La Chronique Agora

Mercosur : le temps des plates excuses

L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur est remis en question – sous de faux prétextes. Il est temps de réaliser les vrais enjeux qu’il recouvre.

L’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (une communauté économique regroupant plusieurs pays d’Amérique du Sud) est critiqué – voire pratiquement mort selon plusieurs déclarations politiques. C’était l’intention de la France dès le début : plus de protectionnisme, moins de libre-échange.

Tout a commencé avec les feux dans l’Amazonie, au Brésil. D’après l’expert forestier et spécialiste environnemental Emmanuel Macron :

« Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète qui produit 20% de notre oxygène, est en feu. C’est une crise internationale. Membres du G7, rendez-vous dans deux jours pour parler de cette urgence. #ActForTheAmazon »

Avec de tels appels, la chose pertinente à faire est de mettre les choses en perspective. Nous savons que le nombre d’incendies au Brésil cette année est supérieur à celui de l’an dernier, mais il est aussi à peu près le même qu’en 2016 et inférieur à 2002, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2010 et 2012.

Les données de l’Institut national de recherche spatiale du Brésil, qui collabore avec la NASA, montrent que 2019 n’est pas en décalage. Ces données sont obtenues grâce à l’analyse de l’imagerie satellitaire.

Bien que le nombre d’incendies en 2019 soit en effet 80% plus élevé qu’en 2018 – un chiffre largement rapporté ces derniers temps – il n’est supérieur que de 7% à la moyenne des dix dernières années. De plus, la plupart des incendies se produisent actuellement sur des terres déjà déboisées en Amazonie.

Un mythe populaire

Le mythe populaire veut que l’Amazonie soit « le poumon de la Terre », produisant « 20% de l’oxygène du monde ». C’est en tout cas ce que dit le tweet d’Emmanuel Macron. En réalité, ces deux éléments sont inexacts… et pas seulement parce que vos poumons ne produisent pas d’oxygène.

 

Pourtant, ce chiffre continuera de circuler tant qu’il y aura des reportages à produire ; l’agence Associated Press elle-même l’a propagé – elle a dû le retirer ensuite.

 

Selon le site de fact-checking Snopes :

 

« En fait, presque tout l’oxygène respirable de la Terre provient des océans, et il y en a assez pour durer des millions d’années. Il y a de nombreuses raisons d’être consterné par les incendies d’Amazonie de cette année, mais l’épuisement de l’approvisionnement en oxygène de la Terre n’en fait pas partie. »

 

Donc non, vous n’étoufferez pas à cause des incendies de l’Amazonie.

 

Les vraies raisons…

L’Irlande et la France proposent malgré tout de mettre fin à l’accord avec le Mercosur, pour des raisons environnementales.

 

Malheureusement pour elles, aucun prétexte écologiste ne pourra cacher leurs vraies motivations : défendre les intérêts protectionnistes des agriculteurs irlandais et français, qui se sont plaint d’une concurrence accrue de la part de pays comme l’Argentine.

 

Il faut savoir que cet accord a une grande importance géopolitique ; il constitue un signe fort contre le protectionnisme. S’il est ratifié, cet accord avec le Mercosur établirait la plus grande zone de libre-échange que l’UE ait jamais créée, couvrant une population de plus de 780 millions d’habitants, et consoliderait les liens politiques, économiques et culturels étroits entre ces deux zones.

L’accord élimine les droits de douane sur 93% des exportations vers l’UE et accorde un « traitement préférentiel » aux 7% restants. De plus, il supprimera à terme les droits de douane sur 91% des marchandises que les entreprises de l’UE exportent vers le Mercosur.

Le nombre de plaintes officielles présentées à l’OMC en 2018 était de 122% supérieur à celui de 2009. En 2018, l’UE était le deuxième plus gros défenseur des plaintes à l’OMC, soit près de deux fois plus que la Chine.

L’importance de la Chine

Ce pays n’est pas cité au hasard. Il est crucial de comprendre l’influence chinoise sur le terrain sud-américain.

Depuis 2005, la China Development Bank et la China Export-Import Bank ont consenti plus de 141 Mds$ en prêts à des pays et à des entreprises appartenant aux Etats d’Amérique latine et des Caraïbes.

En Amérique latine et ailleurs dans le monde, les prêts chinois sont considérés à la fois comme une recherche de profit et comme une forme de diplomatie.

La Banque de développement se concentre sur huit domaines : électricité, construction de routes, chemins de fer, pétrole, charbon, télécommunications, agriculture et services publics.

Avec cet accord, il devient possible de contrer l’influence chinoise. La France et l’Irlande doivent cesser de s’y opposer et travailler sur un accord commun en Europe.

Donner plus de choix aux consommateurs, garantir plus de libre-échange pour les producteurs des deux côtés et défendre les intérêts géopolitiques par le biais de la politique commerciale : tout cela devrait être évident. Il semble malheureusement que ne plus rien n’est évident, pour la classe politique actuelle…

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