La Chronique Agora

Les voyages forment la jeunesse

▪ "La Chine devient le plus grand marché Internet de la planète", titre Reuters. On trouve plus d’internautes en Chine que dans tout autre pays, continue l’article. Et plus de voitures vendues. Et plus de béton versé.

Voyager élargit l’esprit, dit-on. Plus important, ça vous remet à votre place. On réalise qu’il y a bien plus de gens, faisant bien plus de choses qu’on aurait pu le penser.

Partout dans le monde, les gens bossent, triment, besognent, oeuvrent et peine. Certains travaillent dur. D’autres travaillent moins dur. Certains travaillent intelligemment, d’autres pas.

Mais au cours du temps, les modes et les circonstances changent. La roue tourne. Ceux qui autrefois étaient au sommet sont désormais tombés…

Oui, cher lecteur, le monde tourne. Et en voyageant… on en voit différentes parties… avec des histoires différentes à raconter…

Nous avons appris que des émeutes ont mobilisé 60 000 personnes en Grèce la semaine dernière… elles ont brûlé des voitures allemandes et se sont généralement mal comportées.

Quel est leur problème ? Les Grecs se retrouvent à court d’argent, à court de crédit… et bientôt à court de temps. Les politiques macro-économiques modernes se sont retournées contre eux.

Ils ne sont pas les seuls. Les nouvelles d’Amérique nous apprennent que le Kansas devrait fermer la moitié de ses écoles publiques… s’il ne trouve pas un moyen de combler son déficit budgétaire.

Les nouvelles des autres pays ne sont guère différentes. De nombreux gouvernements sont dans le même pétrin. L’Irlande a déjà commencé un programme d’"austérité". L’Italie et l’Espagne ne peuvent être loin derrière.

▪ Et qu’en est-il du gouvernement fédéral américain ? Pas la moindre trace d’austérité — au contraire. Les autorités américaines ont annoncé le plus gros déficit budgétaire de leur histoire — 221 milliards de dollars pour février. En d’autres termes, par famille, le gouvernement américain a dépensé approximativement 2 000 $ de plus qu’il n’a reçus en revenus fiscaux. Hmmm… si ça continue à ce rythme, il faudra 24 000 $ supplémentaires par famille cette année. Si l’on arrondit les chiffres, on voit que la famille moyenne paiera environ 25 000 $ d’impôts… et recevra environ 50 000 $ de "services".

Quelle super affaire, non ?

C’est une absurdité… c’est ridicule… c’est bizarre et contre nature. Et ça ne peut pas durer.

C’est possible uniquement à cause des conditions étranges qui règnent dans le monde financier actuel. Les prêteurs, les investisseurs… les créditeurs chinois… donnent leurs dollars au gouvernement américain, pensant que ce sont les emprunteurs les plus solvables au monde. Mais à mesure que l’offre de dette US augmente, sa qualité décline.

Les Etats-Unis sont déjà — du point de vue des normes comptables — en faillite. Les prêteurs ne peuvent raisonnablement s’attendre à revoir leur argent. Ce qui ne semble guère les déranger. La dette américaine semble bien plus sûre que… au hasard… la dette grecque.

Mais le monde est plein de surprises. Quel choc ce sera lorsque les Etats-Unis se retrouveront à la place de la Grèce !

▪ Vendredi matin, notre chauffeur a klaxonné un petit coup, puis a mis le moteur en marche. On ne répare jamais les voitures, en Inde, sauf si le klaxon ne fonctionne pas. On peut conduire sans les freins, mais pas sans klaxon. C’est peut-être pour cette raison que 110 000 personnes meurent sur les routes et les voies ferrées indiennes chaque année.

Nous étions en route vers CNBC, pour une interview. Pour une raison mystérieuse, votre correspondant est une célébrité mineure dans le sous-continent indien. Le présentateur a annoncé au public que nous étions "un économiste occidental vénéré". D’autres journalistes ont demandé des autographes. Nombre d’entre eux ont lu notre livre. Tous veulent savoir ce que nous pensons vraiment.

C’est probablement parce que notre opinion les flatte. Contrairement aux Etats-Unis, l’Inde n’est pas à la fin de 50 ans d’expansion de crédit. Elle n’en est qu’au début. Les investisseurs pourraient s’attendre à de nombreuses années de croissance.

"En Occident, la situation est très différente", avons-nous expliqué. "Les économies occidentales — plus spécifiquement les économies anglo-saxonnes, et en particulier la Grande-Bretagne et les Etats-Unis — se livrent à une fièvre acheteuse depuis de nombreuses années. Elle a atteint son apogée en 2005-2006 ; à présent, ces économies auront beaucoup de mal à se développer. Elles ne peuvent le faire en augmentant les dépenses et le crédit à la consommation. Pour commencer, les consommateurs ont déjà trop de choses. Ensuite, les consommateurs n’ont ni les revenus ni le nantissement pour justifier plus de dette. L’économie doit donc trouver un nouveau modèle pour avancer.

"En Inde, en revanche, les gens n’ont pas autant de choses. Des gens dorment sur le trottoir sous les fenêtres de ma chambre d’hôtel. Ils n’ont rien, à part les vêtements qu’ils portent. Et ils n’ont certainement pas de cartes de crédit ou de maisons hypothéquées. L’Inde peut donc se développer pendant de nombreuses années simplement en fournissant des biens et services de base à ses propres citoyens. Le bon côté de choses, c’est que l’Inde ne semble pas capable de planification centrale… voire d’aucune sorte de planification. Le pays peut s’attendre à une longue période de prospérité, jusqu’à ce que les planificateurs centraux se trouvent en position de prendre les commandes. Ensuite, c’est le début des ennuis".

CNBC n’a pas aimé ce que nous avions à dire. Même si nous étions généralement optimiste sur l’Inde, nous n’étions pas franchement joyeux quant à la croissance économique mondiale. Et CNBC… tout comme la majeure partie des médias grand public… aime que ses téléspectateurs gardent le sourire.

"Désolé que vous soyez si morose", a déclaré le journaliste, ajoutant à l’attention du public : "c’est juste son point de vue".

Bien entendu, cher lecteur, vous savez que nous sommes loin d’être morose. Dans les bureaux, on nous appelle "M. Rayon de Soleil". Pourquoi ? Parce que nous accueillons une dépression économique comme on accueille une vague de gel en hiver : ça tue les parasites.

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