La Chronique Agora

Le modèle européen prévient la « souveraineté numérique »

souveraineté numérique

Fort de sa casquette semestrielle de président du Conseil européen, Emmanuel Macron a défendu l’idée d’une souveraineté numérique. Le problème, c’est que les politiques protectionnistes de l’UE seront loin de suffire pour faire de l’Europe un leader dans le numérique.

Emmanuel Macron nous parle de la souveraineté numérique dans le cadre de la présidence française du Conseil européen. Il a ainsi déclaré qu’« il est temps d’affirmer que, sur les grands défis de notre époque (sécurité, migrations, commerce, numérique), la vraie souveraineté passe par une action européenne, dans un cadre démocratique renouvelé ».

Une taxe pour les GAFAM ?

Le président est contrarié : les grands géants américains de la technologie écrasent les marchés européens sous la supériorité dérisoire de leurs produits. En dehors de Spotify, aucune entreprise européenne n’est pertinente sur les marchés technologiques mondiaux, même si certaines sont innovantes. Les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) sont depuis un moment dans le collimateur du ministre des Finances Bruno Le Maire, qui milite pour l’instauration d’une taxe numérique au niveau de l’UE.

Je n’ai pas besoin de me répéter, je l’ai fait à plusieurs reprises sur La Chronique Agora. Mais pour être complet, laissez-moi vous dire que c’est vous, le consommateur, qui finirez par payer la taxe. Elle sera juste ajoutée à vos coûts de logiciels, ou à vos coûts de produits, car la publicité technologique devient plus chère pour les entreprises européennes.

En taxant la valeur là où elle est consommée, et non là où l’entreprise est basée, la France compte également assécher les « paradis fiscaux » tels que le Luxembourg ou l’Irlande, où se trouvent les sièges européens d’Apple, Microsoft et Amazon.

La France se révèle être le pays qui tente d’apporter de l’optimisme et des solutions d’avenir en nous disant ce qu’il ne veut pas.

Elle ne veut pas que les multinationales américaines fassent des profits en Europe. Elle ne veut pas que les petits États membres de l’Union européenne bénéficient de leurs règles de planification fiscale plus intelligentes. Elle ne veut pas que les entrepreneurs bénéficient de règles réglementaires laxistes. Elle ne veut pas donner l’impression qu’il est possible de créer une entreprise prospère sans l’aide approfondie de l’État.

Le numérique du terroir

La France détourne l’attention de l’Europe des véritables défis en faisant de cette affaire une étrange notion de souveraineté.

Est-ce important pour vous, le consommateur, que votre musique soit fournie par un fournisseur de streaming américain ou européen ? Très probablement pas. Vous recherchez le meilleur prix, les meilleurs algorithmes, la meilleure qualité musicale, la meilleure vitesse de téléchargement et la meilleure expérience utilisateur, quel que soit le fournisseur qui est prêt à vous les offrir.

Il existe peut-être un principe consistant à essayer d’« acheter local » pour les fruits et légumes de la ferme du coin, mais les consommateurs ne l’appliquent pas aux services numériques.

La France est-elle « souveraine » sur le plan numérique ? Je ne m’en soucie pas particulièrement, ce qui m’intéresse, ce sont les bons services !

Il est toutefois évident que les entrepreneurs doivent avoir la vie plus facile pour réussir dans la grande course à la domination technologique. L’Europe dispose des infrastructures, du savoir-faire et de la créativité nécessaires pour faire exactement ce que la Silicon Valley parvient à faire. Alors pourquoi ne le fait-elle pas ?

Un choix à faire

Pour une fois, nous manquons de capitaux. En effet, les marchés des capitaux en Europe sont divisés et ne se regroupent pas de la même manière que le Nasdaq pour les grandes multinationales originaires des Etats-Unis. En outre, la rigueur réglementaire appliquée à tous les aspects, depuis les autorisations de création d’entreprise jusqu’à la manière dont les syndicats sont impliqués dans les décisions commerciales, influence la manière dont une entreprise européenne peut se développer.

Il n’est pas étonnant que beaucoup d’entreprises technologiques ne fleurissent pas en France, mais à Chypre, Malte ou en Estonie. La France est très attachée à son modèle social (si l’on veut utiliser l’expression « modèle »), mais elle doit choisir si elle veut le conserver ou être à la pointe de l’innovation technologique. Au train où vont les choses aujourd’hui, elle ne peut pas avoir les deux.

Maintenant que la France a compris que son modèle économique ne fonctionne pas, elle tente d’utiliser le protectionnisme en imposant des taxes punitives et des droits de douane aux entreprises technologiques américaines – ce qui aura une incidence sur les prix à la consommation – et d’élargir simultanément le spectre des mesures sociales françaises par le biais de directives de l’Union européenne. On pense notamment à la mise en place d’un salaire minimum européen, que les législateurs voudraient le plus élevé possible, même si cela diminue la compétitivité des États membres les plus pauvres.

L’Europe va-t-elle donc développer un Amazon letton, un Google italien, un Facebook slovaque, un Apple espagnol et un Microsoft français ? Permettez-moi d’être prudemment optimiste : ce ne sera pas le cas.

L’Europe – et elle est renforcée dans cette conviction par le lobbying français – est attachée à l’idée que si seulement nous protégeons suffisamment nos marchés, nos propres entreprises se développeront. Cela n’a jamais été et ne sera jamais un mode de réussite. Aucune entreprise ne se développera jamais en annulant simplement la concurrence.

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