La Chronique Agora

Pourquoi Mélenchon prend-il les problèmes à rebrousse-poil ?

Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon a du succès car il énonce des idées fortes très simples sur le registre du tribun qu’il maitrise à merveille. En ce qui me concerne, j’ai la faiblesse de penser que le simplisme est l’ennemi de la vérité et que les personnes qui s’expriment, s’esclaffent de rire ou tapent du poing sur la table le plus fort sont souvent celles qui ont les arguments les plus faibles (toute ressemblance avec un débat de second tour à une élection présidentielle récente serait purement fortuite).

Jean-Luc Mélenchon, la misère et la prospérité

Il arrive ainsi que notre spécialiste ès questions simples interroge son public Twitter avec des questions de ce genre :

Car oui, si vous avez raté les épisodes précédents, Jean-Luc Mélenchon, c’est cet homme politique qui proclame faire partie des « gentils », « des humanistes » – bref, le camp du Bien, c’est lui – dans un style très XIXème qui sent bon la nostalgie d’une époque où pas mal de nos concitoyens trimaient dans des endroits où il faisait plutôt très chaud :

Pourtant, dans le souvenir que je conserve de lui, mon grand-père paternel n’était pas particulièrement nostalgique de cette époque où ses journées de travail en fonderie lui permettaient de ne pas avoir à se soucier des kilos en trop qu’il n’avait pas. Il avait d’ailleurs dû y entrer à peu près au moment où Jean-Luc Mélenchon débutait au Conseil général de l’Essonne son épuisant rallye politique de 58 ans de mandats électifs cumulés, mais je m’égare…

L’un des problèmes de Jean-Luc Mélenchon, c’est qu’il prend souvent les problèmes à l’envers. En effet, en l’occurrence, la bonne question n’est pas « d’où vient la pauvreté ? », mais « d’où vient la prospérité ? »

Or poser les bonnes questions, c’est se permettre d’aller à la racine des problèmes et d’en comprendre les causes. Poser le problème dans le mauvais sens, c’est se condamner à rester le nez dans le guidon de ses idées reçues.

Pléthore d’auteurs ont essayé de répondre à cette question. Prenons par exemple l’économiste péruvien Hernando de Soto. Dans son ouvrage Le Mystère du capital. Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs, il s’est attaché à mettre l’accent sur les causes juridiques de l’exclusion économique. Son analyse des pays latino-américains constitue une excellente dénonciation du capitalisme de copinage. De Soto montre comment les agents économiques y sont réduits à solliciter les faveurs du pouvoir politique afin de faire prospérer leur activité. Il explique que le capitalisme a été plus profitable à l’Occident qu’à l’Amérique du Sud du fait qu’il s’y est développé dans le cadre d’institutions et de principes juridiques plus favorables, comme le respect de la propriété privée, et les droits élémentaires de travailler, acheter et vendre.

Du fait de la sur-réglementation de l’économie, les pauvres se trouvent dans l’impossibilité de se procurer des titres juridiques leur garantissant leur propriété ou le droit de travailler. Par exemple, faute de pouvoir produire les dizaines de documents administratifs requis pour l’acquisition d’une licence légale, ils sont condamnés à regarder passer les opportunités de quitter le secteur informel de l’économie pour rejoindre le marché formel.

La pauvreté peut donc être vue comme une conséquence directe pour une partie de la population de l’impossibilité de respecter la loi. De Soto parle de « capital mort ». Il souligne que le capitalisme pour tous implique des règles du jeu simples, donc faciles à respecter par tous, ainsi que des coûts d’entrée administratifs faibles. Sans ces conditions, l’activité économique est réservée à une élite oligarchique. Il est d’ailleurs bien triste de remarquer que de ce point de vue-là, la France prend de plus en plus le chemin de l’Amérique latine de De Soto.

Il n’est d’ailleurs pas besoin de changer de continent ni de remonter si loin dans le temps pour connaître les recettes du succès économique. Simone Wapler rappelait dans l’un de ses articles l’une des racines du gouffre qui sépare la France de l’Allemagne sur le plan économique :

« Les socialistes allemands sont sortis de leur congrès de Bad Godesberg en 1959 avec la ligne directrice suivante : ‘Le marché autant que possible, l’Etat autant que nécessaire.’ Il s’est ensuite produit une chose très bizarre : la Parasitocratie a beaucoup moins proliféré en Allemagne qu’en France. »

Mais prenons un peu de recul avec ce graphique qui montre que les deux derniers siècles, qui ont vu l’émergence et la diffusion progressive du capitalisme (malheureusement pas toujours libéral) de par le monde, ont permis à l’humanité de quasiment éradiquer la très grande pauvreté :

Cliquez sur le graphique pour l’agrandir

Concluons avec une suggestion de Frédéric Bastiat, dont je recommande vivement la lecture à monsieur Mélenchon :

Jean-Luc Mélenchon, la servitude et la liberté

Le même problème de raisonnement se pose lorsque Jean-Luc Mélenchon discourait au mois de février sur les victimes de l’esclavage. Plutôt que de s’étendre sur les prétendues causes de ce phénomène pour en appeler à un « devoir d’insoumission » contre la « servitude », peut-être aurait-il mieux fait de s’interroger sur les fondements de la liberté :

Si notre licencié de philosophie avait eu la chance d’assister aux cours de Philosophie politique d’un Thomas Sowell, peut-être aurait-il découvert que le maintien d’une partie de la population sous le sein de l’Etat-providence ne constitue pas la solution la plus efficace pour son émancipation économique.

Le professeur de philosophie Damien Theillier résume le propos de Sowell dans les termes suivants : « après avoir souffert de l’esclavage, les Noirs ont été les cobayes des expérimentations sociologiques du XXème siècle : emplois assurés, santé surveillée, hébergement bon marché, intelligences prises en charge par l’école publique et les programmes sociaux pour jeunesse à risque. Le problème, c’est que tous ces programmes d’assistance sociale se sont soldés par un échec retentissant ».

Jean-Luc Mélenchon et la « fabrication des riches »

Dernier exemple en date, qui a déclenché un éclat de rire général de certains esprits critiques :

« En Suisse ils sont dans le pétrin. Ils n’ont plus assez de pauvres pour fabriquer de nouveaux riches. Ils pensent à en importer », ironise un twittos.

Quand je lis Jean-Luc Mélenchon, je me demande parfois si lui et moi nous vivons bien dans la même dimension. Notez que certains de ses slogans me parlent :

En revanche, ses analyses me laissent pantois. Dans ma réalité, le système qui transforme tout le monde en pauvre et les seuls politiciens indéboulonnables en riches oligarques, c’est le socialisme. A la mi-mai, on comptait 40 morts dans les rangs des manifestants vénézuéliens. Aux dernières nouvelles, certains membres du clan Chavez figurent parmi les personnes les plus riches du pays. Jean-Luc Mélenchon est-il au courant ? Quelqu’un pourrait-il le lui rappeler ?

Quoi que… cela est sans doute vain. Raymond Aron écrivait : « ils ne veulent ni penser le monde, ni le changer, ils veulent le dénoncer. » Outre le fait qu’ils privilégient la forme du discours plutôt que le fond, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont confirmé dans leurs derniers jours de campagne présidentielle respectifs qu’ils ont également en commun de ne pas être là pour prendre le pouvoir. Et c’est très bien comme ça.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile