La Chronique Agora

Le retour du risque en France 3/3

risque bancaire France

Il doit toujours exister dans un petit coin de notre tête le risque de nationalisation implicite de l’épargne privée… 

Dans notre article précédent, nous avons vu que la France était exposée à différents risques : le risque d’insolvabilité, un risque institutionnel et un risque politique.

Que va-t-il donc se passer ? Que peut-il se passer ? 

En réalité, les résultats électoraux importent peu (tout du moins pour le sujet qui nous occupe ici) et l’exercice auquel se livrent économistes et analystes de marché en tous genres, avec l’évaluation des impacts de la situation politique (coloration politique de la majorité, ampleur de cette majorité même relative, niveau d’instabilité politique) sur le niveau des actifs financiers, est presque stérile.

Nous lisons et entendons beaucoup de choses en matière de prévisions sur le niveau des taux longs sur les emprunts d’Etat français ; sur le niveau du spread de taux avec le Bund allemand ; sur le niveau des spreads de crédit sur les grands émetteurs français, banques et corporate ; sur le niveau du CAC 40 selon différentes configurations politiques. La prévision la plus importante et la plus utile n’est sans doute pas de savoir comment réagiront les taux longs à tel ou tel scénario, mais plutôt de savoir jusqu’où les taux longs français peuvent monter en cas de début de crise financière, et surtout pendant combien de temps cette prime de risque peut durer. De la réponse à cette question dépendra la stratégie d’investissement d’un épargnant dans le cadre de son PEA, PER et assurance-vie, et la stratégie de gestion de bilan d’une banque, ou d’un assureur. 

En tout cas, nous avons vu qu’une évolution de type FREXIT (sortie conjointe de l’Union européenne et de la zone euro) était peu probable pour ne pas dire improbable. Cela ne veut pas dire que le risque politique disparaît puisque la dette publique française reste fondamentalement insoutenable financièrement (cf. les contraintes de solvabilité). Dès lors, quelles évolutions envisager si le FREXIT et le défaut sur la dette publique qui l’accompagnerait sont impensables alors même que la dette publique est insoutenable ? 

Eh bien, comme toujours, on ne pourra « sortir » de cette contradiction que par des solutions artificielles, consistant à acheter du temps et à reporter les vraies réformes structurelles. Plus succinctement, cela revient à mettre à nouveau « la poussière sous le tapis ». Pas un mot, évidemment, dans cette campagne électorale, sur la nécessité de repenser radicalement l’organisation de la fonction publique (organisation, privatisation, objectifs de productivité, surpondération des opérationnels au détriment des administratifs) et la nécessité de prioriser les dépenses publiques dans un contexte de rareté de l’argent public.

Rappelons ces propos de Thomas Sowell : « La première leçon de l’économie est celle de la rareté : on n’a jamais assez de tout pour satisfaire entièrement les besoins de chacun. Et en politique (surtout chez ceux qui tentent de décrocher la palme d’or de la démagogie et du simplisme), la première leçon est de ne pas tenir compte de la première leçon de l’économie. »

On retrouve donc la thématique de l’impossibilité de faire défaut pour un grand Etat de l’OCDE avec les trois parades : 

Puisque ce n’est pas le stock de dette publique qui va poser problème à court terme (malgré l’insoutenabilité de celle-ci), la véritable question est la suivante : quels sont les risques de rupture dans le refinancement de cette dette publique, et notamment de moindre appétit des investisseurs non-résidents pour les titres d’Etat français (sans aller jusqu’à parler de rapatriement de capitaux) ?

Pour répondre à cette question, il s’agit d’examiner les trois parades évoquées ci-dessus, et d’évaluer les capacités de substitution éventuelles à l’épargne non-résidente : la sollicitation de la banque centrale pour acheter à nouveau de la dette publique française, la sollicitation des banques et assureurs français pour rester très surpondérés en titres de dette publique française, et la mise à contribution des contribuables-épargnants français. 

1. Le retour de la monétisation de la dette par la banque centrale 

On a tous en mémoire l’exemple de l’intervention massive de la Bank of England sur le marché des gilts (emprunts d’Etat du Royaume-Uni) fin septembre 2022, suite au programme budgétaire extrêmement dépensier de Liz Truss, éphémère Première ministre britannique.

Il a fallu très rapidement procéder au « sauvetage » des fonds de pension et assureurs britanniques. Ici, la dégradation brutale des perspectives budgétaires du Royaume-Uni a provoqué, à juste titre, un violent krach des gilts. Et pourtant, les autorités ne pouvaient laisser les lois du marché s’exprimer naturellement, sous peine de laisser éclater un accident systémique majeur. En effet, les gilts servent de garantie aux milliards empruntés par des fonds de pension (habitués à prendre du levier pour doper leurs performances) et, lorsque les obligations britanniques se sont effondrées, les fonds de pension ont été contraints de vendre leur collatéral avec de fortes pertes, pour honorer les paiements dus à leurs créanciers, ce qui a auto-entretenu la perte de valeur de leurs garanties. 

Il semblerait que, pour l’instant, aucune majorité parlementaire en France n’ait la capacité de mettre en place une politique budgétaire aussi dispendieuse que stupide. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’une situation d’instabilité politique. Dans ce cas, la BCE (ou, à vrai dire, la Banque de France en délégation de la BCE) peut-elle déclencher un QE spécifique pour la France ? 

