La Chronique Agora

Un pas de plus vers la guerre

Le 28 janvier dernier, trois soldats américains ont été tragiquement tués et 34 autres blessés – dont certains gravement – lors d’une attaque que le gouvernement américain a attribuée à un drone.

Des doutes subsistent sur le fait qu’il s’agisse d’un drone : 37 victimes représentant un nombre élevé pour une attaque de drone, il est possible que ce soit un missile. Et des doutes subsistent également sur le fait qu’elle ait eu lieu en Jordanie : elle a pu se produire en Syrie, près de la triple frontière entre la Syrie, l’Irak et la Jordanie.

Dans tous les cas, la gravité de cette attaque, quant à elle, ne fait aucun doute.

On ne sait pas trop qui en est à l’origine, mais les milices de la région, soutenues par l’Iran, en sont probablement responsables.

Des voix telles que celle du sénateur Lindsey Graham appellent déjà à riposter en force contre l’Iran. Cela n’a rien de surprenant. Depuis des années, la volonté de faire la guerre à l’Iran démange les va-t-en-guerre tels que Graham. Cet incident n’est que le dernier prétexte en date.

Pour sa part, Joe Biden a déclaré ceci : « Nous demanderons des comptes à tous ceux qui sont responsables au moment et à la manière de notre choix. » Reste à savoir quelle sera la réponse et à quel moment elle se produira.

Parallèlement, deux Navy Seals sont récemment morts au large du Yémen. Ils se seraient noyés dans une mer déchaînée après avoir tenté d’aborder un navire soupçonné de transporter des armes iraniennes destinées aux Houthis.

Et donc, les Etats-Unis ont désormais des victimes à déplorer, dans ce dernier conflit en date au Moyen-Orient.

Bien entendu, cette attaque n’est pas un incident isolé ou dû au hasard. Il intervient sur fond d’évènements plus vastes, à commencer par la guerre à Gaza.

Une chose en entraînant une autre

Israël a riposté aux attentats terroristes du 7 octobre, qui ont fait plus de 1 000 morts, par une puissante opération militaire contre le Hamas, à Gaza. Elle est toujours en cours.

En riposte à la réponse israélienne, les rebelles Houthis – soutenus par l’Iran et opérant au Yémen – ont commencé à viser des navires empruntant la mer Rouge en direction d’Israël.

Le Yémen se situe près du détroit de Bab el-Mandeb, une voie maritime cruciale entre l’Europe et l’Asie par laquelle passe une bonne partie du pétrole mondial.

Mais les Houthis attaquent également des navires n’ayant aucun lien manifeste avec Israël.

Pour éviter ces attaques, les navires sont donc contraints de passer par le sud de l’Afrique, ce qui rallonge considérablement les délais de transport et peut faire grimper les coûts de 25%.

La marine américaine à la rescousse

La marine américaine a été dépêchée dans cette zone afin de protéger les navires qui empruntent la mer Rouge de ces attaques orchestrées par les Houthis. Et elle est parvenue à bloquer certaines d’entre elles en abattant des drones et des missiles Houthis.

Mais cela a un prix. Les missiles de défense aérienne que la marine utilise pour abattre les drones Houthis coûtent 2 M$ l’unité, alors que les drones utilisés par les Houthis ne coutent que 2 000 $ ou 3 000 $. En outre, la marine lance toujours deux missiles contre chaque cible pour augmenter ses chances de l’abattre. Par conséquent, il faut dépenser 4 M$ pour abattre un drone de 2 000 $. Ce n’est pas franchement économique.

Et comme les destroyers de la marine américaine ne transportent qu’un certain nombre de missiles, des attaques de drones concentrées et soutenues pourraient finir par vider les réserves. Il faudrait alors ramener les navires au port pour les réarmer avant que d’autres ne soient acheminés. Cela voudrait dire qu’aucun porte-avion ne croiserait dans la zone, car ils ne peuvent opérer sans escorte.

Imaginez la précieuse propagande que cela engendrerait : une poignée de rebelles Houthis qui chasse la marine américaine de la mer Rouge !

