Giorgia Meloni, seule dirigeante européenne à entretenir un lien privilégié avec l’ex-président américain, tente de se positionner comme interlocutrice clé. Mais jusqu’où peut-elle jouer ce rôle sans compromettre sa position en Europe ?
Dire que l’Europe a hérité de plus de problèmes que prévu avec le second mandat de Donald Trump relèverait de l’euphémisme. Le président républicain engage des guerres commerciales tous azimuts, y compris avec des pays alliés dont la France, menaçant récemment d’imposer des droits de douane de 50% sur le champagne français.
Mais le changement de politique le plus significatif de son administration reste son revirement sur le soutien à l’Ukraine dans sa lutte contre l’agression russe.
Même si l’Europe est prête à intensifier ses efforts en matière de défense, à renforcer la protection de ses frontières extérieures et, par extension, à jouer un rôle militaire dans un éventuel accord de paix entre l’Ukraine et la Russie, la perte du soutien des Etats-Unis représente un coup dur. Le retrait américain de la scène internationale encourage les autocrates et les dictateurs, rendant l’Europe plus vulnérable. Mais entre les défis liés à la défense et aux tensions commerciales, qui, en Europe, est le mieux placé pour dialoguer avec Donald Trump ?
Lors de la dernière édition de la conférence CPAC aux Etats-Unis, grand rendez-vous des conservateurs et des républicains, un seul chef de gouvernement européen a fait une apparition : l’Italienne Giorgia Meloni. Son discours a résonné avec la rhétorique de la droite américaine : la gauche est hystérique, la majorité silencieuse doit être entendue et Donald Trump est fort. Rien de surprenant dans cet exercice convenu, où chacun prêche à un public conquis. Mais l’intervention de la présidente du Conseil italien a pris une tournure plus intéressante lorsqu’elle a abordé la question de la guerre en Ukraine.
Elle a présenté la guerre en Ukraine comme un combat crucial pour la liberté contre un « agresseur brutal », en référence à la Russie. Elle a salué la « fierté » du peuple ukrainien et a souligné la nécessité d’une « paix juste et durable » qui requiert l’implication des Etats-Unis et de l’Europe. « Nos adversaires espèrent que Trump s’éloignera, mais cela n’arrivera pas », a-t-elle déclaré.
Le soutien de Meloni à l’OTAN et à l’Ukraine est bien connu. En rupture avec ce que l’on suppose habituellement de la droite conservatrice européenne, Meloni est ouvertement en désaccord avec le président Trump sur la question de l’Ukraine. Mais est-elle un intermédiaire viable ?
En l’espace de deux mois, Giorgia Meloni effectuera deux visites aux Etats-Unis, au cours desquelles elle rencontrera Donald Trump. Ce dernier n’a pas caché son enthousiasme à l’égard de la Première ministre italienne, alimentant ainsi les spéculations sur une possible tentative de Meloni d’obtenir pour Rome des exemptions spécifiques aux nouveaux tarifs douaniers imposés par Trump.
Le problème de cette approche, si c’est bien celle qu’elle adopte, est qu’elle risque de fragiliser sa relation avec les autres partenaires de l’UE. Déjà perçue comme une figure marginale de la droite européenne lorsqu’elle est arrivée au pouvoir, un éloignement supplémentaire de la ligne politique de Bruxelles ne ferait que renforcer son isolement.
La quadrature du cercle pour Giorgia Meloni consiste à choisir ses batailles entre Washington et Bruxelles. Quel capital politique devra-t-elle sacrifier pour éviter des droits de douane sur le prosecco, sachant que bien plus de décisions réglementaires se jouent au Conseil européen que lors de réunions bilatérales à Washington ?
Cependant, il est tout à fait possible que Meloni cherche à représenter l’Europe dans ses discussions avec Trump. En raison d’un certain alignement idéologique, elle apparaît même comme la meilleure candidate pour ce rôle. Trump n’a pas de problème avec des désaccords tranchés, tant qu’ils reposent sur des convictions solides. C’est là qu’il faut distinguer l’impact du murmure et de la parole : face au président américain, l’un et l’autre n’ont pas le même effet.
L’Europe a vraiment besoin d’une meilleure représentation que celle qu’offre actuellement la Commission européenne. La politique tarifaire de Donald Trump est économiquement illisible et son point de vue sur l’Ukraine est tout simplement erroné, mais la fonction qu’il occupe ne nous permet pas de l’ignorer.
Peut-être – juste peut-être – devrions-nous encourager un dirigeant à prendre les devants et à murmurer, ou à expliquer clairement, les priorités de l’Europe à l’homme de Washington.