La Chronique Agora

Le leadership américain ouvertement torpillé par la BCE et Pékin

▪ Les marchés ont fait semblant d’ignorer, ces dernières semaines, la progression du cancer du surendettement de l’Irlande. De la même manière, ils ont fermé les yeux sur l’impasse budgétaire qui risque d’acculer la Grèce à la restructuration de sa dette — sans parler du Portugal, qui envisage de manière à peine voilée une sortie de la Zone euro (certains eurosceptiques s’en réjouissent d’avance).

De son côté, la Chine se prépare à juguler les risques inflationnistes induits par un assouplissement quantitatif dont le principe avait été adopté dès la fin de l’été. Quant à la BCE, elle cherche de façon non moins explicite à se décharger du rôle de sauveteur en dernier ressort du système bancaire moribond des « PIGS ».

Les banques grecques, irlandaises, portugaises et espagnoles ne trouvent plus un euro pour se refinancer auprès de leurs consoeurs convalescentes de l’Eurozone. Ce n’est pas parce que les liquidités se font rares : elles sont au contraire surabondantes, « Bubbles Ben » y veille avec le soin que l’on sait.

Le problème vient de ce que l’argent imprimé en masse par la Fed ne profite en rien aux acteurs qui en ont besoin. Il se déverse dans les poches de ceux qui en ont déjà trop — comme les entreprises exportatrices chinoises ou les producteurs de matières premières qui passent leurs temps à essayer de se racheter les uns les autres, ne sachant plus quoi faire de leur cash.

▪ De façon plus surprenante, lorsque les Européens se proposent d’éteindre préventivement l’incendie qui ravage le secteur bancaire irlandais, le gouvernement dirigé par Brian Cowen (le Premier ministre) et Brian Lenihan (ministre des Finances) refuse de l’accepter. Cette aide permettrait pourtant de devancer le surgissement du genre de problèmes auxquels la Grèce — et ses principaux partenaires — ont dû faire face au printemps dernier…

Ce refus est fait au nom de l’indépendance de la politique budgétaire du pays. Car il n’est pas question, après tant de sacrifices consentis depuis deux ans, que l’Irlande donne le sentiment de subir une mise sous tutelle humiliante des autorités européennes ou du FMI.

Le gouvernement se refuse en particulier à relever les taux d’imposition des entreprises. Cette fiscalité extra-light a contribué à leur essor (sans les mettre à l’abri de la crise)… mais les Européens voudraient la voir relevée, au nom de la lutte contre le dumping fiscal.

Les Britanniques, qui ont tout à perdre d’une faillite de leur principal partenaire anglo-saxon, approuvent le sauvetage des banques irlandaises.

Mieux même, ils acceptent même d’être mis à contribution (sans qu’on leur ait rien demandé), bien que n’appartenant pas à la Zone euro. Souvenez-vous de leurs sarcasmes lorsque certaines banques allemandes se retrouvèrent au bord de la faillite à l’automne 2008 : il ne s’agissait pas de venir réclamer un centime au gouvernement britannique !

S’ils font pression pour que le gouvernement irlandais se laisse convaincre, c’est que la situation est plus que préoccupante. Les banques anglaises n’ont pas les moyens de faire face à un « Lehman » à la mode de Dublin.

Le plus sensationnel dans cette histoire, c’est que David Cameron agit exactement comme le suggère la BCE à ses partenaires de l’Eurozone : que les gouvernements (donc les contribuables) des pays qui hébergent des « banques zombie » s’en débrouillent. Qu’ils les renflouent ou les liquident, peu importe, pourvu que la BCE puisse purger de son bilan les créances douteuses et potentiellement restructurables.

▪ Vous le constatez, la BCE va bien au-delà d’une politique monétaire aussi dissemblable que possible de celle de la Fed. Elle ambitionne de présenter d’ici 12 à 18 mois une structure de bilan « zéro défaut », sans actifs pourris, sans excédents à éponger, le petit doigt sur la couture de la stabilité monétaire (mais une « stabilité » par rapport à quoi ?).

Qui la BCE souhaite-t-elle donc séduire… sinon les Chinois, qui sont déjà les principaux partenaires de l’Allemagne ?

Le problème, c’est que la majorité des pays du sud de l’Eurozone feront faillite si la BCE s’obstine à faire de la monnaie unique la nouvelle référence en matière de devise de réserve pour les pays qui présentent des bilans commerciaux et budgétaires excédentaires.

Il semblerait que l’exécutif chinois, très critique à l’encontre de la Fed, et une partie de l’élite économique européenne considèrent que le moment est venu de signifier à l’Amérique qu’elle vient de perdre son statut de leader planétaire.

▪ Et le réveil de l’économie américaine n’est pas pour demain, à en juger par le chiffre des mises en chantier aux Etats-Unis : elles rechutent de 11,7%, au plus bas de puis 18 mois.

Pas de quoi se rassurer avec les demandes de permis de construire, qui progressent symboliquement de 0,5% (après -4,5%). Le marasme demeure profond dans le secteur immobilier américain ; aucun signe de frémissement ne se dessine depuis que le « QE2 » est dans les tuyaux, en dépit de taux hypothécaires exceptionnellement bas.

Il ne faut donc pas s’étonner que Wall Street n’ait pas repris un pouce de terrain mercredi soir après les 1,7% perdus mardi. Le S&P grappille 0,02%, le Dow Jones s’effrite de 0,15% et préserve tout juste les 11 000 points à l’issue d’une séance où les acheteurs semblaient avoir trois de tension !

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