Les banques centrales se sont de plus en plus éloignées de leur rôle traditionnel – à tel point qu’on en oublie ce qu’il est… et les dangers qu’il y a lorsqu’il n’est pas rempli.
Une banque centrale responsable ne devrait pas être là pour faire plaisir à qui que ce soit. Elle doit avant tout, faire preuve d’efficacité. Efficacité pour le vrai financement de l’économie, pour la protection de l’épargne, du pouvoir d’achat des particuliers et pour la couverture des risques des agents économiques dans les meilleures conditions de prix et de liquidité.
Mais voilà : depuis maintenant plus de 12 ans, la plupart des responsables politiques – de quelque parti que ce soit –, investisseurs, économistes et médias plus ou moins spécialisés considèrent une banque centrale comme un deus ex machina devant servir des intérêts partisans et catégoriels ; une institution politique en quelque sorte.
On a donc vu les banques centrales servir les intérêts des carry traders. Ceux-ci ont donc pu faire sans risques (en tout cas pendant un temps souvent considérable et bénéficiant du put des banquiers centraux) du carry trade très rentable : ils empruntent à des taux quasi-nuls fixés par une banque centrale d’un pays A pour vendre la devise de ce pays A contre la devise d’un pays B, et replacer ainsi les liquidités obtenues sur des actifs financiers à « haut » rendement de ce pays B.
Pourquoi pas… si in fine les profits générés par ces activités de trading améliorent la rentabilité des banques et permettent de baisser le coût de la tarification des services bancaires. Il est cependant permis d’en douter compte tenu de la volatilité et de l’instabilité des résultats issus du carry trade…
Piège sans issue
On a vu et l’on voit toujours des banques centrales obsédées par le fait de maintenir au niveau le plus élevé les indices boursiers. Elles sont aujourd’hui dans un piège d’irréversibilité des politiques monétaires, contraintes de conserver les taux longs au niveau le plus bas possible.
Ceci a pour effet de maintenir le stock de plus-values latentes des portefeuilles financiers à des niveaux élevés.
Là encore, pourquoi pas… si, in fine, cela crée des effets de richesse psychologiques permettant d’instaurer un réel climat de confiance généralisée dans l’économie.
Mais chacun sait que les effets de richesse liés à la hausse des actifs financiers ont des conséquences plutôt neutres sur l’économie (notamment en Europe continentale), compte tenu de la plus forte propension à épargner qu’à consommer et à investir des détenteurs d’actions et d’obligations.
On a vu encore les banques centrales allouer des liquidités abondantes aux banques via les opérations de refinancement de plus en plus exceptionnelles, ou aux marchés financiers (investisseurs de toutes sortes) via les programmes de rachat d’actifs.
S’agissant de la liquidité reçue par les acteurs des marchés financiers qui vendent des obligations à la banque centrale, force est de constater que celle-ci est principalement réemployée sur les marchés financiers. Cela conduit souvent à accélérer la déconnexion entre le prix de certains actifs financiers et les fondamentaux de ces actifs.
Enfin les programmes de rachat d’actifs publics des banques centrales ont solvabilisé nombre d’États qui, de fait, ne sont pas encouragés à faire preuve d’une vraie discipline budgétaire et fiscale.
Quel est le vrai rôle d’une banque centrale ?
Mais voilà, crise systémique ou pas, marasme économique ou pas, une banque centrale responsable ne doit pas avoir comme mission exclusive les intérêts des marchés financiers. Ainsi, par exemple, malgré des statuts officiels d’indépendance, la BCE a aujourd’hui un comportement extrêmement dépendant de la pression des politiques et des marchés.
Une banque centrale doit, avant tout, faire preuve d’efficacité.
Efficacité pour le vrai financement de l’économie (en faisant en sorte que les canaux de transmission du crédit à l’économie fonctionnent et ceux-ci fonctionnent mal)… efficacité pour la protection de l’épargne et du pouvoir d’achat de particuliers (le passage en territoire négatif des taux monétaires devient dès lors un problème)… et efficacité pour la couverture des risques des agents économiques et des investisseurs dans les meilleures conditions de prix et de liquidité.
Quand arrêtera-t-on de croire que l’on peut résoudre des problèmes structurels de l’économie (compétitivité, innovation…) avec des taux toujours plus bas et toujours plus de liquidité ?
La crise du COVID-19 n’a fait qu’accélérer des évolutions déjà bien ancrées dans le monde économique :
– bulles d’actifs financiers de plus en plus délirantes qui repoussent dans le futur des crises financières encore plus violentes, complexes et incontrôlables ;
– distorsions crées par des niveaux de taux anti-économiques (compte tenu d’un environnement absurde et dangereux de taux courts durablement négatifs en Zone euro), avec une allocation de liquidité absolument non optimale, un développement de l’économie de la rente et non de l’économie du capital qui produit des richesses ;
– absence d’incitation au niveau de certains gouvernements à réformer et réduire les gaspillages publics et donc l’insoutenable surendettement public.
Et le long terme ?
Finalement, les banques centrales et l’ensemble de la communauté financière ont favorisé outrancièrement la préférence pour le présent. Plus que jamais, elles sont les adeptes du fameux adage de Keynes selon lequel « à long terme nous serons tous morts ».
La préférence pour le présent est peut- être naturelle… mais attention à ce qu’elle ne soit pas trop excessive.
C’est « malheureusement » le mode de fonctionnement par excellence de l’économie moderne (agents économiques privés, Etat) en général et des marchés financiers en particulier.
En effet, les marchés financiers sont constitués d’investisseurs et de gérants d’actifs avec un horizon finalement court-termiste et, comme les politiques, on ne préoccupe pas trop de l’héritage que l’on va laisser à son entreprise, son institution, ses successeurs…
Cette préférence pour le présent – à nos yeux, destructrice pour la croissance économique future – est aggravée par les banques centrales.