La Chronique Agora

La BCE pourrait avoir signé la fin de la mise à mort du dollar

▪ La semaine avait démarré sur les chapeaux de roues avec l’appui d’un dollar qui se repliait vers les 1,50 euro, alimentant les spéculations sur une rupture de ce support en direction des 1,60 euro. Cette rupture aurait pratiquement validé l’hypothèse d’une envolée du CAC 40 vers 4 200/4 250 points, les liquidités affluant sur les marchés d’actions dans le cadre d’un intense mouvement de carry trade.

Mais tous les efforts pour propulser le CAC 40 au-delà des 3 860 points se sont avérés vains alors que le billet vert refusait obstinément de casser les 1,5050 euro — remontant au contraire vers les 1,49 euro mardi puis vers les 1,4850 euro jeudi et vendredi. L’indice parisien a perdu pied dès le lendemain et alignait quatre séances de repli consécutives.

Cela illustre bien le principe selon lequel lorsqu’un consensus — baissier sur le dollar en l’occurrence — est trop univoque, il est toujours plus profitable de parier contre. Cependant, les vendeurs d’euros n’ont pas encore gagné la partie car cela fait pratiquement neuf mois que les marchés se repassent en boucle toutes les raisons de jouer le dollar à la baisse au moins jusqu’à la fin 2010. En effet, la Fed n’a cessé de promettre le maintien d’une politique de taux zéro durant une période « considérable ».

Wall Street applaudit, les traders se congratulent : voilà des promesses d’argent facilement gagné au nez et à la barbe des contribuables américains. Quant à eux, ils doivent se contenter de la rémunération peau de chagrin de leur épargne retraite avec des taux longs (10 ans et plus) tombés à 3,30% en milieu de semaine — une aberration totale lorsque les économistes anticipent un endettement des Etats-Unis passant de 75% de 125% d’ici 18 à 24 mois.

▪ Jean-Claude Trichet vient peut-être de siffler ce vendredi la fin de la récré d’après une déclaration rapportée par l’agence Reuters.

Mais avant de vous permettre d’en prendre connaissance, nous voudrions vous offrir la lecture d’un petit extrait de notre Chronique du 6 novembre dernier.

« La plupart des économistes s’accordent aujourd’hui sur le fait que les milliers de milliards de dollars injectés dans le système financier il y a un an sont littéralement confisqués par les brasseurs d’argent et n’irriguent qu’au compte-goutte l’économie réelle ».

« La Fed continue de faire comme si elle était dupe alors que la croissance des bonus (+40% en 2009) est inversement proportionnelle (par un facteur 10, c’est historique) à celle de l’emploi et de la consommation des ménages ».

« Les marchés sont à l’image de ces patients qui après un grave accident deviennent accros aux antidouleur. Leur seule crainte est que leur médecin — ou le bon docteur Bernanke — leur annonce un beau jour une guérison complète et l’arrêt de leur traitement ».

▪ Voici maintenant la version BCE :

« Les banques courent le risque de développer une addiction à l’offre abondante et peu onéreuse en liquidités offerte par les Banques centrales et cette situation exceptionnelle prendra fin une fois que la conjoncture se serait normalisée ».

« Les contribuables n’accepteraient pas que le secteur financier revienne à ses anciennes pratiques [NDLR : comme si ce n’était déjà pas le cas] en matière de prises de risques ou de rémunérations après avoir bénéficié d’aides publiques généreuses ».

« Les traitements de choc et des médicaments puissants sont parfois nécessaires. Mais, si leur utilisation est prolongée, ils peuvent entraîner une dépendance voir une addiction : au final, la prescription d’antidouleur doit être stoppée pour que les patients se rétablissent ».

Nous savons tous que le quotidien foisonne de coïncidences et nous serions vraiment présomptueux de croire que certaines personnes dans l’entourage des sherpas de la BCE nous lisent simplement parce que nous avons figuré parmi les seuls chroniqueurs économiques à prédire et décrire par avance — avec une exactitude qui nous a nous-mêmes surpris — l’éclatement de la bulle du crédit et l’ensemble de ses conséquences désastreuses.

En fait, nous avons surtout été étonnés que notre scénario catastrophe aille à son terme. Il fallait en effet que les Banques centrales et les gouvernements commettent un enchaînement d’erreurs stratégiques traduisant soit une incapacité à établir le bon diagnostic, soit une incapacité à mettre en oeuvre les bonnes solutions, sous la pression de puissants lobbys hostiles à la mise en place de nouvelles règles du jeu et à toute sanction des fautifs.

Comme nous savons par expérience que des gens très intelligents sont parfois amenés à prendre des décisions idiotes — sous peine d’être empêchés de poursuivre leur carrière sous les ors de la République ou d’arpenter les tapis rouges des plus prestigieuses instances internationales — nous accordons le bénéfice du doute à quelques éminents personnages qui ont adopté comme un seul homme les solutions d’urgence que proposait Henry Paulson au profit de ses meilleurs amis du système bancaire américain à l’automne 2008.

▪ Mais revenons à une actualité plus immédiate et à la réaction des investisseurs aux propos de Jean-Claude Trichet dont nous venons de rendre compte.

Pour l’avoir vécu en direct, nous pouvons affirmer que l’accueil a été des plus glacial. Le CAC 40 a perdu 70 points (pratiquement 2%) en moins de 90 minutes. Les gains de la semaine précédente ont bien failli être intégralement effacés alors que l’indice affichait un repli de 1,4% et un plancher de 3 714 points. Cependant, quelques rachats à bon compte ont permis de limiter la consolidation à 0,82%.

La performance hebdomadaire ressort négative de 2% et le support technique des 3 770 points est bel et bien enfoncé. Mais, valeur par valeur, les écarts à la baisse sont loin d’être spectaculaires : pas un seul repli ne dépasse les 10% par rapport à vendredi dernier.

Parmi les valeurs du CAC 40, trois banques terminent en queue de classement avec -6,7% sur le Crédit Agricole, -6% sur Dexia et -5% sur Société Générale. Attention à l’inversion du carry trade et à l’accumulation des créances douteuses aux Etats-Unis : les défauts de paiement battent déjà des records historiques alors que l’essentiel de la vague des hausses de mensualités sur emprunts à taux variable de type Alt-A est prévue pour la mi-2010.

La tendance au repli pourrait se confirmer cette semaine alors que les marchés américains s’inscrivaient en baisse vendredi soir à la mi-séance, notamment dans le sillage de Dell qui chute de 9,5%. Une chute qui entraîne un repli de 0,9% du Nasdaq et de 0,65% du S&P 500. Dell avait publié jeudi soir après Bourse un bénéfice du troisième trimestre en baisse de 54% à 337 millions de dollars.

L’or affichait une légère reprise à 1 145 $ l’once, après une petite correction qui a vu l’once rebondir jeudi soir sur un support situé aux alentours de 1 130 $. L’or avait inscrit mercredi dernier un record vers 1 150 $.

Nous accueillons avec une satisfaction teintée d’inquiétude l’annonce de la création d’un fonds dédié à l’or papier par le célèbre financier John Paulson — dont certains des hedge funds sont déjà très actifs sur les ETF or depuis le printemps dernier. Lorsqu’un tel personnage offre l’opportunité au grand public de profiter d’opportunités qui sont réservées en temps normal à un cercle restreint d’investisseurs privilégiés, c’est que l’affaire n’est peut-être pas aussi bonne qu’on peut le supposer !

En matière de perspectives mirobolantes de profits, suivre le mouvement est d’argent, la méfiance est d’or.

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