La Chronique Agora

Le Japon en dépression, l'euro en surpression

** Quelle genre d’initiative un gérant normalement constitué pourrait-il bien prendre sur les places européennes lorsque les portes de Wall Street restent closes pour cause de lundi de Presidents’ Day (célébration de la naissance de Georges Washington) ? Rien, à part écarquiller les yeux en découvrant les dernières statistiques concernant l’économie nippone. Le PIB du Japon a chuté de 3,3% au quatrième trimestre et de 12,7% en rythme annuel. C’est la plus sévère contraction depuis le premier trimestre 1974… et probablement depuis l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale.

Un véritable scénario de type "crise Argentine" avec une chute record des exportations de 13,9% (et de 45% sur un an), des investissements d’entreprises s’effondrant de 5,3%, une consommation des ménages qui a reculé pour le dixième mois d’affilée (de -0,4% au mois de décembre) et qui plonge de 1,7% au quatrième trimestre et de 5% en 2008.

Après une entrée en récession au troisième trimestre 2008, le Japon connaîtra probablement une dépression en 2009, avec une contraction économique à deux chiffres du PIB et de lourdes séquelles en 2010 — bien que le gouvernement japonais s’apprête à dévoiler un troisième plan de relance.

C’est ce qui explique que la Bourse de Tokyo n’ait cédé que 0,4% lundi matin. D’autant que le Nikkei tutoie ses planchers annuels et teste des supports importants.

Le salut de l’archipel ne viendra pas d’une quelconque résilience de la Chine. Cette dernière enregistre une chute d’un tiers des investissements directs étrangers (-32,6%) en janvier par rapport à l’an passé alors que les multinationales réduisent considérablement la voilure face à une consommation en panne dans les pays occidentaux.

L’Eldorado asiatique ne fera pas la fortune des géants de la téléphonie mobile en 2009. Le CEO de Nokia prédisait dimanche une année 2009 difficile et une récession plus longue qu’anticipé fin 2008… et qui pourrait durer encore deux à trois ans.

** Au lendemain du G7 — qui se tenait ce week-end — où les participants se sont bornés à réaffirmer de grands principes tels que le rejet du protectionnisme et la nécessité d’un effort commun pour stabiliser l’économie, la Bourse de Paris a subi une vague de dégagements sur un large front en fin de séance. Elle anticipe une réouverture négative de Wall Street cet après-midi, ce qui induit le risque de voir le Dow Jones enfoncer ses planchers annuels et basculer sous les 7 700 points pour la première fois depuis le 20 novembre dernier.

L’indice CAC 40 s’est replié de 1,2% à 2 962 points, sans être jamais parvenu à se rapprocher des 3 000 points en cours de séance. Londres et Francfort ont respectivement lâché 1,2% et 1,3%, Amsterdam a chuté de 1,6% dans le sillage des compagnies d’assurance Aegon et ING mais également de TNT — le rival européen d’UPS ou DHL. Son repli de 6,7% témoigne du désarroi des investisseurs face à la profondeur du ralentissement économique en Zone euro.

** L’intervention de J.-C. Trichet et Joachim Almunia en direct depuis Bruxelles hier confirmait l’impuissance des élites face à la récession. Nous avons tous le souvenir de l’assurance et de la détermination du patron de la BCE à combattre l’inflation, et le voici soudain qui bredouille sa partition monétariste. Il se borne à reconnaître que la tendance sur les prix est à la décrue — surtout ne pas prononcer le terme déflation ! — et que le système financier a besoin d’être mieux régulé afin que les désordres actuels ne débouchent pas sur des désordres pires encore.

Et d’invoquer dans la foulée le rôle clé du FMI dans la coordination des plans de relance et la détermination d’une stratégie claire.

Mais Jean-Claude Trichet se garde bien de préciser laquelle, tout comme Timothy Geithner s’est avéré incapable de restaurer la confiance mercredi dernier, faute de pouvoir détailler le mode de fonctionnement du TARP 2. Les marchés qui se satisfaisaient jusqu’en 2007 de bénéfices purement théoriques — l’extraction de gains potentiels se substituant à la matérialisation de plus-values réelles — exigent aujourd’hui des solutions pratiques et veulent pouvoir estimer par eux-mêmes l’efficacité de chaque mesure proposée.

C’est normal : que deviendrait la planète si l’humanité devait se passer de l’infaillibilité du jugement des marchés ? Imagine-t-on le péril encouru si jamais on s’apercevait d’ici un an que quelques centaines de millions de trop ont été alloués à l’éducation ou à la santé publique, voire au soutien des chômeurs ou des préretraités ?

Selon les sénateurs républicains, qui ont massivement voté contre le plan Obama vendredi soir (par 40 voix sur 42), les Etats-Unis n’ont pas les moyens de gaspiller le bon argent des contribuables destiné à renflouer les banques qui l’ont perdu dans des spéculations imbéciles.

** Puisque les recettes fiscales sont en chute libre tandis que les fonds de garantie bancaires ont besoin de distribuer des dizaines de milliards de dollars chaque mois pour colmater les brèches, il faut baisser massivement les taxes pour soutenir le pouvoir d’achat. Le Trésor US n’a qu’à émettre les emprunts correspondant aux sommes manquantes puisque les Chinois confirment leur volonté de participer aux prochaines émissions de T-Bonds et s’engagent à remplir sans sourciller leurs coffres de monnaie de singe.

En Occident, tout le monde sait que la mauvaise monnaie chasse la bonne… mais cette maxime est fort heureusement restée ignorée des peuplades arriérées des régions d’Asie situées à l’est de l’Himalaya.

Elles n’acceptent plus les paiements en verroteries de Murano ; il leur faudra toutefois certainement encore une génération ou deux avant de comprendre que le papier vert imprimé aux Etats-Unis n’a pas davantage de valeur… et qu’il n’est même pas possible de le refondre pour en faire des vases ou des verres qui auraient un semblant d’utilité.

** Lorsque l’on écoute le discours de certains économistes américains, on n’est pas très loin d’évoquer ce genre de cliché : la devise chinoise n’étant pas convertible et son cours étant — chacun en convient — maintenu à un niveau artificiellement bas, quel autre choix leur reste-t-il pour payer leurs approvisionnements en pétrole et en matière première… à part le dollar ? Et quel meilleur moyen de préserver sa valeur que de soutenir l’effort de relance de la nouvelle administration américaine ?

Imaginez un seul instant que Pékin s’en aille acheter du yen alors que le PIB japonais pourrait afficher -10% d’ici la nouvelle année fiscale — c’est-à-dire d’ici le 1er avril prochain.

Serait-il raisonnable de surpondérer les réserves de change en euros alors que la monnaie unique menace de broyer les économies portugaises et italiennes — après celles de la Guadeloupe et de la Martinique, deux îles qui connaissent une crise du pouvoir d’achat dont les causes ne relèvent pas que du blocage de l’ascenseur social, un handicap certes récurrent dans les Antilles — ?

La Chine n’a donc pas le choix — ni son mot à dire — même si l’accumulation des déficits américains et l’usage immodéré de la planche à billets débouche sur l’hyperinflation. Le scénario pourrait aussi bien ressembler à celui observé au Japon de 1991 à 2003 : un accroissement colossal de la dette, mais pas un soupçon de dérapage des prix tant que la correction immobilière se perpétuait inexorablement.

Pourquoi la Chine ne pourrait-elle pas acheter de l’or à la place ? Bah, c’est tout simple : parce qu’elle ne trouvera jamais 2 000 milliards de dollars de métal précieux sur le marché !

Philippe Béchade,
Paris

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