La Chronique Agora

Le krach des marchés : comme une avalanche

Les marchés financiers se sont construits sur la dette. Plus ils grossissent, plus la capitalisation gonfle, plus ils deviennent instables et plus le krach menace.

« L’Amérique d’abord ne veut pas dire l’Amérique seule, » a déclaré Donald Trump dans son discours au Forum Economique Mondial de Davos, en Suisse.

Le président américain a ajouté :  » il n’y a jamais eu meilleur moment pour embaucher, construire, investir et se développer aux Etats-Unis. L’Amérique est ouverte au commerce et est à nouveau compétitive. »

Trump nous a habitué à tenir des discours moins ennuyeux. Mais il était à Davos et, à Davos, l’auditoire est différent. En effet, il est composé de journalistes, d’hommes politiques et d’hommes d’affaires parmi les plus riches, les plus puissants, les plus prospères et les plus égotistes au monde.

Vous voyez un peu l’ambiance…

Si vous ne connaissez pas les participants au Forum de Davos, laissez-moi vous les présenter brièvement.

Des milliardaires expliquant à des millionnaires la situation des classes moyennes

Ancien professeur à l’Université de Genève, Klaus Schwab a créé le Forum Economique Mondial en 1971. Sa mission : « améliorer l’état du monde en réunissant des leaders économiques, politiques, universitaires et autres pour façonner des agendas aux niveaux mondiaux, régionaux et industriels. »

Jamie Dimon, grand patron de JPMorgan Chase, a bien résumé il y a quelques années ce qu’était Davos : « des milliardaires expliquant à des millionnaires la situation des classes moyennes ».

A Davos, des problèmes sont discutés par des gens qui n’en connaissent aucun (du moins pas de problèmes d’argent). Davos est également devenu plus médiatisé. Les participants se prennent plus au sérieux. Pendant ce temps les Bourses mondiales gonflent la richesse de ceux qui sont déjà riches.

Et dire qu’ils ont tous failli se retrouver ensevelis sous la neige !

Selon les agences de presse, en début de semaine, certaines parties de Davos étaient en alerte rouge avalanche. C’est plus qu’ironique. Oui, car les sujets constamment abordés par le Forum sont le réchauffement et les changements climatiques. Rien ne vaut de parler du réchauffement climatique enseveli sous la neige.

Naturellement, je ne souhaite à personne de se retrouver enterré vivant. Mais vous m’excuserez si je file la métaphore.

Davos était recouvert de 2 mètres de neige la semaine précédant le Sommet, et pratiquement 1 mètre à ses débuts. Selon les journalistes, il s’agissait d’une sorte de neige lourde, dense et mouillée. D’ailleurs, il y a une nette différence entre la neige mouillée et la sorte de poudre cristalline qui tombe dans les Rocheuses… mais ce n’est pas le sujet du présent article. En tant que natif du Colorado… cela m’a fait réfléchir.

Une avalanche boursière en formation

Qu’arrive-t-il lorsque une nouvelle couche de neige se dépose sur une couche plus ancienne et plus compacte ? Elle-même reposant sur une fine couche de neige encore plus ancienne et plus friable ? On obtient les conditions parfaites de ce qu’on appelle une « avalanche de plaque. »

Une avalanche de plaque c’est lorsque tout le versant d’une pente se détache brusquement, comme un gros gâteau qui glisserait d’une table de pique-nique inclinée. Les gens qui travaillent sur avalanche.org nous ont fourni cette image. Cette dernière explique comment se forme une avalanche de plaque :


Source: avalanche.org

Comparons cette image avec le graphique ci-dessous représentant le Wilshire 5 000. Il s’agit du plus large indice des sociétés américaines. Il comprend le NYSE, le Nasdaq, le S&P 500 et le Russell 2 000. Petite remarque : tous ces indices enregistraient des plus hauts records en cette semaine.

La neige et la finance : même combat !

Utilisons notre imagination. On peut comparer la couche de neige ancienne et instable qui se trouve en dessous au rebond boursier initié par Ben Bernanke entre 2009 et 2012. Le Wilshire 5 000 a gagné plus de 100% au cours de cette brève période. Cela représente près de 7 000 Mds$ en capitalisation boursière.

Puis est venue la liquidité (la neige) de Mario Draghi. En juillet 2012, le président de la Banque centrale européenne (BCE) a déclaré de façon spontanée, en plein coeur de la crise de la dette souveraine européenne, que la BCE « fera ce qu’il faudra » pour empêcher une autre crise.

Et pouf ! Une couche supplémentaire de neige !

Juste au moment où la magie Draghi semblait s’estomper, le Brexit a provoqué la chute du FTSE. La montée du populisme a menacé de mettre fin au QE tel que nous le connaissons. Et Donald Trump a commencé à tirer la croissance lors des primaires pour la présidentielle américaine. Depuis l’élection de Trump, le 8 novembre 2016, les actions américaines ont gagné près de 7 000 Mds$ en capitalisation boursière.

Et tombe la neige !

