La Chronique Agora

Naissance d’un nouveau (dés)ordre mondial

Le déclin des Etats-Unis – et l’ascension de la Chine – signalent un changement beaucoup plus profond, et à l’échelle mondiale.

Comme nous l’avons vu hier, l’endettement américain est à la fois un symptôme et une cause de leur déclin. L’accumulation des dettes américaines a produit la croissance du capital mondial en quête d’emploi rentable ; elle a produit le recyclage à grande échelle, et elle a produit la financiarisation.

En passant, elle a aussi produit les méga-banques comme la Deutsche Bank — laquelle est en train de crever, ce qui est un signe de la justesse de ce que j’avance.

Le mot est lancé : la financiarisation.

Elle est le produit de la crise du capitalisme ; produit de la tendance à la baisse du taux de profit, produit de la tendance à la suraccumulation du capital, avatar de sa prolifération en tant que capital fictif, produit de la surconsommation des uns et du goût pour l’épargne des autres, produit de l’ingénierie financière et de la multiplication/complexification de l’intermédiation etc., etc., etc.

Produit aussi de la loterie boursière géante qui a été greffée sur le système pour stimuler l’esprit de jeu. On sait depuis Adam Smith que tout joueur a tendance à exagérer ses chances de gains, ce qui veut dire que l’esprit de jeu a pour fonction de gonfler la valeur des billets de loterie, d’entretenir l’espoir et de forcer les joueurs à se contenter de gains modestes… ou même de risquer la ruine.

Un mouvement durable de l’Histoire

Vous voyez où je veux en venir : je veux faire comprendre que ce qui se passe n’est pas un élément isolé, un fait, un accroc, un accident de parcours. Non, c’est un mouvement de l’Histoire.

C’est une étape déterminante dans le délitement du système bidon, artificiel, menteur, trompeur, qui a permis au capital de survivre depuis le début des années 80 malgré l’exacerbation de ses contradictions internes – malgré, en clair, l’insuffisance du profit pour le mettre en valeur et le maintenir en vie.

Le capital s’est délocalisé. Il a mis au travail d’autres populations, il a haussé le taux d’exploitation domestique et mondial, il s’est exonéré d’impôts, défiscalisé, il s’est financiarisé – tout cela pour se mettre en valeur, pour continuer de s’accumuler, bref, pour que l’ordre social ne soit pas remis en cause.

Les simulations économiques que l’on voit passer sont toutes plus stupides les unes que les autres avec leurs dixièmes de points en moins sur les taux de croissance.

Toutes ces stupidités sont fondées sur des modèles, lesquels reposent sur des élasticités, c’est-à-dire sur des comportements simplistes constatés dans le passé. Les modèles parient sur ce que j’appelle les invariants. Or dans certaines périodes historiques comme celle que nous traversons, ce sont les invariants qui varient – et c’est d’ailleurs pour cela que l’on appelle ces périodes des crises.

Indigence et âneries

L’indigence de la pensée ou l’absence de pensée qui préside à ces travaux explique l’absence de correction sensible sur les marchés boursiers : les modèles minimisent les impacts et surtout, ils sont incapables d’introduire une vision systémique avec circularité, réflexivité, rupture.

Or le monde est un système et quand vous touchez un élément, eh bien, il y en a une multitude d’autres qui bougent soit en surface soit en profondeur. La non-linéarité s’installe.

Le système est d’une complexité extrême et l’indigence de la pensée académique et politique fait que cette complexité leur est étrangère.

Je ne vois personne se montrer capable d’intégrer par exemple la finance et l’économique dans une seule et même prospective. C’est la division imbécile du travail.

Quand on voit des choses qui écornent le sujet, ce sont des âneries du style : « Et si les Chinois vendaient leurs obligations du Trésor US ? » On en conclut que cela ne changerait presque rien, c’est-à-dire à peine trois dixièmes de points de base au niveau des rendements.

J’affirme qu’au terme de la guerre commerciale – guerre que j’ai prédite dès 2009, tout comme j’ai prédit la guerre militaire future d’ailleurs – j’affirme que le système international dit « Bretton Woods II » est fini, archi-fini et qu’un nouveau système va s’élaborer.

Ce ne sera pas la volonté consciente des hommes qui va le définir, cependant ; ce sera la pratique. La fonction va créer l’organe, les théories et les institutions correspondantes.

Le saut vers l’inconnu

Le monde est trop disloqué pour pouvoir se mettre d’accord sur un nouveau système. Et puis un système, c’est un rapport de forces plus ou moins cristallisé, enraciné dans un mode de fonctionnement, or celui-ci est instable.

Nous sommes en mutation, en transition vers quelque chose d’inconnu – et donc radicalement non-prévisible.

Dès 2012, le système s’est fissuré : la concertation internationale, l’intégration, l’ouverture, la fluidité, ont reçu un coup d’arrêt. La coopération a laissé la place à la compétition stratégique, avec reconstitution des clivages de l’ancienne guerre froide.

La lutte pour les ressources et l’emploi, rares, a guidé l’évolution du système avec manipulations monétaires, pillage de la demande des voisins, tricheries, embargos et finalement quasi-rupture.

La confiance globale dans le système ancien a disparu et c’est le plus important.

Les Etats-Unis, fort logiquement, ont pris conscience du fait que la globalisation dans sa version financiarisée, multilatérale et coopérative ne leur était pas favorable ; Trump n’a été que le pantin, la marionnette qui est venue le proclamer. C’est la situation du système qui a produit le Trump, tout comme elle produit maintenant la folie de Washington et la panique du Deep State.

Trump n’est pas un génie, c’est un guignol ; il est traversé par des idées qui le dépassent. Il a simplement été le porte-parole de quelque chose qui s’exprime à travers lui : il est porteur du refus d’une partie de l’Amérique de perdre son rang, ses privilèges et sa suprématie.

Trump est traversé par des idées, des thèmes auxquels il ne comprend manifestement rien comme en témoignent ses contradictions, mais ces thèmes trouvent écho et ils sont efficaces car ils sont les produits de la situation. Il y a résonnance. Ces thèmes révèlent en quelque sorte ce qui se passe en profondeur dans le système, dans son non-dit, dans son non-exprimé.

Les tweets dérisoires de Trump sont le signe des mouvements des plaques tectoniques qui glissent sous la surface.

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