La Chronique Agora

La transaction de la prochaine décennie

** Nous ne savons toujours pas quelle direction prennent les choses — c’est-à-dire la bataille entre la crainte et l’avidité.

* Cette semaine, la Fed a baissé son taux directeur de 50 points de base supplémentaires, à 3%. A ce niveau, il est substantiellement sous le taux d’inflation américain.

* Officiellement, l’inflation US dépasse un peu les 4%. Le gouvernement intervient ensuite gentiment en soustrayant les choses les plus importantes — la nourriture et le carburant — ce qui lui permet d’obtenir un "taux central" d’inflation bien plus bas.

* De combien les prix à la consommation augmentent-ils vraiment ? Personne ne le sait. A l’occasion, un économiste ou un journaliste sort faire quelques courses et tente de calculer la hausse des prix. En général, leurs chiffres de "l’inflation" frôlent plutôt les 10%. Bien entendu, les résultats varient selon l’endroit où vous êtes et ce que vous achetez.

* Si l’on mesure "l’inflation" par rapport à une véritable devise — l’or — le taux d’inflation actuel est considérablement plus élevé. Il y a un an de ça, une once d’or était toujours sous les 700 $. A l’heure où nous écrivons ces lignes, elle est à 920 $ — un bond de près de 20%.

* Quelle que soit la manière de mesurer l’inflation, l’occasion d’emprunter à 3% doit être un point positif pour les gens qui souhaitent faire un prêt. Dans les faits, l’argent est gratuit.

* Mais attendez une minute… M. le Marché ne donne généralement pas d’argent gratuitement. Où est le piège ? Le piège, c’est que les spéculateurs doivent faire quelque chose avec cet argent. Et tandis que les prix à la consommation grimpent, les prix des actifs chutent. Si vous prenez l’argent, vous devez trouver un endroit où l’investir de manière à ce qu’il vous rapporte au moins 3%.

* Les actions ? Peut-être pas. Les obligations ? Les rendements sont très bas… il n’y a guère de marge d’erreur. L’immobilier ? Oubliez ça.

* Pour les spéculateurs internationaux, par contre, des taux de prêt anormalement bas peuvent être une mine d’or. Lorsque l’économie japonaise s’est enfoncée dans la récession, le gouvernement a répliqué par des baisses de taux et des dépenses gouvernementales élevées — tout comme le fait le gouvernement US actuellement. Cela a créé une opportunité dans le carry trade, où les spéculateurs ont pu emprunter des yens à des taux d’intérêt bas puis échanger l’argent contre des dollars à réinvestir dans les actions américaines. Ces dernières ont été multipliées par 13 entre 1982 et 2007, tandis que le yen n’a fait que baisser ou presque. En d’autres termes, la politique du Japon n’a guère aidé à relancer l’économie nationale… mais elle a mis le feu aux prix des actifs d’une bonne partie du reste du monde.

* Ce mécanisme ne fonctionne plus parce que le yen grimpe et que les actions US chutent. Mais peut-être que le système inverse marcherait — emprunter des dollars et les investir dans les actions japonaises ? Le dollar va baisser, grâce aux efforts des politiciens pour redynamiser l’économie US… tandis que les actions nippones sont désormais quasiment aussi bon marché, en termes relatifs, que l’étaient les valeurs américaines au début des années 80. Nous n’en sommes pas encore là… mais restez à l’écoute : peut-être que ce sera notre Transaction de la Prochaine Décennie.

* Il y a une autre possibilité pour les spéculateurs actuellement — qui est aussi la plus évidente. L’un des marchés haussiers les plus sûrs de la planète, c’est l’or. Le métal jaune grimpe, passant de 260 $ durant la première année du règne présidentiel de George II à plus de 900 $ cette année. Personne ne connaît l’avenir, mais il ne semble pas que ce marché haussier doive s’arrêter de sitôt. Les spéculateurs peuvent désormais emprunter des dollars à des taux bien inférieurs à l’inflation des prix à la consommation… et les placer dans l’or, qui grimpe de 20% par an.

** Nous parlons de tout ça uniquement pour souligner le pétrin dans lequel se trouvent les banquiers centraux et les politiciens américains. Ils peuvent rendre l’argent moins cher et plus facile à obtenir. Ils peuvent voter un programme de "stimulants" coûtant 146 milliards de dollars. Mais qu’arrive-t-il vraiment à tout cet argent ? Il finit à l’étranger. Les politiques peuvent relancer l’économie… mais ce qu’ils relancent vraiment, ce sont les usines asiatiques… le marché de l’or… et les spéculateurs mondiaux, pas l’économie des USA. Les problèmes des Etats-Unis sont trop profonds pour être résolus par un peu d’argent de poche. De plus, comme nous le disons sans arrêt, le véritable problème, aux Etats-Unis, c’est que les gens ont trop emprunté et trop dépensé. Leur offrir plus de crédit n’est pas une solution ; c’est une tentation… comme de porter une jupe courte lorsqu’on traite un maniaque sexuel… ou tourner le dos à un kleptomane pour se demander ensuite ce qui manque dans la maison.

* En ce qui concerne le programme de George Bush, nous ne l’avons pas regardé en détails… nous en avons juste vu le montant. A 146 milliards de dollars, on atteint presque exactement la somme que l’économie US a perdu l’an dernier en termes de dépenses de consommation à cause du marché baissier de l’immobilier, selon les calculs de Frederic Mischkin. Selon Mischkin, gouverneur de la Fed, les ménages ont réduit leurs dépenses de sept cents pour chaque dollar de valeur immobilière perdue par leurs maisons (avec un léger délai, supposons-nous). Sur l’année dernière, cela revient à environ 150 milliards de dollars de réduction de dépenses. Si l’on part du principe que les consommateurs américains dépenseront le "cadeau fiscal" qui leur a été fait, l’économie ne bouge pas d’un iota.

* Mais la chute des dépenses de consommation provoquée par l’immobilier n’est qu’une petite part de la déflation qui atteint l’économie US. Les actions ont baissé de 15% par rapport à leur sommet… tandis que les dirigeants des secteurs financier et économique annoncent des pertes gigantesques, qui pourraient atteindre des milliers de milliards de dollars dans les temps qui viennent.

* De plus, l’effondrement du pouvoir d’achat des consommateurs US ne provient pas seulement du fait que les prix des maisons chutent — mais aussi du fait qu’ils ne grimpent plus. Au sommet de la bulle, les propriétaires extrayaient jusqu’à 250 milliards de dollars par trimestre grâce au refinancement, aux hypothèques et autres formes de crédit liées à l’immobilier. A présent, cette source se tarit.

* Les politiques peuvent essayer de remplacer cet argent — mais ils ont peu de chances d’y arriver.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile