Des chars russes, des rendements obligataires en hausse et une dette nationale qui n’en finit pas de s’alourdir…
Il y a des choses qui sont manifestement désastreuses… mais apparemment irrésistibles. Conduire en état d’ébriété… envahir la Russie… dépenser plus que l’on ne peut se permettre – tôt ou tard, toutes ces choses sont vouées à créer de gros problèmes.
Les déficits américains tendent aujourd’hui vers les 2 000 milliards de dollars par an. À ce rythme, il ne faudra pas longtemps pour faire faillite. Et comme le Trésor américain a la possibilité d’ »imprimer » tout l’argent qu’il souhaite, ce n’est qu’une question de temps avant que les presses ne tournent à plein régime, jour et nuit.
C’est du moins notre hypothèse de base.
Une autre de nos hypothèses est que la tendance primaire s’est inversée. Après un marché haussier de quatre décennies, les actions et les obligations sont entrées dans un cycle baissier durable. Les rendements obligataires ont atteint leur niveau le plus bas en juillet 2020, et sont en pleine ascension depuis. La presse financière grand public s’en rend compte. Reuters rapporte :
« Le marché obligataire américain nous signale la fin d’une époque
L’ère des taux d’intérêt bas et de l’inflation, qui a commencé avec la crise financière de 2008, est terminée. La suite n’est pas claire.
Le point de vue du marché s’est précisé ces derniers jours, avec une hausse spectaculaire des rendements des obligations du Trésor à 10 ans, qui ont atteint leur plus haut niveau depuis 16 ans.
‘Nous sommes entrés dans une nouvelle ère’, a déclaré Greg Whiteley, gestionnaire de portefeuille chez DoubleLine. ‘Il ne s’agira pas de lutter pour augmenter le taux d’inflation ; il s’agira de s’efforcer de le maintenir à un niveau bas’. »
Une nouvelle ère ?
Pas vraiment. Une très vieille ère… dans laquelle les poules rentrent à la maison pour s’y percher, comme elles le font toujours. Et avec la hausse des prix et des taux d’intérêt… ainsi qu’une dette de plus en plus importante à financer… il y aura certainement des cris dans le poulailler.
La semaine dernière, nous nous sommes concentrés sur le plus gros poste de dépenses fédérales, à savoir le coût du maintien de l’empire : bases militaires, programmes d’aide, achats d’armes, navires, avions… et tout ce qui a trait à la « domination ». Ces dépenses sont généralement regroupées dans une catégorie appelée « défense nationale ». Mais la partie « défense » ne représente probablement qu’un tiers du budget. Le reste sert à projeter une forme de pouvoir et d’influence, et non à protéger la patrie.
La guerre en Ukraine a coûté 100 milliards de dollars. Cet argent n’a rien à voir avec la défense des 50 États ; au contraire, il met les Etats-Unis en situation de conflit avec la Russie, une puissance nucléaire, ce qui présente bien sûr des risques.
Qu’est-ce qui provoque ce genre de délire… pourquoi, en regardant les portes de l’enfer, ne peut-on pas s’empêcher d’y entrer ?
Cela commence par une forme de stupidité. On ignore l’Histoire. On dresse une liste des avantages à faire telle ou telle chose… et on les étudie attentivement. On dresse aussi une liste des inconvénients – et on les ignore. Et surtout, on éradique toute interrogation qui commencerait par un « si », « mais »… ou « peut-être ».
Les médias occidentaux et les géants américains de l’armement – avec l’aide précieuse du New York Times – réduisent le conflit en Ukraine, par exemple, à un meme simplifié pour le grand public : « Poutine est le mal… et nous n’avons pas le choix que de nous en débarrasser. Poutine est le mal… et si on ne l’arrête pas en Ukraine, les chars russes déferleront bientôt sur les Champs-Élysées. »
Il s’agit bien sûr d’un non-sens. Comme l’ont montré les événements ultérieurs, Poutine ne représentait en aucun cas un risque pour l’Europe ; il n’est même pas parvenu à conquérir un pays voisin, où presque un tiers de la population lui était favorable. L’Europe a une économie sept fois plus importante que celle de la Russie… et beaucoup plus sophistiquée ; il n’y a jamais eu de danger de conquête russe.
