La Chronique Agora

Lettre à M. Kennedy

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L’un des candidats à la prochaine élection présidentielle américaine nous a contacté… voici notre réponse.

Il y a quelques jours, nous avons reçu un appel de Robert F. Kennedy Jr., qui se présente aux prochaines élections présidentielles américaines.

Il est curieux, ce qui est une qualité rare pour un homme politique. Il voulait avoir des réponses à ses questions – que pensons-nous ? Pourquoi pensons-nous ainsi ? Le problème, c’est le temps. M. Kennedy doit avoir peu de temps « libre ». Après tout, être candidat à la présidence n’est pas un travail à temps partiel. Et il nous a fallu près de 25 ans pour comprendre ce qui se passe. (Et il nous reste beaucoup de questions sans réponse.)

Nous avons donc essayé donc de condenser ces 25 années d’observations et de recherches afin qu’elles puissent rentrer dans un bagage à main.

Voici la réponse (légèrement éditée) que nous lui avons adressée :

Cher Robert,

Trois petits graphiques suffisent pour comprendre la situation économique des Etats-Unis.

Il nous a fallu 25 ans pour nous débarrasser des absurdités et des illusions de la macroéconomie contemporaine. Voici, en moins de 1 000 mots, le résumé de nos recherches.

Vous vous lamentez, comme nous, sur le déclin de la république américaine et des classes moyennes. En fait, nous avons pour référence de comparaison les années 1950 et le début des années 1960. Le pays n’était pas parfait, loin s’en faut, mais, à presque tous les égards, les Etats-Unis étaient au sommet du monde… et continuaient à progresser.

Les salaires réels augmentaient, l’inflation était faible et les consommateurs achetaient des produits Made in America, non pas parce qu’il s’agissait d’un slogan politique, mais parce que les produits fabriqués aux Etats-Unis étaient les moins chers et les meilleurs du marché.

Mauvais tournant

A l’époque, il semblait inévitable que nous soyons tous riches, heureux, libres et en bonne santé.

Mais quelque chose a mal tourné. Les taux de croissance du XXIe siècle sont inférieurs de moitié à ceux des années 1950, 1960 et 1970. Les salaires réels ont baissé au cours des deux dernières années et, si l’on mesure bien la situation, le travailleur lambda est moins bien loti aujourd’hui qu’il ne l’était il y a 50 ans.

Aujourd’hui, il lui faut deux fois plus de temps pour acheter une voiture ou une maison moyenne.

Il serait imprudent d’essayer de faire porter le chapeau à une seule personne ou à une seule chose. Et beaucoup de choses échappent à notre contrôle humain. Mais un changement de politique majeur a enclenché le déclin de l’économie américaine.

Tout d’abord, entre 1968 et 1971, l’or a été retiré de la monnaie américaine. Pour la première fois, les dollars pouvaient être multipliés beaucoup plus rapidement que les biens qu’ils permettaient d’acheter.

Ensuite, dans les années 1990, la Fed a commencé à manipuler les taux d’intérêt pour stimuler le prix des actifs. Ces deux mesures ont détruit la prospérité de l’Amérique.

L’or – ou autre chose s’y rapprochant – est essentiel au fonctionnement d’une économie capitaliste. Il relie notre « argent » au monde réel, au temps, au travail et aux ressources.

Avant 1971, si vous vouliez avoir plus d’argent, vous deviez le gagner en produisant plus de biens ou de services (PIB). Vous disposiez alors d’un « capital » que vous pouviez investir dans la construction de nouveaux magasins et de nouvelles usines pour produire encore plus de biens et de services. C’est ainsi que les Etats-Unis sont devenus la nation la plus riche du monde.

Mais le dollar après 1971 a donné naissance à une nouvelle forme de richesse, la richesse financière. Il s’agissait d’un capitalisme sans capital réel. Au lieu de cela, il était basé sur le crédit fourni par la Fed et les banques. (NB : lorsque vous empruntez à une banque, celle-ci ne sort pas l’argent de son coffre-fort. Elle crée simplement l’argent, sous forme de crédit, de façon électronique. Plus vous empruntez, plus la dette augmente… et plus la « masse monétaire » augmente également.)