Que tous les skieurs, snowboarders et investisseurs de tout poil en soient avertis : lorsqu’on injecte 20 000 Mds$ de liquidités dans le système financier mondial, elles doivent bien aller quelque part. Or, les sommets atteints par le marché nous disent exactement où. Ils nous disent également que nous sommes à présent en alerte rouge avalanche.

Les avalanches financières n’ont pas besoin de déclencheurs

Mais qu’est-ce qui les provoque, ces avalanches ? Un petit flocon supplémentaire, unique en son genre, inconscient que son poids plume est sur le point de déclencher une catastrophe ? Un coup de tonnerre ? La foudre ? Ou bien un coup de feu tiré par un fusil quelque part, par exemple en Corée du Nord ?

Selon Robert Shiller, professeur à l’université de Yale, prix Nobel et promoteur du ratio CAPE, les bulles n’ont pas besoin de déclencheur. Il a déclaré sur CNBC :

« Les gens me demandent ce qui déclenchera une correction du marché mais il n’y a pas besoin de déclencheur. C’est la dynamique inhérente aux bulles qui les fait arriver à une fin, inéluctablement. »

Il y a une sorte de logique circulaire ici. Toute histoire – toute histoire qui a un sens du moins – a un début, un milieu et une fin. Nous cherchons où nous nous situons dans l’histoire. Et nous savons que toutes les histoires ont une fin. Les histoires sont comme les cycles de marché.

Mais le marché n’est pas un roman. C’est l’expression de décisions prises par des êtres humains. Et les êtres humains, pour le meilleur ou pour le pire, sont humains. Nous donnons une signification en trouvant des schémas. Ou encore nous trouvons des schémas là où aucun n’existe en réalité et leur attribuons une signification.

Dans tous les cas, du fait que nous sommes des êtres finis – avec un début, un milieu et une fin – nous voyons le monde évoluer par cycles. De la naissance à la mort, de la comédie à la tragédie. Ou, dans le cas du marché boursier, de sous-évalué à surévalué. Où en est-on maintenant ?

La mort tragique du marché haussier

Si vous êtes comme la plupart des gens avec qui j’ai eu l’occasion de discuter ces six derniers mois, vous lisez ces lignes distraitement, sans réelle inquiétude.

Certes, les marchés sont dans le rouge ces derniers jours… mais le Fonds monétaire international (FMI) a « salué » le plus important regain de la croissance mondiale depuis 2010. Il a revu ses prévisions pour la croissance américaine à la hausse en 2018, 2019 et 2020. Il a également reconnu du bout des lèvres que la réforme fiscale de Donald Trump pourrait se traduire par 1,2% de croissance supplémentaire du PIB américain.

Jamais aussi peu de gens se sont si peu inquiétés d’une telle quantité de neige accumulée au sommet de la montagne.

Parmi les voix des autorités, je n’entends que William White, ancien économiste en chef de la BRI (Banque des règlements internationaux) qui a déclaré au Telegraph :

« Tous les indicateurs du marché semblent très similaires à ce que nous avions vu avant la crise de Lehman, mais la leçon a été oubliée. »

Quelque chose qui ne tourne pas rond

Le chef économiste du FMI sait que quelque chose ne tourne pas rond dans cet « effet Boucles d’or » mis en avant par les haussiers. Maurice Obstfeld a déclaré au Wall Street Journal que « les marchés boursiers sont en plein boom dans beaucoup de pays qui n’ont pas connu de réduction de la fiscalité. » Pourquoi ce boom ? Grâce aux banques centrales, bien sûr !

Obstfeld s’inquiète de la hausse des taux d’intérêt. Cela pourrait déclencher la dégringolade du cours des actions et des obligations dans la tête des investisseurs. Sur son blog, il conclut par cette phrase : « aussi importants qu’ils aient été pour la reprise, l’accès facilité au capital et la relance budgétaire ont également laissé un héritage de dettes. »

On pourrait dire qu’à partir de maintenant commence la fonte des neiges. Même si le PIB américain au quatrième trimestre a été établi à 2,6% (inférieur aux 3% attendus et freiné par la hausse des importations et un déficit commercial plus important), le marché boursier a eu le vent en poupe.

Selon divers sondages, les investisseurs ne semblent pas croire qu’un marché baissier soit possible parce que les banquiers centraux ne le permettront pas. Ou alors, ils n’y croient pas parce qu’ils n’en ont jamais vécu aucun.

Je vous le dis, même s’ils ne sont pas fatals, à ces niveaux, des marchés soudainement baissiers sont, en termes d’investissement, comme des expériences de mort imminente. Si vous êtes à Davos – ou sur le marché boursier – préparez-vous au pire.
[NDLR : Se préparer au pire, espérer le meilleur et éviter de voir son épargne engloutie dans les avalanches créées par les banquiers centraux. Voici quelques précautions très simples à prendre qui sont exposées ici.]

On aura beau crier dans le désert, c’est toujours la même histoire. Nos économies et nos marchés boursiers sont construits sur de la dette. Plus ils grossiront, plus ils gagneront en instabilité.

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