Pas de terrain d’entente
L’éditorialiste Tom Friedman a passé trois jours en Ukraine. Il en a rendu compte aux lecteurs du New York Times : « Il suffit de regarder dans les yeux des soldats ukrainiens de retour du front, ou de parler à des parents dans les rues de Kiev, pour ne plus se faire d’illusions sur l’équilibre moral de cette guerre. Je ne suis resté que trois jours dans le pays… »
C’est un cas évident de cette idée de bien contre mal, que l’on peut identifier dans les relations internationales depuis la seconde guerre mondiale.
Comment le journaliste peut-il avoir une telle opinion sur « l’équilibre moral » de la guerre, sans jeter un coup d’oeil de l’autre côté de la balance ? A-t-il assisté à une conférence à Moscou ? A-t-il parlé à des vétérans russes ? À l’une des victimes de l’Ukraine… ou à l’un des deux millions de réfugiés qui ont fui vers la Russie ? Non ? Probablement pas.
Remercions Tom Friedman d’avoir supprimé toutes les hésitations et les remises en question qui auraient pu sauver une personne sensée. Friedman a simplement précisé que Poutine était diabolique. Il n’y avait vraiment aucune raison d’en dire plus. On ne peut pas faire de compromis avec l’archidémon de l’enfer. Vous ne pouvez pas essayer de « voir les choses de son point de vue ». Il n’y a pas de juste milieu.
Friedman, cependant, avait une autre page entière de journal à remplir. Il s’est donc lancé dans une analyse du conflit, avec l’une des justifications géostratégiques de la guerre les plus pathétiques, depuis que la Wehrmacht a envahi la Pologne.
« Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire… »
Nous sommes restés bouche bée. Où étaient les points d’interrogation ? Vraiment ? Pourquoi ? Il y a beaucoup d’autres pays abandonnés que la Russie pourrait accueillir. Et pourquoi nous soucierions-nous de savoir si la Russie est un empire ou non ?
La Russie n’a pas revendiqué l’Ukraine. Elle n’a repris possession que des provinces orientales. Elle dit l’avoir fait en partie parce que c’est là que vivent les gens qu’elle veut protéger. Le gouvernement de Kiev a interdit la langue russe ; les russophones doivent payer une amende s’ils utilisent leur langue en public. Naturellement, ils ont accueilli favorablement un « changement de régime » dirigé par Vladimir Poutine.
L’autre raison invoquée par la Russie pour justifier son invasion est qu’elle craint que l’OTAN ne constitue une menace pour le pays. Mais attaquer « l’Occident » ? Cela nous semble peu probable.
La Russie est déjà passée par là. La dernière fois, en 1941-1945, l’Union soviétique a dû subir 26 millions de morts ; elle ne veut pas que cela recommence.
Casus Belli
Qu’elles soient justifiées ou non, ces questions semblent préoccuper Poutine. Mais les grands médias n’en parlent guère. Ils décrivent la guerre en des termes qui ne laissent aucune place à l’exploration de l’autre côté du front.
La guerre a commencé en février 2022. En septembre 2023, soit 18 mois plus tard, le New York Times indiquait qu’environ 500 000 personnes étaient mortes. La dernière fois que Kiev a été le terrain d’un champ de bataille, en 1941, les forces allemandes et soviétiques ont perdu autant d’hommes en seulement 10 jours de combat.
Et l’attaque n’a pas été provoquée. Au contraire, elle semble correspondre exactement à ce que voulaient les architectes de l’empire américain. L’accord conclu au début des années 90 entre la Russie et les dirigeants des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne prévoyait que la Russie autoriserait la réunification de l’Allemagne et qu’en échange, « l’Ouest » ne permettrait pas à l’OTAN de s’étendre à l’Est.
L’ambassadeur américain à Moscou, William Burns, qui est ensuite devenu directeur de la CIA, a rappelé cette promesse à l’administration Bush en 2008. Son mémo – « Nyet Means Nyet » – rappelle que l’extension de l’OTAN jusqu’à la frontière russe était une « ligne rouge » à ne pas franchir.
À moins, bien sûr, de vouloir provoquer une guerre.
Même l’équipe de Zelensky a admis que la véritable cause de la guerre n’était pas le désir de conquête de Poutine, mais l’élargissement de l’OTAN. Oleksiy Arestovych, ancien conseiller au cabinet du président ukrainien sous Zelensky, a déclaré que « avec une probabilité de 99,9%, le prix à payer pour rejoindre l’OTAN est une grande guerre avec la Russie ».
La Russie a essayé d’éviter la guerre ; ce sont les Etats-Unis qui l’ont voulue.