiplication par 75. En d’autres termes, la masse monétaire a progressé trois fois plus vite que la production de biens et de services (le PIB).
Tom Dyson, notre directeur des investissements, m’expliquait hier :
« Le système a désormais besoin d’une croissance constante du crédit et de la dette pour survivre. Dès que la dette arrêtera de croître (ou d’être refinancée à des taux abordables), le système plongera dans ce que les économistes appellent une ‘déflation de la dette’.
Prenons l’image d’une montgolfière qui perdrait soudainement son air chaud. Elle n’atterrirait pas en douceur. Elle s’écraserait brutalement. C’est aussi simple et inévitable que cela. »
En temps utile
Oui, la Fed a coupé le gaz. C’est la fin de la « financiarisation ». L’économie de « l’inflation ou la mort » est en train de mourir.
Mais pourquoi maintenant ? Après 40 ans de bulle financière, on aurait pu penser que la Fed aurait compris.
Hélas ! Ce n’est pas le cas. Elle est passée à côté d’un point essentiel. Lorsque la monnaie se fait plus abondante que les marchandises, les prix augmentent. Et désormais, à l’heure où l’inflation atteint un taux nettement supérieur au taux directeur de la Fed, les contrôleurs ont perdu le contrôle. Ils ont un temps de retard sur les événements.
Et ils n’ont plus le choix. Ils doivent ralentir l’économie. L’argent fictif doit retourner là d’où il vient.
L’argent meurt. Les prix meurent. Les entreprises meurent. La dette meurt. Les emplois meurent. Et c’est toute cette économie accro à l’argent qui commence à pourrir aux extrémités. Les cryptomonnaies et les NFT se désagrègent, comme des orteils gangréneux. Puis le mal se propage le long du corps, jusqu’aux organes.
La grande question pour nous est la suivante : combien de temps la Fed laissera-t-elle progresser la putréfaction avant de paniquer et de reprendre sa politique inflationniste ?
La réponse à cette question se révèlera d’elle-même en temps utile.