La Chronique Agora

Le dollar, de l'Argentine… au Zimbabwe

Par Bill Bonner (*)

La chute du dollar n’est pas là simplement pour amuser les spéculateurs. Le dollar, c’est la devise dans laquelle quasiment tous les espoirs et les rêves des Américains sont calibrés. Si une maison vaut 300 000 $… ces 300 000 morceaux de papier peuvent représenter toute une vie d’efforts passés… ainsi que tous les espoirs de repos futur. Retraites, assurances-vie, portefeuilles boursiers, obligations… Tout ce que les Américains gagnent et tout ce qu’ils dépensent — quasiment tout est en dollars.

Comme nous l’avons déjà souligné, le petit secret du capitalisme US avancé, c’est qu’il socialise une bonne partie du risque… et la majorité des pertes. Les grandes banques… les grandes sociétés financières… ou même les petits ménages… se mettent dans le pétrin — et le gouvernement vole à leur secours. "Tenez, voilà encore un peu d’argent", déclare la Fed.

Et d’où vient cet argent ? C’est une longue histoire… qui n’a rien de nouveau. Elle a été jouée dans la Rome antique… dans la France du 18ème siècle… dans l’Allemagne du 20ème siècle… et à présent, dans une pièce de longue haleine au nord du Rio Grande.

Dans les faits, les banques centrales créent de l’argent — comme le disait Keynes — "à partir de rien". Il n’y a pas de mal à ça, direz-vous, il faut bien qu’il vienne de quelque part. Sauf que ce nouvel argent fait concurrence à l’ancien argent que les gens ont mis tant de temps et de travail à accumuler. Et ni une économie ni une personne ne peuvent faire la différence entre un dollar qui provient de la sueur de notre front et un dollar qui a été créé à partir de rien. Résultat : cela augmente la masse globale de dollar tout en réduisant leur valeur individuelle. C’est le phénomène connu sous le nom d’inflation.

Les conséquences de l’inflation sont bien connues, tout comme sa source. Tout le monde sait, en d’autres termes, qui a été tué et qui a tiré le coup de feu. Nous ajoutons aujourd’hui un simple détail incriminant — le motif.

Pourquoi la banque centrale américaine voudrait-elle créer de l’inflation ? On peut accuser le Congrès… les politiciens veulent toujours dépenser plus d’argent qu’ils ne peuvent en obtenir en augmentant les impôts. Ils règlent la différence en empruntant… puis ces prêts doivent être refinancés… on finit par rajouter d’autres prêts… et tout cela passe bien plus facilement si de l’argent supplémentaire flotte un peu partout.

On peut aussi accuser les consommateurs. Ils dépensent de l’argent qu’ils n’ont pas pour acheter des choses dont ils n’ont pas besoin. Ils se prennent pour qui, des membres du Congrès ? Eux aussi sont bien plus heureux lorsque l’argent coule à flots. Lorsque les électeurs sont contents, c’est bien connu, les politiciens sont contents aussi… et lorsque les politiciens sont contents, ils ne posent pas de questions difficiles aux banquiers centraux… si bien que les banquiers centraux sont heureux également. Soyons honnêtes : tout le monde est plus heureux lorsqu’il y a un peu d’inflation dans le système. Les économistes en sont même venus à croire que l’inflation aidait à stimuler l’emploi… qu’elle encourageait les consommateurs à dépenser… et qu’elle aidait même à créer une économie plus dynamique et plus robuste. Alors vous voyez, cher lecteur, même les économistes sont plus heureux avec un peu d’inflation dans l’air. Et si vous rendez les économistes heureux… ne rendez-vous pas service à Dieu lui-même ?

Et nous voilà au cœur le plus profond de toute cette sombre question. Accusez Dieu. Dieu a créé l’homme. Et l’homme aime un peu d’inflation. Avec un peu d’argent supplémentaire, les gens ont l’impression d’avoir quelque chose en l’échange de rien. Qui n’aime pas ça ?

Sauf que Dieu ne s’est pas arrêté là. Il a créé l’homme. Et l’homme aime obtenir quelque chose en l’échange de rien. Mais Dieu s’est assuré de mettre un ver dans le fruit. Obtenir "quelque chose en l’échange de rien", ça a toujours un coût élevé. Si le dollar avait simplement gardé sa valeur depuis 2002 et que tout le reste était resté égal, les Américains auraient environ 10 000 milliards de dollars de pouvoir d’achat supplémentaire aujourd’hui. Au lieu de cela, ils s’habituent désormais à voir des étrangers arriver, acheter leurs actifs et leur dire combien tout est bon marché. Oui, les choses sont bon marché, pour les étrangers ; ils ont du véritable argent. Mais pour les Américains, les choses sont moins économiques.

La crise de 2001-2002 a réduit la richesse des Argentins de quasiment deux tiers. Tout à coup, s’ils voyageaient en Europe, par exemple, ils s’apercevaient qu’ils n’avaient qu’un tiers de l’argent qu’ils avaient autrefois. Les étrangers affluaient dans le pays pour acheter des appartements et des fermes… tandis que les Argentins eux-mêmes n’avaient pas assez d’argent pour leur faire concurrence. Les riches d’Argentine s’en sortaient bien. Depuis toujours, ils conservaient leur fortune à Miami ou en Suisse. Mais la classe moyenne avait des pesos. Elle gagnait des salaires en pesos. Les citoyens comptaient sur la valeur de leurs retraites en pesos… de leurs maisons… et de leur épargne. Et lorsque la crise est venue… leur argent a disparu. Les classes moyennes argentines ont été quasiment ruinées.

L’Argentine ? Regardez le Zimbabwe, déclare notre vieil ami Marc Faber. L’histoire est la même, mais elle est plus amusante. Et elle en est encore au stade de l’hyper-farce. L’inflation tourne officiellement autour de 7 000% par an. Mais selon des estimations officieuses, le taux, cette année, ressemblera plus à 100 000%. Marc est récemment allé au Zimbabwe. Il nous raconte qu’il est allé acheter une bouteille de jus d’orange le lundi ; elle coûtait 120 000 dollars zim. Mardi, le prix était passé à 180 000. Et le vendredi, la bouteille atteignait les 600 000.

Tout cela peut sembler très comique, mais les devises sont significatives, pour les gens ordinaires. Et à la marge, elles peuvent faire la différence entre la vie et la mort.

Meilleures salutations,

Bill Bonner
Pour la Chronique Agora

(*) Bill Bonner est le fondateur et président d’Agora Publishing, maison-mère des Publications Agora aux Etats-Unis. Auteur de la lettre e-mail quotidienne The Daily Reckoning (450 000 lecteurs), il intervient dans La Chronique Agora, directement inspirée du Daily Reckoning. Il est également l’auteur des livres "L’inéluctable faillite de l’économie américaine" et "L’Empire des Dettes".

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