La Chronique Agora

Paulson sur le parquet, la confiance de Wall Street au tapis

** Ne nous y trompons pas : si Paris (+0,78%) est parvenu à inscrire une troisième séance de hausse consécutive — à l’arraché, et après avoir effectué une incursion en territoire négatif en fin d’après-midi — il ne s’agit aucunement de la traduction d’une quelconque forme d’optimisme, et encore moins d’une poursuite de la vague d’achat qui s’est enclenchée vendredi dernier.

Une journée telle que celle de mardi équivaut bel et bien à une séance de consolidation. Pour s’en convaincre, il suffisait de jeter un regard périphérique sur les autres places boursières du Vieux Continent : elles ont reculé de 0,6% en moyenne mais Londres et Francfort corrigeaient de plus de 1% dans le sillage de Wall Street.

Les indices américains n’ont pas tardé à reperdre 2,5% à 3% moins de deux heures après l’ouverture, comme si l’embellie sur le marché interbancaire faisait soudain de l’ombre aux actions. Ce ne pouvait être le cas ; les causes de la morosité des investisseurs étaient à rechercher du côté des trimestriels des entreprises, et les déceptions n’ont pas manqué ce mardi.

** Les valeurs exportatrices américaines subissent le contrecoup d’une nouvelle poussée haussière sur le dollar, qui profite de la rechute de 5% du baril de pétrole, jusque vers 70,5 $.

La résurgence de la volatilité sur le NYMEX a coïncidé avec l’expiration des contrats à terme hier. Les justifications fondamentales de la faiblesse du baril ne pèsent pas très lourd face au débouclage de stratégies qui sont passées de haussières à très baissières en l’espace de quelques semaines.

A la lumière de ces éléments techniques, il convient de relativiser la faiblesse de l’euro… car c’est le dollar (+1,95% à 1,3095) qui s’avère plus fort contre toutes les devises depuis 48 heures.

Mais la monnaie qui flambait littéralement ce mardi, c’est le yen : il s’envole de 3,5% par rapport à l’euro, de 1,5% par rapport au dollar. La nette détente des taux interbancaires aux Etats-Unis réduit sensiblement l’attrait du billet vert par rapport à la devise nippone.

** En Europe également, les rendements se sont détendus (l’Euribor trois mois est passé sous les 5%, à 4,97%,) mais ce n’est pas ce phénomène qui explique l’envolée du Crédit Agricole (+15,7%), de la Société Générale (+10,2%) ou de la BNP-Paribas (+7,5%). Non, la vraie bonne surprise du jour, c’est l’Etat français qui a annoncé l’apport de 10,5 milliards d’euros aux six plus grandes banques commerciales françaises, sous forme de titres de créance remboursables.

Didier Migaud s’interroge : "pourquoi privilégier des titres subordonnés (plutôt que des actions) qui privent ainsi l’Etat de tout bénéfice lié à l’amélioration de la situation financière, versement de dividendes ou progression du cours de Bourse ?".

"Ce choix se fait au détriment de l’intérêt patrimonial de l’Etat et au bénéfice des actionnaires, qui ne subiront aucune dilution ni aucune conséquence sur la distribution de dividendes (Baudoin Prot, le CEO de BNP-Paribas s’en félicite)".

Cette mesure constitue la première étape dans la mise en oeuvre du plan de soutien aux banques d’un montant de 40 milliards d’euros.

Face à d’évidents signaux de faiblesse de nos économies, l’Europe tente de se mobiliser pour trouver une solution commune à la récession. Le président de l’Union européenne, Nicolas Sarkozy, a appelé à la création d’un gouvernement économique de la Zone euro et à la mise en oeuvre d’une feuille de route pour soutenir l’économie.

** A Wall Street, au lendemain de l’appel à un plan de relance de Ben Bernanke, Henry Paulson est allé prendre le pouls de la bourse américaine directement sur le parquet du NYSE. Pour symbolique qu’elle soit, sa présence au plus près des opérateurs n’a pas suffi à les rassurer puisque le Dow Jones chute au final de 2,5% à 9 033 points, après avoir tenté un retour à l’équilibre à mi-séance.

L’indice S&P 500 a dévissé de 3,1% mais la plus lourde correction a sans surprise frappé le Nasdaq. L’indice chute de 4,15% dans le sillage de Texas Instruments (-6,5%) et de Sun (-17,5%) après la publication de profits en baisse et le lancement d’un profit warning sur le quatrième trimestre 2008.

La forte rechute du pétrole a provoqué une sévère correction du compartiment des valeurs pétrolières avec des pertes de 6,5% sur Noble Energy, ConocoPhilips et Anadarko. Ce sont en fait toutes les matières premières qui pâtissent d’anticipations de "croissance négative" — comme dirait Eric Woerth –, à l’image de la lourde rechute du cuivre (-4,5% à 2,02 $).

Le n°1 mondial de l’extraction du minerai rouge, Freeport McMoRan, plongeait de 10,85%. Les amateurs du métal jaune ont également vécu une journée porteuse de sombres présages : l’once d’or a dévissé de 4% et a enfoncé un important support graphique situé dans la zone des 775/780 $.

Pour résumer cette journée saumâtre pour les détenteurs d’actions, d’euros et de métaux (précieux ou non), aucun secteur d’investissement ne semble à l’abri des turbulences, d’où une soudaine remontée… du sentiment d’insécurité.

L’ouverture en forte baisse des places asiatiques ce mercredi — -2% d’entrée de jeu de Séoul à Hong Kong, en passant par Tokyo — témoigne de cette vulnérabilité dont les marchés mettront longtemps à se débarrasser… à moins que les gouvernements ne leur procurent l’occasion de se réfugier temporairement dans le paradis artificiel des plans de relance à courte vue (de type Paulson) et des baisses de taux.

Le Canada vient d’abaisser les siens de 25 points de base mardi à 2,25%… mais Toronto a tout de même replongé de 4,45% : l’indice a terminé aussi rouge que les feuilles d’érable sur les rives du Lac Ontario.

Philippe Béchade,
Paris

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