Depuis 2012, il existe ce que l’on appelle les OMT (Outright Monetary Transactions) destinées à secourir la dette publique d’un pays de la zone en difficulté (ce dispositif s’inscrivait dans le contexte de la crise des dettes publiques grecque, italienne et espagnole). Mais ce dispositif n’a jamais eu l’occasion d’être activé, puisque la « spéculation » a été combattue vigoureusement par la BCE : verbalement, en 2012, avec le « whatever it takes » de Draghi, puis monétairement, de façon non conventionnelle, à partir de 2014-2015 (taux directeurs négatifs, TLRO 4 ans renouvelés jusqu’en 2020 pour les banques, achats d’actifs via les QE). 

N’ayant jamais été déployé, ce dispositif ne peut être déclenché qu’à certaines conditions :

S’inspirant de ces OMT, la BCE avait, lors de son conseil de politique monétaire de juillet 2022, présenté un nouveau dispositif appelé TPI (Transmission Protection Instrument). Cet outil était destiné à lutter contre la fragmentation au sein de la zone euro (notamment via un écartement violent des spreads entre les taux des emprunts d’Etat de la zone). Mais là encore, la mise en place de ce dispositif serait conditionnée au respect d’objectifs de discipline budgétaire et fiscale. 

2. Une recrudescence de la corrélation entre risque bancaire et risque souverain 

Les banques et assureurs sont fortement incités à surpondérer à l’actif de leurs bilans des titres d’Etat de leur pays (en France comme ailleurs) compte tenu du traitement prudentiel de ces actifs extrêmement favorable du point de vue de la réglementation de ces institutions. 

Ainsi, les règles de liquidité Bâle III obligent les banques à constituer une réserve d’actifs liquides (numérateur du Liquidity Coverage Ratio). Parmi ces actifs liquides dits de haute qualité, on trouve les titres d’Etat et supranationaux notés au-dessus de AA-.

Ainsi, la dette publique française est bien protégée. Il en est de même en ce qui concerne les règles de solvabilité puisque, par exemple, les titres d’Etat français sont pondérés à 0 % dans le ratio de solvabilité des banques (donc consommation de risque nulle d’un point de vue prudentiel, si bien que les encours de dette publique détenus ne sont pas pris en compte dans le calcul du ratio de solvabilité). 

Cette situation ne permet pas de réduire significativement le niveau de corrélation entre le risque bancaire et le risque souverain qui empoisonna la vie des marchés financiers et des agences de notation durant la première moitié de la décennie 2010.

Certes, ce problème est moins préoccupant aujourd’hui, mais il pourrait le redevenir avec le dilemme suivant : va-t-on devoir dégrader les banques d’un pays à cause de la dégradation de la signature du souverain (compte tenu du biais domestique et des encours importants de dette publique dans les bilans des banques du pays) ? Ou bien doit-on dégrader la signature de l’Etat à cause de la dégradation de la solvabilité de ses banques et donc de l’anticipation d’une dérive des finances publiques de ce pays avec le retour forcé de bailouts (plans de sauvetage publics) ? 

3. Une fiscalité confiscatoire 

Face à de plus grandes difficultés pour financer la dette publique par l’épargne non-résidente (le déficit budgétaire de l’année en cours accroissant mécaniquement le stock de dette), le gouvernement solliciterait les épargnants et contribuables français dans des conditions insupportables. 

Dans un scénario catastrophe, il doit toujours exister dans un petit coin de notre tête le risque de nationalisation implicite de l’épargne privée. Les obligations émises par l’Etat français, que l’on retrouve massivement dans les contrats d’assurance-vie, pourraient être remplacées par de nouveaux titres d’Etat à la rémunération de plus en plus aléatoire (remboursement en intérêts et en capital subordonnés à la croissance et aux performances budgétaires de l’économie française !). Finance fiction, diront certains, peut-être, mais on ne peut empêcher l’épargnant d’envisager cette option dans les scénarios politiques les plus extrêmes (à droite comme à gauche, puisque l’exercice consistant à tolérer un extrême plus qu’un autre n’a aucunement mes faveurs, sur le plan économique comme sur le plan moral d’ailleurs). 

Toujours dans ces scénarios extrêmes (et même si le risque était écarté durant l’été 2024, celui-ci risque d’être présent dans les mois et années qui viennent), il existe aussi des risques croissants de fiscalité de plus en plus confiscatoire. La tentation sera forte de créer un fonds visant à racheter et éliminer une large portion de la dette existante pour la ramener à des ratios Dette publique/PIB plus soutenables. Ce type de fonds sera sans doute alimenté par la création d’impôts lourds sur le patrimoine, les successions, l’outil de travail entrepreneurial, une progressivité de l’impôt et des cotisations renforcée sans parler de contributions soi-disant temporaires et/ou exceptionnelles. On sait le degré élevé d’incompétence en matière économique de nos « responsables » politiques conventionnels ou non conventionnels ; cependant, on doit leur reconnaître des qualités incroyables en matière de créativité et d’ingéniosité fiscales. 

Mais voilà, ce ne sont que des parades : la première accroîtra la défiance vis-à-vis des banques centrales, et un jour (personne ne sait quand), on risque de vivre les débuts de crise des monnaies fiduciaires et de fuite devant la monnaie ; la seconde parade accroît le risque systémique bancaire ; la troisième parade est synonyme de perte de confiance (tout du moins ce qu’il en reste) dans les institutions. Cette perte de confiance a certes été provoquée par des partis politiques dits de gouvernement, et qui prétendaient incarner le sérieux budgétaire ; le drame, c’est que cette perte de confiance peut être aggravée par des aventuriers qui se situent aux extrêmes de l’échiquier politique. Les fameux slogans « ils ne peuvent pas faire pire », ou encore plus stupéfiant « on ne les a jamais essayés » risquent de coûter bien cher. 

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