En attendant, les Etats-Unis ont également lancé des missiles contre les positions Houthis au Yémen, mais cela ne semble pas particulièrement efficace. Les attaques Houthis en mer Rouge persistent.

Un autre incident de type Golfe du Tonkin ?

On verra ce que donneront tous ces évènements, mais il existe un vrai risque d’escalade qui pourrait dégénérer en conflit plus vaste dans la région.

Par exemple, que se passerait-il si un drone Houthi ou un missile antinavire échappait à la défense américaine ou endommageait sérieusement un navire américain et tuait un grand nombre de marins américains ? La riposte américaine contre l’Iran serait probablement rapide et très forte. Est-ce que l’Iran riposterait en fermant le détroit d’Ormuz, en empêchant le pétrole du monde entier de circuler ?

Nous pourrions nous orienter vers quelque chose de semblable à l’incident du Golfe du Tonkin, en 1964, qui a justifié à l’époque un engagement plus vaste des Etats-Unis au Vietnam.

Des navires de patrouille nord-vietnamiens auraient attaqué des destroyers américains lors de deux affrontements distincts, bien que l’on ne sache pas trop si ces attaques ont vraiment eu lieu. Dans l’autre affrontement, l’un des destroyers américains aurait peut-être essuyé quelques tirs de mitrailleuse.

Dans tous les cas, il n’est pas difficile d’imaginer qu’un incident en mer Rouge, réel ou imaginaire, pourrait aboutir à une confrontation militaire directe entre les Etats-Unis et l’Iran.

Cela pourrait ouvrir un deuxième front en Israël, dans la mesure où le Hezbollah, soutenu par l’Iran, attaquerait probablement Israël depuis ses bases du Liban. La Turquie, un allié clé des Etats-Unis mais qui critique fortement la riposte d’Israël à Gaza, pourrait même être impliquée.

Qui sait ce qui arriverait ensuite ?

Inutile de le dire, un conflit plus vaste au Moyen-Orient entrainerait de graves conséquences pour l’économie mondiale.

La menace d’un pétrole à 200 $

L’incertitude liée à la guerre a suffi pour établir un plancher sous les cours du pétrole, bien qu’il n’ait pas flambé comme le prédisaient certains au début de la guerre. De puissantes dynamiques déflationnistes et désinflationnistes tentent de faire baisser les cours du pétrole, notamment une baisse de la consommation d’essence aux États-Unis et la probabilité d’une récession à court terme.

La dynamique baissière de la désinflation et la dynamique haussière de la guerre se sont équilibrées, et les cours du pétrole sont restés relativement stables. Cela va changer radicalement en cas d’escalade de la guerre.

Dans ce cas, il n’est pas exclu que les cours du pétrole atteignent 120 $, voire plus. Même si Israël mesure ses attaques contre l’Iran – du moins selon la définition des Etats-Unis – ce serait sans doute suffisant pour que l’Iran ferme le Détroit d’Ormuz, barrant ainsi le passage aux exportations de pétrole provenant d’Arabie saoudite, du Koweït et des Emirats arabes unis, entre autres.

A ce stade, les cours du pétrole pourraient facilement flamber à 200 $ le baril, voire plus. Les économies occidentales, dont les États-Unis, subiraient immédiatement une récession pire que l’effondrement provoqué par la pandémie de 2020, et probablement pire que lors de la crise financière mondiale de 2008.

Le leadership de l’Amérique

Evidemment, ce type d’escalade extrême pourrait être prévenu par un puissant leadership des Etats-Unis. Si les Etats-Unis n’avaient pas provoqué la guerre en Ukraine, il serait possible de tendre la main à la Russie, de telle sorte que la Russie et les Etats-Unis recourent à la diplomatie avec l’Iran et Israël pour éviter l’escalade.

Les évènements s’orientent vers une nouvelle escalade. Le pire scénario n’est en aucun cas inévitable, mais nous devons nous y préparer. Les Etats-Unis semblent être incapables – ou ne pas avoir la volonté – d’atténuer l’un ou l’autre de ces désastres.

La dernière attaque ciblant les soldats américains ne fait qu’augmenter le risque. Attachez bien votre ceinture.

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