La Chronique Agora

La Fed nous mitonne une drôle de recette sucrée-salée

** Beaucoup d’ingrédients plutôt appétissants — pour les amateurs de saveurs corsées — mijotaient dans la marmite baissière depuis lundi ; il y avait notamment la résurgence du syndrome des subprime frappant le secteur bancaire aux Etats-Unis… les dernières déclarations de J.C. Trichet évoquant la contagion de la crise du crédit à des secteurs d’activité « non reliés au secteur initialement touché »… la chute des ventes de détail (-0,6%) dans l’Euroland au mois d’avril… les anticipations de resserrement du loyer de l’argent (+50 points en moyenne) de part et d’autre de l’Atlantique avant la fin de l’année 2008.

Pour pimenter le bouillon, l’OCDE abaisse à 1,8% sa prévision de croissance pour l’ensemble des pays industrialisés de la planète cette année. En 2009, l’anticipation ne serait plus que de 1,7% tandis que l’inflation globale pourrait rester forte « pendant une certaine période » — le ralentissement économique serait le plus prononcé aux Etats-Unis avec 1,1% en 2009.

Au Japon et dans la zone euro, l’OCDE prévoit une croissance de 1,7% en 2008 qui se contracterait à 1,5% et 1,4% respectivement l’an prochain.

** Nous avons surveillé la cuisson sans trop d’inquiétude jusque vers 14h15 — le CAC 40 perdait alors 2,3%, pulvérisant le support des 4 900/4 . 890 points. Notre recette baissière glougloutait gentiment, mais une odeur de brûlé a commencé à taquiner nos narines à une heure de la reprise des cotations à Wall Street : rien de bien inquiétant, il suffisait de réduire les feux temporairement et de rajouter un peu de matière grasse.

Par acquit de conscience, nous avons goûté la préparation et détecté, ô surprise, un fort arrière-goût de sucre qui dénaturait complètement la recette, au risque de la rendre au mieux écoeurante, au pire carrément indigeste.

Ce que nous avions reniflé quelques minutes auparavant, ce n’était pas du « brûlé » mais bien des relents de caramel : l’impression olfactive semble très proche… mais les papilles font clairement la différence.

Explication la plus plausible : quelqu’un se serait trompé en versant initialement du sucre à la place du sel… ou alors cela s’est produit durant la cuisson, au moment de rajouter quelques pincées de farine pour donner du liant à la sauce. Et quelqu’un aurait délibérément déversé à la place un kilo sucre glace !

Cet incident n’a pas tardé à nous revenir en mémoire : c’est la Fed qui sciemment a dénaturé le contenu de la marmite mardi matin en faisant l’inventaire des inconvénients d’un dollar faible !

** Mais de quoi Ben Bernanke se mêle-t-il ? Ce genre de commentaire, c’est traditionnellement du ressort du chef des cuisines, c’est-à-dire Henry Paulson (éventuellement du patron du restaurant surmonté de l’enseigne « La Maison-Blanche »).

Voilà donc le pâtissier — spécialiste émérite des soufflés et autres préparations à base d’oeufs battus en neige, telles sa célèbre « meringue de dollars façon hélicoptère » — qui s’improvise maître saucier !

A moins d’être totalement myope, Ben Bernanke n’a pu confondre la farine et le sucre en poudre… la marmite contenant la blanquette de CDO et la casserole remplie de crème anglaise. Certes, au niveau couleur, il y a une certaine ressemblance… mais il suffit de plonger une spatule pour s’apercevoir que dans la première, il a y déjà plein de morceaux tombés au fond.

Conclusion, quelqu’un en cuisine a dû donner des instructions très précises à Ben Bernanke ; il ne s’agit pas d’une simple redistribution des rôles ou du fait d’avoir accordé une heure de pause au secrétaire américain au Trésor. Au menu du jour, il y avait inscrit « salé-sucré de dollar »… et c’est le patron de la Fed qui s’est chargé de tester cette nouvelle recette.

** Avec une série de réflexions induisant un rebond du billet vert, c’est le pétrole qui s’est mis à corriger sous les 122,5 $. C’est un signal fort qu’ont bien capté les spéculateurs sur les matières premières. Le moment est bien choisi d’engranger ses gains sur le Nymex pour se pencher de près sur le Nyse… il y a de la survente dans l’air et le café est offert aux premiers acheteurs !

La chute des indices boursiers s’est donc enrayée ; la bourse de Paris a effectué une belle remontée au cours des 90 dernières minutes, le CAC 40 effaçant la moitié des pertes observées vers 14h15, lorsque le recul dépassait les 2,3%. Les volumes d’échanges ont été relativement étoffés (5,4 milliards d’euros) mais ce n’est pas très spectaculaire compte tenu de la volatilité du jour.

Les opérateurs ont longtemps craint que le CAC 40 n’enfonce hier d’importants supports court terme (4 900 ou 4 890 points). Cependant, Wall Street a rapidement démenti le scénario d’une poursuite de la spirale baissière et les indices américains n’ont pas tardé à reprendre le terrain perdu initialement (-0,5%) pour s’orienter à la hausse — le Nasdaq affichait 1,5% à la mi-séance — à la faveur d’un indice ISM des services moins négatif que prévu aux Etats-Unis.

** L’enquête publiée par l’Institute for Supply Management traduit un léger recul de 0,3 points à 51,7 contre 52 en avril. Par ailleurs, la productivité non-agricole aux Etats-Unis a été rehaussée, avec une progression de 2,6% au premier trimestre contre une première estimation de 2,2%.

Enfin, selon le cabinet ADP (Automatic Data Processing), le secteur privé américain aurait créé 40 000 emplois au mois de mai… Une performance bien singulière puisqu’une enquête du bureau Challenger publiée presque simultanément révèle un envol de 15% du nombre de licenciements en mai, avec une pointe à -103 500, le score le plus élevé depuis décembre 2005. Il est intéressant de noter que pas moins de 66 000 postes ont été supprimés dans le secteur du crédit/banque d’affaires.

** Quel que soit le nombre d’emplois créés ou détruits (chiffres à paraître vendredi aux Etats-Unis), les marchés ne pourront retrouver leur sérénité tant que subsisteront des interrogations concernant la santé financière de Lehman — en grande difficulté depuis lundi, impacté par l’anticipation d’une augmentation de capital — ou d’autres grandes banques européennes qui pourraient l’imiter sous la contrainte de dépréciations d’actifs plus importantes que prévu.

Mais sans l’angoisse d’une dépréciation du dollar d’ici la fin du premier semestre, nous connaissons beaucoup d’institutionnels qui seraient heureux de voir la valeur de leur portefeuille boursier remonter un peu durant quelques semaines et compenser le déclin des actifs obligataires : le franchissement du cap des 1,54 par le billet vert face à l’euro (en direction des 1,51) pourrait réveiller de nombreux appétits pour les actions… et le salé-sucré, ce n’est pas si désagréable, à condition de surveiller son taux de cholestérol !

Philippe Béchade,
Paris

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