La financiarisation fatale

C’est ce qu’on a appelé la « financiarisation » de l’économie.

Les gens ont découvert qu’il était possible de gagner de l’argent sans créer de nouveaux biens et services. L’investissement, la spéculation, l’effet de levier, les fusions et acquisitions, les introductions en bourse, les rachats d’actions sont autant de moyens de s’enrichir, sans ajouter un centime à la richesse réelle du monde.

Jack Welch est emblématique de cette époque. En tant que patron historique de General Eletric, Welch a transformé l’entreprise – une vieille puissance industrielle – en un prodige de la finance. Il achetait une nouvelle société par semaine, endettant de plus en plus GE.

Welch lui-même est devenu célèbre pour sa réussite acharnée. En 2000, l’action GE dépassait les 350 $. Et en 2005, le livre de Welch, Winning, fut, bien sûr, un best-seller.

Des rachats, des rachats, des rachats… Wall Street a négocié tout cela et a gagné sa part. Mais quelle richesse réelle a été ajoutée à l’économie ? Difficile à dire. Nous voyons ici ce qu’il s’est passé. L’économie réelle a trébuché, tandis que l’« économie financière » – alimentée par des milliers de milliards de dollars que personne n’a jamais gagnés ou épargnés – a grimpé en flèche.

Nous pouvons voir le résultat dans le graphique n°1 ci-dessous : les deux économies prennent des directions différentes. En gris, la richesse nette détenue par les 1% des Américains les plus riches et, en rouge, celle détenue par les 50% des Américains les moins riches.

Penthouses et maisons de campagne

Le « patrimoine financier » est très différent du patrimoine réel. La vraie richesse doit être gagnée.

Jusqu’aux années 1980, les riches et les pauvres gagnaient de l’argent et du terrain de la même manière. Ensuite, le nouveau système financier a fait pencher la balance en faveur de l’élite. Ceux qui avaient de bonnes relations, un bon crédit, des diplômes d’écoles de commerce, des comptes de courtage et des sièges en classe affaires ont été les plus avantagés.

Les riches sont devenus beaucoup plus riches… alors que les salaires réels stagnaient. Voyez le graphique n°2. La courbe rouge y représente la variation de la valeur totale des actifs détenus par la Fed, sur la base d’un indice 100 au 1er octobre 2007. La courbe bleue est la variation du PIB américain, sur la base d’un indice 100 au quatrième trimestre 2007.

De plus en plus, on gagnait de l’argent en manipulant le crédit, et non en apprenant un métier ou en créant une entreprise. « Nous pensons, ils transpirent », était devenue notre folle devise. Les Chinois, les Coréens, les Mexicains ou les Japonais pouvaient fabriquer des produits de valeur à moindre coût et de meilleure qualité. « Laissons-les faire le dur labeur ! »

Tout ce que les Américains avaient à faire, c’était d’emprunter l’argent pour acheter leurs produits. Cela a bien fonctionné, pendant un certain temps. Les dollars étaient envoyés à l’étranger pour acheter des biens et des services réels. Puis, au lieu de revenir aux Etats-Unis, où ils auraient fait grimper les prix intérieurs, ils étaient souvent bloqués à l’étranger en tant que « réserves ».

Les mamans ambitieuses voulaient que leurs fils participent à ce mouvement ; ils devaient devenir des gestionnaires de fonds spéculatifs à Wall Street, et non des ingénieurs à Détroit. Mais si l’ingénieur automobile pouvait contribuer à produire une voiture meilleure et plus sûre, qu’a produit l’ingénierie financière ?

A suivre… avec notre troisième graphique… et plus d’informations sur les raisons pour lesquelles la dérive à la baisse ne peut pas être facilement corrigée…

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